[4 Allune 1100] Le diable au corps

Aïka se retourna vivement, les oreilles plaquées vers l'arrière, et lança un regard perplexe à sa maîtresse. La chienne détestait le bruit provoqué par un éternuement. Et ce n'était pas un un, ni deux, mais trois éternuements que venait de lâcher Théa. La petite croquemite soupira, puis renifla bruyamment. Elle enfonça sa main dans sa poche pour en extirper un carré de tissu et se moucha sans la moindre discrétion. Dans ce coin reculé des Trois lieux, quelque part au croisement entre la chaîne des Alles et celle de la Fourche, personne ne s'offusquerait des bruits sonores qu'elle pouvait émettre.

La petite cueilleuse n'était pas en veine ces derniers jours. Il ne manquait plus qu'un mauvais coup de froid pour compléter la liste de ces déconvenues. Résignée à se passer d'un cheval pour rejoindre le Marvier, pour économiser quelques lieutons après s'être fait dérober sa bourse à Lotte, elle avait été surprise par une brusque chute des températures et par une pluie battante qui avait transformé sa nuit précédente en naufrage. Sans mauvais jeu de mot. Aujourd'hui, elle était obligée de marcher à travers une forêt humide et glaciale, les chaussettes encore trempées et les os congelés. Pourtant, elle suait comme un goret, tiraillée entre des frissons polaires et des bouffés caniculaires. Elle grelottait et claquait des dents, épuisée par la fièvre.

– On va s'arrêter là, mon chien.

Elle déposa ses affaires contre un arbre et commença à monter son bivouac. Elle réunit quelques grosses pierres en cercle, dans l'espoir d'y allumer un feu, mais l'humidité ambiante ne lui permit pas de créer la moindre étincelle avec son briquet. Mais meeerde, hein ! hurla-t-elle, submergée de colère et de frustration. Son regard, déjà larmoyant à cause du rhume, déborda en torrents de larmes. Théa grinça des dents, s'essuya nerveusement les yeux, le nez et les joues avec sa manche. Elle n'aimait pas se laisser aller à sa colère. Malade ou pas, dans une situation merdique ou pas, elle devait se contrôler ! Ne jamais devenir un monstre ! se martela-t-elle en tête, comme une litanie.

Après une énième tentative, elle jeta nerveusement son silex au loin. Regretta aussitôt son geste, car elle devait maintenant aller le récupérer. Elle se traîna sur quelques dizaines de mètres, comme une âme en peine, sous le regard de sa chienne assise sur son arrière train. Le reste se passa très vite. Théa trébucha sur une grosse racine, fut précipitée dans un petit fossé en contrebas et tomba la tête la première, se cognant le front contre un gros rocher saillant. Et puis, le noir absolu.

La jeune femme eut l'impression d'émerger d'un sommeil agité plusieurs fois, comme bringuebalée par quelque chose. L'épaule d'un homme ? La croupe d'un cheval ? Elle avait terriblement mal à la tête et elle ne parvenait pas à ouvrir les yeux. Elle se sentit partir plusieurs fois, retombant dans l'inconscience à chaque fois qu'elle commençait à reprendre ses esprits. Et à chaque fois, elle commençait à revenir à elle en entendant les aboiements furieux de sa chienne.   

Théa se réveilla alors qu'elle était allongée sur une surface dure, très peu confortable. Elle grommela, percluse de douleur, les tempes vrillées par une migraine affreuse et les yeux encore mi-clos. Et puis soudain, elle fut pleinement consciente, le regard grand ouvert et s'habituant à l'obscurité relative. La panique et la terreur lui coupèrent le souffle. Elle était dans une grotte sombre, qu'elle devinait en coude puisqu'elle ne voyait pas directement son entrée, ni la lumière du jour qui parvenait encore à éclairer l'endroit. Elle émit des sons plaintifs et répétitifs, entre le hoquet, l'hyperventilation et les pleurs, tandis qu'elle découvrait le macabre contenu de l'antre : un tas d'ossements disparates. Elle remarqua également une carcasse indistincte, ainsi que le cadavre encore fumant d'une biche éventrée. Et c'est alors qu'elle le vit, de dos, rongeant quelque chose qui ressemblait à... une patte ? Non, une jambe ?! Théa tourna de l’œil et s'évanouit de nouveau.

Devant l'entrée de la grotte du mange-corps, Aïka hurlait à la mort.  

Il était une fois un 4 Allune 1100 dans le duché du Creux-lac Information hors-RP : Pour le moment je te propose qu'on reste sur quelque chose de calme, sans faire revenir le mange-corps. J'aimerais bien voir si j'arrive à sociabiliser un peu mon rustre chasseur.
Information lancers de dés : J

La rainette commence à reprendre du poil de la bête, et ça, c'est plutôt bon signe. Mais quelque chose dérange Ilclaste, comme son refus de partager sa viande.

*J'croyais que les croquemites raffolaient de ça ?!*

Songe-t-il, alors qu'il hausse les sourcils, septique : des fruits séchés ? Elle est sérieuse là ?
Elle a peut-être peur qu'il l'empoisonne et abuse d'elle, se dit-il. Après tout, ce n'est pas parce qu'il l'a sauvé qu'il a forcement des bonnes intentions à son égard. Il peut comprendre. Alors il reprend sa viande et mord dedans.

