[6 follune 1100] Un convoi peut en cacher un autre

Rappel du premier message :

Un convoi peut en cacher un autre

[6 follune 1100 ]

Trois semaines, trois putains semaines que Rose avait été sommairement écartée de sa brigade qu’elle mène à couteau tirés depuis plusieurs années. Trois semaines qu’on lui a retiré son insigne de patrouilleuse-en-chef, trois semaines qu’elle fait les sales besognes qu’on lui impose… Mais surtout, vingt-et-une saloperie de journées qu’elle est obligée de se farcir un péquenaud qui a l’audace de vouloir devenir maître-morgg et prendre sa place !

En plus c’était un vrai con ! On dit souvent que les animaux ressemblent à leur maître et bien pour le coup, il n’y avait pas plus animal que ce petit enfoiré ! Le chien – ou le morgg – est un animal intelligent, capable d’apprendre et de retenir des ordres si tant est qu’on prenne le temps de le former. Et bien se type-là était de l’exact même acabit… Un putain de chien-chien droit dans ses bottes prêt à lécher le trouffion du chef de caserne s’il le fallait ! Rose était intimement persuadée qu’il avait gravit les échelons en promotion canapé…

Il était un de ses « élèves », bien entendu le plus prometteur et Rose le détestait. Certes, suivre les ordres étaient la base des Lames de Saphir – c’était bien pour cette erreur qu’elle était punie à la base – mais elle estimait que la prise d’initiatives était une compétence indissociable du métier de Lame de Saphir ! Ils n’étaient pas de simples moutons marionettisés, merde ! Ce petit merdeux excellait dans tous les domaines et ne dérogeait jamais à une règle… Il ne prenait jamais part aux soirées de beuverie, se couchait – lorsque c’était possible – en-même temps que les poules et était sur le terrain d’entraînement dès l’aube. Il n’avait aucune discussion, aucun hobby, aucune caractéristique intéressante autre que celle d’être Saphir.

La jeune femme se sentait donc doublement punie de devoir former un type qui – outre sa facultés à pouvoir se faire obéir d’un morgg – était son exacte contraire. C’était quand même elle qui avait créé la brigade morgienne et en avait défendu l’existence devant la duchesse, merde !

Folle de rage, Rose était tout simplement folle de rage alors lorsqu’elle avait enfin un peu de répit elle n’hésitait pas à aller se défouler en compagnie de Corbac dans l’arène d’entraînement et parfois même en ville. Bon, cela étant, en ville elle ne faisait pas plus de vague qu’elle l’aurait voulu, il ne fallait pas en plus que Corbac se fasse euthanasier à cause de la colère de sa maîtresse… Ou pire, qu’elle soit définitivement radiée des Saphir ! Mais elle prenait un malin plaisir à faire peur aux gosses et aux vieillards… ! Ça lui donnait un peu de baume au cœur en fin de journée… Et elle rongeait son frein en restant professionnelle dans les tâches – aussi ingrates et punitives soient-elles – qui lui avaient été confiées… Elle ne désespérait pas de garder sa place et que le petit con soit envoyé dans une autre ville pour gérer une autre brigade morgienne !

Oui, c’était ça : il n’allait pas prendre sa place, il allait répandre la voie des morgg dans le duché…

Rose se le répétait souvent mais ça ne réduisait pas pour autant sa colère.
Ceci-dit, en ce 6 follune 1100, elle était sortie de la caserne – Corbac en laisse-muselière – dans un état d’esprit plutôt serin… Corbac avait blessé le morgg du petit con dans leur chenil et ce dernier avait donc passé la journée à soigner son animal, laissant de ce fait Rose plutôt tranquille… Enfin, elle avait été reléguée a de basses besognes mais elle préférait faire ça plutôt que de se farcir l’autre merdeux… ! Elle avait donc suivit les ruelles jusqu’à la place principale de Borderoc où elle aimait flâner et écouter les conversations – mais surtout voir les visages effrayés des gentes dames et damoiseaux à l’approche de son morgg.

Mais ce soir-là, la place était si noire de monde qu’elle aurait eu du mal à s’y faufiler si Corbac n’était pas avec elle. Un héraut ducal et sa cohorte avait pris place au centre, juché sur la haute estrade qui servait aux annonces publiques. Rose arqua un sourcil, était-ce donc déjà terminé… ?

