En plus de trente ans de règne, Ariane avait traversé de nombreuses épreuves qui l'avaient endurcie. Si son caractère trempé l'avait aidé à porter tout le fardeau de la couronne, Naâme lui avait également dotée d'une protection contre la maladie, la tenant à l'écart de cette pneumonie qui avait emporté son époux, et son fils ainé. Elle avait affronté toutes les crises, écarté tous les dangers pour protéger son royaume.
Mais la protection de Naâme ne pouvait rien pour elle dans le cas présent.
Aujourd'hui, elle n'avait plus vingt ans. Elle n'avait plus la fougue de sa jeunesse, ni même la force d'encaisser seule les événements derniers. C'était également l'une des raisons pour lesquelles elle avait fait mander son fils Valérian. Elle ressentait de plus en plus fréquemment la lassitude du corps et de l'esprit, même si elle se savait parfaitement capable de puiser dans ses ultimes forces lorsque son cadet la rejoindrait.
Rabattant sa capuche sur ses longs cheveux argentés assemblés en une tresse grossière, elle mira une fois encore son reflet dans le miroir de sa coiffeuse. Les poches sous ses yeux étaient proéminentes, et la vieillissaient davantage, si cela lui était encore possible. Loin était le temps où sa peau était aussi fraiche qu'une pétale de rose, et le manque de sommeil des précédentes nuits n'arrangeait rien. Odion avait beau lui conseiller toutes les tisanes de Borderoc, rien n'y faisait : ses rêves devenaient de plus en plus agités. Mais là encore n'était pas le problème.
La faiblesse de son corps ne l'alarmait pas le moins du monde, bien trop intelligente que pour s'inquiéter vainement de sa vieillesse. En revanche, son palpitant lui donnait du fil à retordre. Battant à tout rompre aux moments les moins opportuns, elle craignait que celui-ci ne la trahisse et l'abandonne alors qu'il lui restait encore tant de choses à traiter. Le massacre de l'arène et l'insurrection des Masques Maâlistes l'avaient grandement effrayée, même si elle le cachait bien aux yeux attentifs de son fidèle homme de main, et à ceux de ses suivantes. Et maintenant, un tremblement de terre qui, pour beaucoup, était un geste de Kamaâl.
Elle ne voulait pas montrer trop de signes de faiblesse à la fois, mais elle ne pouvait ignorer ces battements irréguliers qui une fois encore l'alarmait, tandis qu'elle songeait encore à ces terribles incidents. Cela ne pouvait durer, et elle ne pouvait se permettre de faire demander son médecin royal afin qu'il l'examine. Demander de l'aide aux Rochefer était parfaitement exclu, bien entendu, hors de question de paraitre diminuée à leurs yeux.
Poussant la porte de ses appartements privés, elle adressa un signe de tête au garde posté devant sa porte. Il avait été entendu avec lui, et avec contrepartie financière, qu'il n'aurait rien vu de la soirée, pas même sa reine sortir au beau milieu de la nuit. Partout où elle passait, les soldats détournaient le regard, conformément avec ce qui avait été conclu. En quelques instants, Ariane se retrouva à l'extérieur du domaine ducal, et tint fermement clos son manteau. Elle descendit dans la ville, déterminée, ne croisant qu'un chat errant ou deux, chassant les rats dans les ruelles sombres. Elle n'arrêta sa marche que lorsqu'elle prit la peine de lever les yeux vers l'enseigne arborant un flacon fumant. Sans plus attendre, elle martela la porte de son poing, non sans vérifier qu'elle n'avait pas été suivie.
Allons, réveillez-vous ... de grâce, pressez-vous !
maugréa-t-elle entre ses dents devant la porte toujours close, impatiente de quitter cette rue glaciale.