*Tu vois, sp'a empoisonné, moi j'le mange*

Il s'assoie et tend les jambes en répondant à sa question

-Oui et non. J'dois m'rendre au Gravorn pour un truc, je voulais y aller avec un peu de marchandise, y'a les peaux de renards qui sont vraiment à la mode ces derniers temps... Alors j'ai fait une pause pour en débusquer un ou deux terrier. Mais, à la place j'ai croisé vot' chienne.

Raconte-t-il en regardant la mixture être portée à ébullition.

-Z'avez l'air plutôt calé en verdure. Commente-t-il.

-Z'être une enfant du savoir, ou un truc du genre ?Demande-t-il, histoire de faire la conversation et de tâter le terrain. Pour une Marloise, elle a pas l'air aussi cul serré que d'autres mais il attend sa réaction au "truc du genre" pour savoir dans quel panier la mettre.

Si le chasseur croyait rassurer Théa sur la qualité de la viande qu'il lui avait proposée, il se fourrait le doigt dans l’œil... et jusqu'au coude par dessus le marché ! À dire vrai, la naïveté de la petite herboriste n'aurait jamais été en mesure de lui faire penser que la viande puisse être empoisonnée. Théa l'observa mâchouiller son bout de viande séchée, un rictus de dégout affleurant à la commissure de ses lèvres sans qu'elle ne s'en rende compte. Elle détourna le regard après quelques secondes, se demandant comment les gens pouvaient aimer une telle horreur. Elle avait beau savoir que la saveur de la viande cuite n'était pas la même pour les personnes normales, elle ne pouvait s'empêcher de les voir en train de manger un truc affreux et cendreux. Passant à autre chose, elle remua la décoction une dernière fois, la versa dans une petite tasse de voyage et souffla à plusieurs reprises pour la faire tiédir.  

Lorsque le chasseur fit remarquer qu'elle semblait douée pour la « verdure », ses lèvres formèrent un sourire léger mais satisfait. Elle appréciait que les gens reconnaissent son talent pour l'herboristerie, quand bien même semblaient-ils eux-mêmes dépourvus de tout intérêt pour le sujet... Quand il lui demanda si elle appartenait aux enfants du savoir, ses lèvres s'élargirent franchement et laissèrent s'échapper un rire timide.

– Oh non, pas du tout. Je ne suis même pas sûre qu'ils acceptent les..., hésita-t-elle, marquant une courte pause de réflexion. Les gens comme moi, je veux dire. Enfin, vous voyez, dit-elle en haussant les épaules, estimant qu'Ilclaste avait sûrement compris qu'elle faisait référence aux croquemites sans qu'elle ait besoin de le dire à haute voix.

C'était toujours bizarre pour elle de parler de ceux qui avaient contracté la croquemitie comme d'un ensemble de personnes dont elle faisait partie. Les croquemites. Elle n'aimait pas vraiment qu'on lui rappelle qu'elle faisait partie d'une sous-population, d'une sous-catégorie inférieure parce qu'elle avait les yeux jaunes ou les dents pointues. Elle était elle, une personne comme une autre, excepté qu'elle devait vivre avec une maladie. Sa croquemitie ne changeait rien au fait qu'elle avait sa propre personnalité, sa propre vie et ses propres sentiments. Elle ne voulait pas être résumée à sa maladie, à sa croquemitie. Pourtant, dans ses rapports avec les autres, c'était souvent le cas.

– Je suis simplement cueilleuse et herboriste, poursuivit-elle. Je récolte des plantes médicinales et je prépare mes propres remèdes pour les revendre ensuite sur les marchés. Je suis venue au Creux-Lac pour une commande spéciale de plantes, mais ça n'a pas été aussi fructueux que je l'espérais, soupira-t-elle. Maintenant, je rentre chez moi, à Sombre-Bois. Vous connaissez un peu le Marvier ?

Elle souffla encore une fois sur sa tisane et but une gorgée. Encore très chaud, elle sentit le liquide descendre le long de sa gorge. C'était réconfortant.

– Au fait, je suis désolée de vous avoir causé du souci, dit-elle. À cause de moi, vous êtes retardé pour votre truc (elle appuya volontairement sur le mot) au Gravorn et vous n'avez pas vos peaux de renard. Alors quand nous aurons rejoint votre auberge, je vous dédommagerai pour le temps perdu, d'accord ?

Il était une fois un 4 Allune 1100 dans le duché du Creux-lac Information hors-RP :   
Information lancers de dés :

La rainette n'est donc pas une enfant du savoir... Rien d'étonnant d'ailleurs, car elle a raison : ils sont trop sages pour laisser une croquemite les rejoindre. Le risque est trop grand.

-J'vois, oui. Qu'il répond sans entrer trop dans le détails. Lui aussi se méfie, mais moins elle le sait, moins elle pourra le prendre par surprise si, d'aventure, elle compte lui croquer un ou deux mollets.

Il termine sa viande avant de répondre à ses questions.
-J'connais pas bien non... J'y vais peu. Y'a bien trop de grenouilles là-bas. Et elles sont trop malignes et trop curieuses au goût du chasseur... Mais la Rainette est différente, elle est plus simple, sans être simplette et le chasseur se dit que c'est presque triste qu'elle quitte le Creux-lac. Sur la terre de la tolérance, elle y serait plus à sa place, non ?