Ecartée des missions réellement importantes, elle n’en laissait pas moins traîner ses oreilles et avait appris des choses intéressantes… La capture de la renégate qui avait été l’étincelle du massacre des jeux d’affrontements avait été annoncée quelques jours auparavant et depuis une liesse s’étaient emparée de la plus part des Lames de Saphir. Une brigade avait été spécialement créée et été partie en chasse des Masques Maâlistes. Si Rose n’avait pas été punie il était bien évident qu’elle en aurait fait partie… Elle s’en été d’ailleurs mordu les doigts pendant plusieurs jours avant de finalement entendre raison. Au moins elle n’aura pas risqué sa peau… ! Toujours était-il que le héraut richement vêtu était sans aucun doute celui de la duchesse – voir de la famille royale – et allait sans aucun doute aviser le peuple d’une très grande nouvelle… !

Elle fit donc s’asseoir Corbac – entre ses jambes, main au collier – lorsqu’elle se décida assez proche – il lui fut drôlement aisé d’atteindre une bonne place grâce à ce cher morgg… Ses prunelles rosées levées vers l’homme qui avait commencer à parler, elle était plus concentrée qu’un prestidigitateur sur son chapeau à lapin.

Et la vérité tomba : la grand prêtresse des masques avait été retrouvée et s’était donné la mort en se laissant aller à la malédiction de Kamaâl. La jeune femme ne put retenir un rire jaune.

- Quelle imbécile… Et tu crois qu’il va bien te recevoir aux Terres Ardentes ? Tu n’as même pas essayer de te battre ! Pauvre lâche, tu as pris la fuite ! Tu n’étais pas digne d’être sa servante, comme tous ceux qui t’ont toujours suivie ! Même ceux qui n’ont pas été assez fous pour briser leur pierre ne sont pas digne de prendre ta relève… Kamaâl a besoin de suppôts investis et prêts à tout pour lui rendre grâce ! Pas de simples ritualistes qui se cachent derrière des masques et arrachent des nouveau nés à leur famille ! avait-elle marmonné, sous la cohue et le tollé ambiant, puis avait craché par terre

Son glaviot atterri sur le beau jupon de la belle dame juste à côté d’elle et Rose prit un air ironiquement contrit après avoir prestement soupiré.

Codage par Libella sur Graphiorum

Andalie finit par trouver la poignée du bout des doigts, la saisir et appuyer dessus. Elle tira la porte, prête à s'échapper, mais le brou-haha extérieur la ramena à elle. Elle laissa le battant se refermer — elle ne pourrait pas affronter la foule dans cet état. Elle allait se mettre à courir comme une dératée, paniquée, heurter des gens, s'attirer des ennuis ou se perdre.

Il lui fallait respirer. Inspirer profondément par le nez, gonfler son ventre, puis expirer par la bouche, en douceur. Elle commença l'exercice en continuant de fixer la Griffière.

« Tu as tort et t’excuser n’y changera rien. Naâme n’a fait que nous avilir en nous remettant son présent tel un boulet à la cheville d’un bagnard. »

La Lame lui présenta sa pierre, rouge mais éteinte, similaire à celle qu'elle portait à son cou. Andalie luttait toujours contre son angoisse, tremblante, et la vue du bijou ne la rassura pas particulièrement. La conscience soudaine de la mort qui l'attendait, de la possibilité qu'on lui vole ce qui lui permettait de survivre: non pas seulement sa pierre, mais dame Noblesang aussi.

« Les Dieux Frères ont créé ce monde à leur image, antagoniste et complémentaire. La nature humaine s’est tissée depuis la nuit des temps et si l’empathie et la bienveillance était notre chef lot comme tu sembles le croire, il n’y aurait ni guerre ni dispute. Il n’y aurait pas de mère ni de mari violents. Il n’y aura pas de morgg ni aucune des créatures sauvages et barbares qui règnent pourtant en maîtres dans nos cam-pagnes et forêts. Naâme n’est pas aussi bon que la plus part des gens le pense. Kamaâl est peut-être cruel mais au moins il n’est pas aussi hypocrite que son frère ! Se sont eux qui nous ont créés, Kamaâl a eut bien raison d’imposer cette « malédiction » !