-Mais si j'y passe, j'penserai à faire un crochet à Sombre-bois.
Il sourit, faussement sincère, dissimulant ainsi le fait que les chances que cela arrive soient quasi-nulles. Il l'a regarde boire sa tisane en se demandant à quel moment elle va enfin admettre qu'elle crève de faim.

-M'avez pas causé de soucis... J'suis pas pressé de me rendre là-bas, de toute façon.
Pas pressé du tout d'ailleurs, mais il sourit à sa remarque sur son "Truc", parce que comme elle dit ça, on a l'impression que c'est une sorte de mission secrète, mais il apprécie qu'elle ne pose pas plus de questions.

Il se rapproche du feu, et après s'être frotté les mains, il les tend vers les flammes, alors qu'elle évoque l'idée de le "dédommager". La remarque le fait hausser un sourcils et la lumière du brasier fait danser sur son visage des ombres amusées alors qu'il ourle le coin de ses lèvres d'un demi-sourire, et, qu'il demande avec un ton qui ne laisse pas d’ambiguïté sur ce qui lui a traversé l'esprit :

 -Me dédommager ? Et a quel genre de "dédommagement" vous faites allusion ?

Oh, elle pense sûrement à des simples lieutons, il s'en doute. Ou peut-être pas. Et l'un comme l'autre saurait satisfaire le chasseur.

-Mais si j'y passe, j'penserai à faire un crochet à Sombre-bois.

Théa rendit son sourire au chasseur. Sincère, contrairement à lui. Ses lèvres restèrent collées l’une à l’autre pour ne pas dévoiler ses canines pointues, mais son expression était au moins aussi radieuse qu’un large sourire. Une alchimie particulière semblait à l’œuvre à cet instant, car la jeune femme se sentait étrangement calme. L’espace de quelques secondes, elle se sentit extrêmement bien. Comme dans une petite bulle qui l’aurait propulsée hors du temps. Mais le grondement hargneux de son estomac fit bientôt éclater son cocon, ramenant Théa à quelque chose de bien plus terre-à-terre.

Non, elle ne se sentait pas bien du tout. Elle avait faim, elle avait froid et la douleur qui pulsait dans son crâne ne pouvait lui faire oublier combien elle était misérable. Aussi gentil pouvait être le chasseur avec elle, il ne pouvait pas faire disparaître tous ses maux. Elle souffla une fois encore sur sa tasse, puis but une autre gorgée de tisane. Cela ne lui remplissait pas vraiment le ventre, mais au moins elle avalait quelque chose de chaud et de réconfortant, ce qui n’était déjà pas si mal. Cela lui permettait de ne pas admettre qu’elle crevait de faim.

Elle haussa un sourcil interrogateur vers Ilclaste lorsque celui-ci confessa qu’il n’était pas pressé de se rendre au Gravorn. Son visage tourné vers lui et ses yeux rivés dans les siens, elle attendit la suite avec une sorte d’impatience et de curiosité. La question « pourquoi » brûlait ses lèvres, mais le chasseur n’en révéla pas davantage. Déçue et frustrée, la croquemite détourna le regard pour observer les flammes.

Est-ce qu’il se donne des airs d’homme mystérieux, sombre et plein de secrets, qui accomplit des missions dangereuses au Gravorn, parce qu’il croit que ça plaît aux filles… ?

Elle pencha la tête de côté, attisa les flammes avec un morceau de bois et l’observa à la dérobée, un sourire mutin s’épanouissant à la commissure de ses lèvres. Elle se demandait quel genre d’homme il était réellement. Il s’était rapproché et réchauffait ses mains près du feu, les ombres des flammes dansant sur son visage. À présent, elle ne pouvait plus s’empêcher de l’imaginer en espion déguisé en chasseur, maladroit avec les femmes et incapable de garder sa couverture. Cela l’amusait beaucoup.

-Me dédommager ? Et a quel genre de "dédommagement" vous faites allusion ?

Théa se redressa doucement pour lui faire face, ne percevant pas immédiatement le sous-entendu.

– Eh bien, je pensais que…

Comprenant l’allusion de son interlocuteur, la jeune femme se crispa. Elle resta figée un instant, observant le sourire retors du chasseur, l’air rusé que cette expression conférait à l’ensemble de son visage. Elle le vit alors sous un nouveau jour. Elle le vit comme un homme qui avait l’ascendant sur une jeune femme vulnérable, isolé au beau milieu d’une forêt. Un frisson glacé remonta le long de sa nuque. Devait-elle avoir peur de lui ? Elle ne s’était pas méfié une seule seconde et n’avait pas réalisé que ses intentions n’étaient peut-être pas désintéressées. Elle ne le connaissait absolument pas, après tout. Il avait beau l’avoir sauvée, elle ne connaissait rien de lui. Il y eut un flottement désagréable, mais Théa préféra continuer de croire qu'elle pouvait se fier à son héros.  

– Je ne pensais pas à ce genre de dédommagement, finit-elle par répondre, non sans une certaine raideur. Mais je pourrais vous donner quelques potions ou quelques plantes médicinales. Vous pourrez les garder pour votre usage personnel ou bien les revendre pour vous payer les services d’une professionnelle.

Elle l’observa avec un sourire en coin. Ses lèvres se courbèrent encore davantage pour lui laisser entrevoir la pointe de sa dentition effilée. Avec un cynisme mâtiné d'espièglerie, elle ajouta :

– De toute façon, je ne pense pas que vous prendriez le risque de laisser les petits crocs pointus d'une croquemite s’approcher si près de...

Elle haussa les sourcils et effectua un signe de tête sans équivoque vers ses parties intimes.

Il était une fois un 4 Allune 1100 dans le duché du Creux-lac Information hors-RP :   
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Le regard attentif, le chasseur avait planté ses prunelles marécageuses sur la jeune femme et observait sa réaction. Sur son visage, dans le pli de ses expression, il vit, une à une, se dessiner les différentes émotions : l'innocence d’abord, puis le choc au moment où elle comprend, qui la porte vers le doute et la méfiance alors qu'elle pose sur lui un regard nouveau qu'il se sent toujours vexé de recevoir : elle est en train de se demander s'il va abuser d'elle.

Il n'en faut pas plus pour que le chasseur commence à se détourner de l’intérêt qu'il lui avait porté, car il n'a pas besoin d'entendre sa réponse pour savoir qu'elle ne répondra pas à sa proposition. Dommage... Songe-t-il alors qu'elle dépouille le dédommagement de toute perspective charnelle au profit d'un aspect ennuyeusement ... végétal. Tsss, bien une réflexion d'herboriste ça ! Barf, il fera avec...

Il attise un peu plus le feu, en y jetant du bois plus humide qui forme une fumée piquante qui le fait tousser, alors que la jeune femme laisse glisser une réflexion qu'il n'a pas anticipé.

"De toute façon, je ne pense pas que vous prendriez le risque de laisser les petits crocs pointus d'une croquemite s’approcher si près de... "

Piqué par la remarque, il reporta son attention sur elle. Pendant une seconde, il se demanda si elle a raison... Prendrait-il le risque de coucher avec potentielle mangeuse de chaire ? Et, aussi rapidement que la question lui était venue, la réponse s'imposa à lui. Il l’énonça aussi simplement qu'elle lui eétait venue

-Non Théa, le seule risque que je ne prendrais pas, c'est d'forcer une fille que n'en a pas envie.

S'époussetant les mains, il se redressa et jeta un coup d'oeil aux alentours. La chienne était toujours en éveille, mais elle est calme. Lui n'entend rien non plus, le mange-corps ne semble pas être dans les parages.

-En attendant, z'avez toujours le ventre vide... Relève-t-il, comprenant, pour une raison qu'il ignore mais qu'il croit comprendre, qu'elle ne l’admettrait pas. Et s'pas avec vos trois plantes séchées qu'vous allez avoir de quoi marcher jusqu'à l'auberge... J'vais voir si je peux pas vous trouver d'la viande crue. Car c'est bien ce que mangent les croquemites non ? De la viande crue.

Le chasseur ne manqua pas de réagir aux derniers propos de la cueilleuse, reportant vers elle un regard qu’il avait détourné quelques instants auparavant. Théa pencha légèrement la tête de côté pour mieux observer sa réaction, pour mieux détailler les subtils changements dans ses traits, et s’efforça de soutenir son regard dont elle nota pour la première fois la couleur singulière. Sa réplique ne tarda pas à claquer comme un fouet. Aurait-elle touché une corde sensible ? Elle ne put réprimer son sourire qui, au contraire, s’intensifia et lui conféra un petit air mutin. La réponse de son héros était agréable à entendre, elle aurait presque éprouvé du remords d’avoir pu croire qu’il représenterait une menace. Presque. Au lieu de ça, elle répliqua tout aussi vivement qu’il l’avait fait :

– Et mettre une fille mal à l’aise avec ce genre de sous-entendu, c’est une stratégie qui s’avère efficace en général ? Pour lui donner envie de coucher avec vous, je veux dire ?

Ses prunelles dorées cerclées de rouge se mirent à flamboyer de malice. Elle ne savait pas vraiment d’où lui venait cette soudaine audace, cette soudaine espièglerie, cette soudaine envie de taquiner le chasseur. Peut-être qu’elle avait apprécié son honnêteté, peut-être qu’elle l’appréciait déjà depuis le moment où il l’avait sortie de cette grotte puante ou peut-être que la fièvre lui faisait tout simplement tourner la tête. Elle brûlait d’envie de lui raconter sa façon d’appréhender le monde, de lui confier comment les gens avaient l’habitude de la traiter, comment les hommes en général se comportaient avec elle.  

« Les hommes que je rencontre peuvent majoritairement se classer en deux catégories : ceux qui sont répugnés à l’idée d’avoir une relation sexuelle avec une croquemite et ceux qui estiment qu’ils peuvent abuser de moi parce que je suis une croquemite. Parce que je suis une personne inférieure qui n’a pas besoin d’être traitée avec le même respect que les autres. Une femme inférieure qui n’a pas besoin d’être séduite comme n’importe quelle autre. J’ai appris à rester sur mes gardes en ce qui concerne les hommes, vous savez. Ils sont capables du meilleur comme du pire. Mais vous voulez que je vous dise un secret, Ilclaste ? Ça ne me dérangerait pas d’être la fille que les hommes courtiseraient, la fille à qui ils voudraient donner envie de passer un agréable moment d’intimité. D’être la fille à qui vous donneriez envie. Mais pour ça, il faudrait faire un petit peu plus d’efforts que des sous-entendus pervers au beau milieu des bois… »

Au lieu de ça, elle se contenta de lui expliquer rapidement et simplement les choses.