— V-vous écoutez-vous ? Ce n'est pas p-. Parce qu'on vous donne deux options que les d-. Deux se valent ! P-. Pas plus... P-. Pas plus, non. Non, c'est aussi triste que ce que dit dame N-. Noblesang. Que les gens ne c-. Comprennent que l'ambition, la violence. C'est une philosophie horrible. J-. J-.

— Nous ne sommes que des fourmis qu’ils observent depuis les hauteurs et qu’ils s’amusent à torturer… Moi j’ai accepté cet état de fait et quelque chose me dit que ta maitresse aussi ! Sans quoi elle te traiterait avec la déférence qui t’es due et dont tu viens de parler… »

Andalie reprit son exercice de respiration. Elle avait tant à répondre, tout ceci était si faux, mais sa gorge refusait de la laisser parler. Elle se mit à serrer la poignée de la porte comme elle serrait sa canne de duel. Pourquoi tous ces gens étaient-ils si vils ? Pourquoi fallait-ils qu'ils considèrent tous la violence comme une solution, voire une chose inéluctable ?

Cela ne faisait aucun sens ! Si tous étaient cléments, si tous étaient bienveillants, jamais il n'y aurait de tels soucis, de tels traumas, de maris et pères violents, c'était tout l'intérêt. Cela n'empêchait pas d'emprisonner les gens, ou sanctionner les crimes ! Cela impliquait juste que tous fassent un effort, que l'on éduque correctement chacun, que l'homme décide de faire face à la nature au lieu de lui-même. Qu'il prenne conscience qu'il était une fourmi, oui, et que le bien-être de la fourmilière nécessitait de la coopération et de l'entraide, pas d'essayer de s'envoyer des morggs à la figure !

Mais la servante ne répondit rien de tout cela, paralysée, le souffle toujours court malgré ses tentatives d'apaisement.

« Et toi qui aurait tout pour diriger ta vie comme tu l’entends te voilà encore plus avilie que par le présent de Naâme. Organise une rencontre avec ta maîtresse si ça te chante… Mais tu ne m’ôtera pas l’idée de la tête que j’ai raison et que tu vaux beaucoup mieux que ça. Je peux même profiter de cette entrevue pour plaider ta cause.

— Je lui p-. Passerais le message. Mais je n'ai aucune envie que vous p-. P-. Elle inspira, expira. Plaidiez ma cause, je n'ai aucune envie de d-. Devenir une b-. Brute violente qui d-. Dompte des molosses pour terroriser les gens. Pas plus que je n'ai envie d-. D'être une a-. A-. Mhmm-ristocrate p-. Parvenue. »

Sur quoi, elle se força à tirer le battant de nouveau, malgré ses tremblements, et sortit, la peur au ventre. Si elle n'affrontait pas la foule, jamais elle ne pourrait aller se calmer dans un coin, seule, et reprendre ses moyens.

Un convoi peut en cacher un autre

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Fixant toujours la mastodonte face à elle, la jeune Saphir se rendit compte de quelque chose qui ne lui avait pas tout de suite sauté aux yeux. Il avait fallu que la croquemite verbalise ses der-niers mots pour que Rose tilte enfin.

Elle allait répondre mais la femme était sortie en trombe, vraisemblablement trop perclus d’angoisse pour affronter Rose une seule seconde de plus. Lui emboitant le pas – non sans un petit coup de chaine sur la tête de Corbac afin qu’il la suive – elle la rattrapa rapidement et lui saisit le bras pour la faire s’arrêter et tourner vers elle.