– Les hommes qui se sont donné la peine de me séduire et de me donner envie de partager un bon moment avec eux se comptent sur les doigts de la main. Je suis une femme avant d’être une croquemite, mais peu d’hommes sont capables de me traiter dans cet ordre-là.  

Lui-même n’avait pu s’empêcher de souligner à haute voix sa surprise de découvrir qu’elle était croquemite lorsqu’ils étaient sortis de la grotte. Et elle le soupçonnait de croire qu’il pourrait lui prendre l’envie de lui croquer un mollet… Alors il n’allait pas lui faire la morale ou prendre la mouche si elle avait pris peur l’espace de quelques secondes. Dans la voix de Théa, il n’y avait aucun reproche, ni aucune plainte, elle énonçait juste les faits tels qu’ils étaient réellement. Pour preuve, elle continuait de sourire gentiment au chasseur, tout en sirotant le restant de son breuvage.

La conversation revint naturellement vers des préoccupations plus terre-à-terre. À la fois déconfite et honteuse, elle hocha la tête quand le jeune homme énonça qu’elle avait toujours le ventre vide. Elle ne voulait pas admettre les raisons de son silence – il n’avait que de la viande à lui proposer – mais son estomac se chargea pour elle de bien faire comprendre à Ilclaste qu’elle mourait de faim.

– C’est vrai, je meurs de faim, confia-t-elle, penaude. J’ai terminé mes rations de fruits hier soir.

S'pas avec vos trois plantes séchées qu'vous allez avoir de quoi marcher jusqu'à l'auberge... J'vais voir si je peux pas vous trouver d'la viande crue.

Estomaquée par la proposition, Théa ne put empêcher son ventre d’émettre un terrible grognement qui sonnait comme un assentiment à la proposition du chasseur. Rien qu’à l’idée de savourer de la bonne viande crue et gorgée de sang, elle salivait d’avance… Mais une indicible horreur se peignit sur les traits de son visage.

– Non, répondit-elle avec un manque terrible de conviction. Je... Je ne mange pas de viande, je suis végétarienne. J’ai... j'ai juste besoin de quelques fruits sucrés…

Mais même si le chasseur acceptait d’aller à la cueillette à sa place, il serait bien incapable de reconnaître les baies comestibles de celles qui l’empoisonneraient. Elle ne serait pas surprise qu’il lui apporte des baies de belladone à la place de myrtilles ou des baies d’if à la place de cornouilles ou de merises...  

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L'espièglerie qu'il trouve dans la réponse de la croquemite, vient attiser sa verve qui aime trop ce jeu de répliques, pour se laisser distancer :

-Non, pas toujours. Mais les arracher à la mort en les délivrant d'une caverne de Mange-corps, ça, c't-une stratégie imparable.

Il y a dans sa voix, un peu de cette intonation qui se veut outrageusement prétentieuse, mais dans le recoin de la commissures de ses lèvres, on ne peut s'y tromper, il y a bien un sourire taquin.

Car après tout, il ne s'avoue pas vaincu, son charme pourrait finalement faire effet... Quoi que... Si elle est aussi résistante à l'appétit charnel qu'elle l'est à celui qui lui creuse l'estomac, Ilclaste pourrait bien être mort avant qu'elle n'accepte seulement qu'il s'aventure à l'embrasser.

Une réserve qu'elle explique par l'attitude des hommes envers elle. Une explication qu'il pourrait entendre s'il n'avait pas préféré la bousculer un peu en lui répliquant :

-Vraiment ? Parce que vous vous traitez aussi dans cet ordre ? Femme avant croquemite ? C'est pour ça que tu souriez toujours les lèvres scellées ?  

Il plante son regard dans le sien sans se détourner comme pour la défier de nier son observation. A-t-elle conscience du soin qu'il a pris à la regarder réagir ?

Mais aussi observateur est-il, il y a bien une chose qu'il n'a pas vu venir, c'est sa confession ...

"Je suis végétarienne".

Il est trop surpris pour le montrer, mais le rire moqueur qu'il aurait si bien imaginé poindre à ce moment, ne monte pas... Non, la chose ne le fait pas rire... Elle le fait plutôt réfléchir, faisant s'égarer son esprit vers ses propres souvenirs qui lui font répliquer, presque sévèrement :

-Théa, z'êtes malade, avec un mange-corps aux trousses et vous allez devoir marcher deux heures... Des fruits ne suffiront pas. Alors si vous voulez pas finir en viande morte pour mange-corps, va falloir faire une entorse à vos convictions.

La faim justifiait les moyens.  

Théa laissa s'échapper un petit rire amusé et léger, qu'elle réprima en plaçant son poing devant sa bouche et en baissant quelques secondes les yeux pour éviter le regard espiègle de son interlocuteur. Mais elle reporta bien vite son attention sur lui, toujours avec ce sourire mutin dessiné au coin des lèvres.

– Imparable ? releva-t-elle. Vous avez suffisamment l'habitude de ce genre de situations pour affirmer que votre stratégie marche à tous les coups ? Je ne savais pas que c'était une habitude pour les jeunes filles de se faire attraper par les mange-corps...

Elle marqua une courte pause, mais continua de l'observer avec le même air malicieux. Elle doutait fort que le chasseur se livrât à ce genre d'activités aussi souvent que le sous-entendait sa fanfaronnade... En conséquence, pour qu'il pût affirmer sans mentir que sa stratégie était imparable, réellement imparable, il devrait continuer d'être suffisamment charmeur pour que Théa revoie sa précédente prise de position. S'il continuait de se montrer aussi amusant, compréhensif, gentil et héroïque, peut-être que...

Mais Théa n'eut pas le temps d'aller au bout de sa pensée. Son sourire disparut lorsqu'il lui demanda si elle se considérait femme avant de se considérer croquemite, comme elle désirait que les hommes le fassent. Elle n'eut pas le courage de soutenir davantage le regard d'Ilclaste qui semblait la mettre au défi de nier. Non, Théa n'avait pas cœur à le contredire...

Habitée par une soudaine mélancolie, elle détourna les yeux, porta son attention vers la gauche et s'abîma dans la contemplation d'un point fixe et lointain, entre les arbres qui les entouraient. Elle aurait pu être flattée que le chasseur eût été assez attentif à elle pour noter la façon si singulière dont elle souriait, mais son constat ne faisait que la rendre... triste. Les traits de son visage s'assombrirent et son regard perdit tout son éclat pétillant.

– Quand les gens vous rabaissent continuellement, vous finissez par intégrer que vous ne valez rien, confirma-t-elle avec une certaine lassitude. Quand les gens s'acharnent à pointer votre difformité, vous finissez par vouloir disparaître de la surface des Trois-Lieux. Mais comme c'est impossible, vous cherchez simplement le moyen de paraître la moins anormale possible. Pour qu'on vous fiche la paix.

Elle termina son breuvage et secoua sa tasse pour faire tomber les dernières gouttes par terre, puis la rangea avec le reste de ses affaires. À présent, elle avait le coeur lourd et n'avait plus du tout envie d'affronter le regard du chasseur. Il avait pointé ses contradictions et ses failles avec une telle acuité qu'elle se sentait mal à l'aise, presque nauséeuse. Elle se serait bien roulée en boule dans un coin pour pleurer.

Mais elle n'eut pas d'autre choix que de reprendre la conversation.

Théa, z'êtes malade, avec un mange-corps aux trousses et vous allez devoir marcher deux heures... Des fruits ne suffiront pas. Alors si vous voulez pas finir en viande morte pour mange-corps, va falloir faire une entorse à vos convictions.

Déjà retournée par les paroles précédentes du trappeur, Théa sentit les larmes lui monter aux yeux tandis qu'il s'acharnait à lui faire entendre raison. Elle se sentait ébranlée, les nerfs mis à rude épreuve, à fleur de peau, car elle désirait plus que tout manger cette viande crue qu'il lui proposait. Et en même tant, elle ne voulait pas du tout céder à cette pulsion qui la rendait si anormale aux yeux des gens. Elle se redressa en prenant appui sur un arbre afin de pouvoir se mettre à la hauteur du jeune homme. Elle planta son regard humide, mais résolu, sur lui.

– Non, il est hors de question que je mange de la viande !

Plus elle l'observait, plus elle croyait avoir besoin de justifier ce choix. Et plus elle croyait avoir besoin de justifier ce choix, plus elle sentait les émotions gonfler dans sa poitrine.

– Vous ne comprenez pas ! Je le vois bien que vous ne comprenez pas ! Ou que vous ne voulez pas comprendre ! (Elle commençait à sentir poindre une pensée paranoïaque - le chasseur voulait la tester, c'était évident qu'il lui proposait de la viande pour la tester) Je tuerai volontiers pour manger de la viande crue, je crève d'envie d'en manger ! Mais, je ne peux pas ! JE NE PEUX PAS !

Elle s'était mise à hurler, submergée par le torrent dévastateur de ses émotions.

– JE NE SUIS PAS UN MONSTRE ! se défendit-elle avec véhémence, en écho aux propos que sa mère adoptive lui jetait à la figure lorsqu'elle était enfant.

C'était une protestation viscérale, qui venait du plus profond de ses tripes. Ses grands yeux ronds débordaient de larmes à présent. Elle était terrorisée à l'idée de céder à la tentation. Emplie d'une indicible terreur en s'imaginant dévorer cette viande. Devenir un monstre parce qu'elle adorerait ça... Le décor autour d'elle commença à vaciller. Pâle comme la mort, elle se sentit faiblir, prise d'un vertige. Ses jambes se mirent à trembler, prêtes à se dérober sous son poids.  

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Si, comme bien d'autres personnes, Ilclaste avait déjà entendu des rumeurs sur l’émotivité des Croquemites, il s'y confrontait pour la première fois... Ouvrant rond les yeux, il l'a regarda, incrédule, perdre ses moyens.

Et dans ses paroles, une phrase le gifla plus sauvagement qu'il ne l'aurait imaginé. Elle ricocha contre sa conscience, faisant vaciller sa sérénité apparente...


Un monstre... Ainsi donc, voilà ce dont elle avait peur de devenir en consommant de la viande animale ? Mais, si tel était le cas... Que devenait-il, lui ? Lui qui avait consommé bien pire...

Figé par ce questionnement, il remarqua la pâleur de la jeune femme et c'est instinctivement, qu'il la rattrapa. Il aurait voulu lui dire qu'elle n'était pas un monstre, et que c'était pour ça qu'elle avait le droit de vivre... Plus que lui peut-être. Elle qui usait ses forces à résister, là où lui-même s'était à peine posé la question.