- En faite tu ne comprends rien… dit-elle d’un ton presque réprobateur Je n’ai jamais dit que la seule solution était l’ambition par la violence, ou la violence pour l’ambition peut im-porte… Je ne t’ai jamais incité à l’être du reste. J’ai simplement fait la remarque qu’une femme de ta trempe ne devrait pas se laisser ainsi marcher sur les pieds, et je t’ai proposé un chemin à emprunter. Mais si tu préfère rester dans ta fange d’angoisse et de peur, libre à toi ! C’est juste dommage, tu ferais une bonne Lame, ou peut-importe la voix que tu voudrais choisir. Quand à ton insulte de « brute violente qui dompte des molosses pour terroriser les gens », je passe pour cette fois… Je suis d’humeur magnanime, tu me fais tellement pitié de toute façon que ça ne serait que faiblesse que de lâcher justement mon « molosse » sur toi…

Sans rien ajouter de plus, elle lui lâcha le bras et repris son chemin. Il était tout bonnement hors de question que cette bonne femme terrorisée mais pourtant aussi grande-gueule qu’elle ait le dernier mot… Et puis de toute façon, Rose était bel et bien persuadée d’avoir raison !

Codage par Libella sur Graphiorum

Plusieurs jours plus tard.

***

Lorsque tous les coups possibles sur un échiquier mènent à une perte, doit-on jouer ?
Mira ne cessait de s'interroger sur la marche à suivre, tandis qu'elle offrait des sourires coquets aux nobliaux de province rassemblés dans cette soirée-gala à l'honneur d'une charité quelconque pour les victimes des jeux des sacrifiés.
Attendre ou passer son tour ne mènerait à rien: si elle s'abstenait de jouer, elle finirait par être acculée par les autorités, qui ne cesseraient pas de traquer tous les coupables des jeux. Peut-être la Reine se satisfaisait-elle de la tête de la grande prêtresse, peut-être même qu'avoir en apparence éparpillé les masques rassurerait ses conseillers ou les éventuelles pressions sur le pouvoir qu'une populace apeurée provoquait — mais les chiens de chasse, les limiers, tous ces dangereux enragés incapables de s'arrêter, toujours à la recherche d'un ennemi, d'une proie, eux, continueraient la traque. Peu importe ce qu'il fallait traquer ; tant qu'ils traquaient. Et Mira Noblesang n'avait aucune certitude qu'elle ne soit pas la prochaine cible, elle, et tous les maâlistes.
Le souci, c'est qu'elle n'avait aucun pion à bouger sur l'échiquier. Tout mouvement risquait de révéler son passé, d'attirer l'attention ; et elle n'obtiendrait rien en retour. Il n'y aurait pas d'échange, elle ne saisirait pas un cavalier en sacrifiant son fou, non: le centre fort, le cœur palpitant, les fondations sur lesquelles étaient bâtis la secte entière n'existaient plus, elle ne pourrait plus y gagner de pouvoir, plus en soutirer d'argent, plus obtenir des faveurs ou en utiliser les canaux secrets. Un pan entier de son revenu et de ses capacités avait disparu avec ce cœur et il ne lui restait que la politique classique comme possibilité d'évolution: une politique tout aussi dangereuse que les masques, mais où elle ne disposait d'aucune influence.
Telle était sa ligne de pensée la soirée complète. Comment elle, Mira Noblesang, si dévorée d'ambition, pouvait-elle se résoudre à attendre que l'étau se resserre car toutes ses opportunités étaient des chausse-trapes ? Comment elle, Mira Noblesang, si assoiffée de pouvoir, pouvait-elle obtenir assez de dagues et de couteaux politiques pour se présenter dans une arène où, de longue haleine, des adversaires aux titres nobles et aux familles honorables combattaient à l'épée longue en ayant la loi de leur côté ?
Pouvait-elle renverser l'échiquier ? Devancer les autorités en s'y présentant, fournir toutes les informations qu'elle avait effacé soigneusement de ses registres, sur toutes les propriétés maâlistes, sur tous leurs réseaux—

« Oh, oui, c'est effroyable. J'ai entendu dire que sire Dukeberque avait perdu sa fille et son épouse, est-ce véridique ? Je ne l'ai pas rencontré, ces temps-ci. Savez-vous comment il se porte ? »