Soutenant la tremblante végétarienne, il espérait qu'elle n'avait rien perçu de son émoi et de son questionnement intérieur, quand il aperçu la chienne se lever.

*Le mange-corps* Songea-t-il alarmé.

Mais la seconde d'après, il perçu les pas d'un cheval alors son regard chercha l'origine du bruit, et il vit apparaître dans son champs de vision, un cheval à la croupe généreuse, tirant un chariot chargé de bois.

-Hey mon gars ! J'peux savoir ce que tu comptes faire à cte fille ?! Aboya la femme aux bras démesurés qui tenait les rênes, en mettant le frein.

Il comprit en voyant son attirail et sa carrure que c'était sûrement une bucheronne qui ramenait le fruit de sa coupe au village. Il comprit aussi qu'elle avait dû entendre Théa hurler et qu'elle l'a pensait sûrement en danger...

-Rien. Se défendit-il en voulant raconter l'histoire au début, mais sautant de son assise, la bucheronne qui marchait droit sur lui, ne lui laissa pas en placer une.

-Rien ? C'est ça ouais. Et moi j'suis Sélène Hautiare ! T'crois que j'lai connais pas les gars comme toi, qui traînent les filles dans les bois pour leur faire des trucs ?!

*Mais s'pas possible, j'ai a c'point une tronche de violeur ?!*

-'Coutez...

-Que dalle. Tu t'éloignes d'elle, ou jte la coupe nette. Répliqua la bucheronne en dégainant la hachette qui lui pendait à la ceinture.

*Bordel, c'est qu'elle a l'air est sérieuse en plus cte cervelle de bûche !*

Et puisqu'elle continuait à marcher vers eux à gras pas et qu'Ilclaste sentait bien qu'elle était décidé à lui coller une, il décida d'obtempérer en s'écartant de Théa, espérant qu'elle tienne toujours sur ses jambes...

Théa n’aurait su dire précisément ce qui dans ses paroles ou dans son attitude avait bousculé le chasseur, mais elle vit clairement son expression se figer et son attitude se raidir avant qu’elle ne se sente tomber dans les pommes. Sa vision se troubla, ses jambes se dérobèrent et elle perdit connaissance à peine quelques secondes, mais en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, Ilclaste était venue la soutenir. Elle rouvrit les yeux presque aussitôt, s’agrippant avec force au bras du chasseur comme si elle avait craint qu’il ne l’abandonne. La confusion dura quelques minutes pour elle, mais lorsqu’elle retrouva pleinement ses esprits, elle constata qu’une femme massivement charpentée les avait rejoints et menaçait désormais Ilclaste avec sa hache. Ce dernier relâcha son étreinte et s’éloigna d’elle pour répondre aux injonctions de la bûcheronne.

Théa se colla contre l’arbre pour y prendre appui, lançant au chasseur un regard désolé et dépité. En deux enjambées, la bûcheronne s’était approchée d’elle sans quitter Ilclaste du regard.

– Ça va, ma belle ? Il t’a pas touché ct’animal ? demanda-t-elle en se penchant un peu vers elle.

Mais quand elle quitta enfin Ilclaste des yeux pour regarder la « victime » de plus près, un changement s’opéra dans son attitude. Elle se redressa instinctivement, bomba le torse comme pour se donner une nouvelle contenance, et rangea sa hache à sa ceinture.

– Non, les apparences ne sont pas ce qu’elles sont, cet homme m’a en réalité sauvé la vie.

– Et du coup, j’suppose qu’i’ voulait sûrement un dédommagement, hein ? Tous les mêmes ces pourceaux, maugréa-t-elle en lançant un regard assassin au chasseur, les pouces enfoncés dans sa ceinture. Elle renifla sans élégance aucune, et cracha un peu plus loin.

– Oui… Mais enfin, non, rectifia-t-elle, en secouant la tête. Je voulais dire non, il n’était pas en train de me faire du mal ! Je vous remercie pour votre aide, il aurait pu être en train de le faire... Enfin, pas lui personnellement je veux dire ! Mais un autre homme aurait pu.

Théa implora Ilclaste du regard de ne pas être fâché contre ses propos, elle ne le visait pas personnellement. Comme d’habitude, la nervosité la rendait bavarde et maladroite. La bûcheronne la regardait avec une drôle d’expression sur le visage.

– Mouais, vous, les croquemites, z’êtes quand même de drôles d’oiseaux… Mais t’as une bonne frimousse (Théa commençait à croire qu’elle allait lui pincer la joue comme une vieille femme le ferait à un enfant) et puis entre femmes, on doit s’serrer les coudes, pas vrai ? T’as pas l’air dans ton assiette, j’te ramène quelque part ?

Elle apostropha Ilclaste avec un signe de tête.

– Tu l’accompagnes, j’suppose ?