Son interlocuteur reprit la conversation et Mira l'oublia de nouveau, revenant à ses questions autrement plus importantes. Que pourrait-elle demander aux autorités pour de telles informations ? Probablement rien. Même l'immunité lui serait refusée. Elle serait arrêtée, torturée, possiblement pendue. Après tout, la grande prêtresse des masques était morte: cela diminuait de beaucoup l'intérêt de registres de transactions financières et de lieux de rassemblement, puisque les autorités ne pourraient, grâce à ceux-ci, arrêter que du menu-fretin, en comparaison. Sauf s'ils prévoyaient une purge sérieuse dans la magistrature ou la noblesse... Mais alors, Mira aurait besoin de s'adresser assez haut dans la hiérarchie pour obtenir une protection — et ensuite ? Une fois qu'elle serait vidée de ses informations, pendaison obligatoire. Même si, dans un geste de merci bien peu crédible, on lui accordait la vie sauve — voire, de manière encore plus irréaliste, la liberté — alors que pourrait-elle bien faire ? Sa réputation serait à jamais entachée des masques.

Une option qui se présentait à elle était de reprendre toute la secte. Elle-même, devenir la grande prêtresse. Son ambition aimait l'idée: sa paranoïa, elle, tentait déjà de l'étrangler dans l’œuf. Les autorités n'auraient de cesse de vouloir démembrer le culte, de la poursuivre aux confins des Trois Lieux, d'assassiner ses sbires. Elle finirait comme la grande prêtresse, à se suicider — ce qui, niveau ambition, était peu satisfaisant, finalement.
Et que pourrait-elle bien faire de ce titre ? Zigouiller des gosses n'avait pas le moindre intérêt, si elle ne pouvait pas s'en vanter, l'utiliser pour montrer son manque de morale, sa capacité à accomplir n'importe quoi: ce qu'elle ne pourrait jamais faire sans être arrêtée. Zigouiller des opposants politiques aurait un intérêt si elle avait un pied dans l'arène politique en question, mais ce n'était pas son cas. Elle était comptable.

« Dame Olanskalu m'a fait part de son inquiétude, oui, mais vous me connaissez, rassura-t-elle au beau jeune homme en face d'elle, le fils de l'un de ses plus fidèles clients, j'ai réalisé tout le nécessaire pour qu'aucun de ses investissements ne soit touché. Comment trouvez-vous le vin, ce soir ? »

Même de ce côté, comptable... Avec sa mémoire eidétique, elle pourrait obtenir un poste auprès de la couronne. Et ensuite ? Elle avait du charme, une grande capacité à mentir, une soif de pouvoir ; mais personne ne viendrait la consulter sur les réelles décisions politiques et son insistance éveillerait les soupçons. Elle pourrait seulement commenter sur les finances, ce qui ne la motivait guère. Il lui fallait plus. Conseillère personnelle, dirigeante d'un réel service, un poste dans l'administration voire l'ordre, quelque chose de tangible. Une ombre derrière l'un des ducs ou duchesses, toujours présente aux réunions, toujours écoutée.
Une aspiration bien incompatible avec son passé auprès des masques, et dont elle ne voyait aucune ouverture sur l'échiquier.

Alors ce soir encore, Mira se contenta de ne pas jouer, figée dans cet immobilisme déplorable, frustrée jusqu'au bout des ongles sans qu'elle ne le laisse paraître. Elle continua ses courbettes et sourires jusque tard dans la soirée, rencontrant tous les visages sombres et inquiets de l'aristocratie basse et brutale du Gravorn qu'elle pouvait, avant de quitter la demeure de son hôte, maussade.

Elle remonta, seule, l'avenue du marché, évitant soigneusement quiconque s'approchait: elle regrettait amèrement qu'Andalie ne soit pas là pour la protéger, mais celle-ci enchaînait des crises de panique insupportables où elle se blottissait sous les tables ou hurlait, et Mira n'avait aucune envie de l'envoyer de nouveau fumer tout son salaire ou végéter devant un médecin perplexe. Elle finirait par se reprendre, espérait-elle — ou elle la renverrait.

La comptable ralentit le pas en reconnaissant la place où la nouvelle, quelques jours plus tôt, du décès de la grande prêtresse avait retentit, pour réfléchir. Elle noua ses bras autour de sa poitrine pour repousser le froid, son châle bien serré autour de ses épaules, ses boucles rousses poussées par la brise nocturne.

Pouvait-elle voler des pions ? Envoyer valser l'échiquier complet plutôt que le renverser ? Quelles options ne voyait-elle pas ?

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