Théa était assise à côté de la bûcheronne, Ilclaste relégué à l’arrière de la carriole avec pour compagnie Aïka. Cette femme avait sûrement un passif avec les hommes, c’était certain. Elle avait toujours l’air de détester le chasseur quand elle s’adressait à lui, même après les explications de Théa pour laver son honneur. Et elle avait insisté pour que Théa soit à côté d’elle durant le trajet… Par précaution, avait-elle dit. Elle en avait également profité pour lui coller dans les mains un morceau de pain – un peu rassis – qui lui restait. Théa l’avait englouti si rapidement qu’elle n’en avait même pas senti le goût... Le morceau était si petit qu'elle avait à peine moins faim qu'avant, mais c’était mieux que rien. Poussant un léger soupir, la cueilleuse jeta un regard par-dessus son épaule pour observer Ilclaste et lui adresser un petit sourire d’encouragement. Et soudain…


Le chariot s’arrêta brusquement et Théa faillit basculer tête la première vers le chargement de bûches.

– Que se passe-t-il ? demanda-t-elle à la bûcheronne.

– Cte bourrique refuse d’avancer, ragea-t-elle en faisant claquer par deux fois ses rennes.

Le cheval renâclait et piaffait, visiblement nerveux. La bûcheronne serra son frein et mit pied à terre pour aller voir de plus près ce qui chagrinait sa bête. Derrière elle, Aïka se mit à hurler à la mort comme un loup dans la nuit. Le cheval se cabra et se mit à galoper comme si une troupe de morggs étaient à ses trousses, emportant dans sa folie le chariot qui se renversa à la première sinuosité dans la route. Théa fut expulsée sur un tas de mousse qui amortit sa chute. Lorsqu’elle se releva, elle entendit le pas lourd, lent et cadencé du terrible mange-corps. Avec horreur, elle contourna la carriole pour découvrir qu’Ilclaste était enseveli sous le chargement de bois. Probablement mort. Elle hurla de terreur. Et hurla encore de plus belle lorsqu’elle vit le mange-corps apparaître, sa volumineuse face carrée barbouillée de sang. Elle essaya de s’enfuir mais sa cheville blessée l’empêchait de courir… Le monstre réduisait déjà la distance entre eux. Il la rattraperait inéluctablement.



La cueilleuse jeta un regard par-dessus son épaule pour observer Ilclaste et lui adresser un petit sourire d’encouragement. Et soudain…Sa pierre de vie se mit à briller plus intensément, diffusant une lumière rouge autour d’elle. Les yeux de Théa se voilèrent pendant 5 secondes. Au terme de sa vision, elle respirait avec difficulté, mais conserva son sang-froid. Ce n’était pas la première fois que son troisième don se déclenchait, elle savait qu’elle devait garder la tête froide et ne pas céder à la panique. La vision n’était pas réelle. Pas encore. Le charriot s’arrêta brusquement.

– Cte bourrique refuse d’avancer, ragea la bûcheronne en faisant claquer par deux fois ses rennes.

– Nous devons descendre ! Tout de suite !

Elle hurlait ses ordres, non pas comme une personne hystérique mais de façon autoritaire. Devant les airs incrédules, Théa répliqua sèchement :

– Mon troisième don, pas le temps de vous expliquer ! Le mange-corps arrive sur nous, il viendra par le nord-est ! Il faut se dépêcher, il sera là dans cinq ou six minutes !

La bûcheronne descendit à son tour. Derrière elle, Aïka hurla à la mort comme un loup dans la nuit. Le cheval se cabra et se mit à galoper comme si une troupe de morggs étaient à ses trousses, emportant dans sa folie le chariot.

– Mon chariot ! Reviens-là, espèce d’âne bâté ! grogna la bûcheronne qui s’apprêtait à partir à ses trousses.

Théa l’arrêta en lui agrippant le bras :

– Non, le mange-corps ! Vous iriez droit vers lui !

Elle se tourna vers Ilclaste en quête d'un plan. Si l'un d'eux pouvait les sortir de ce mauvais pas, c'était bien lui. Elle avait confiance en lui (mais ça ne l'empêchait pas d'être terrorisée).

Il était une fois un 4 Allune 1100 dans le duché du Creux-lac Information hors-RP :   
Information lancers de dés :
Ilcaste coula un regard haineux vers la bûcheronne. "Animal" ? Non mais elle s'était regardée avant de parler ?!

Puis ce fut à Théa qu'il jeta un regard interloqué. Lui qui avait pensé qu'elle parlerait en son nom, il ouvrit rond les yeux devant ses balbutiements. Elle se fichait de lui ! Il lui avait sauvé la couenne, l'avait soutenu pour la ramener à son campement, proposé d'aller chasser pour elle et pourquoi ? l'entendre dire " qu'il aurait pu être en train de lui faire du mal" ?!

C'était quoi cet argumentaire bancal ? A croire que la Croquemite n'avait pas entendu que l'autre tête de buche avait menacé de le mutiler !! Elle ne pouvait pas faire mieux ? Vraiment ?! Bonjour la reconnaissance.

Sentant la moutard lui monter au nez, il serra la mâchoire en se demandant, pourquoi, déjà, il n'avait pas continué son chemin au lieu de s'intéresser à ce foutu clébard.

Grimpant dans la carriole, il verrouilla ses prunelles verdoyantes sur la bûcheronne qui s'obstinait à le traiter comme un malpropre en le reléguant à l'arrière de la carriole, alors qu'elle insistait pour que la croquemite vienne à ses côtés.

Fronçant les sourcils, le chasseur regarda Théa obtempérer sans opposer de réelle résistance. Furieux d'être, ainsi, laissé sur le côté, il se calma en offrant à la chienne quelques caresses. Elle au moins, ne le traitait pas comme un criminel.

Souffrant de l'inconfort de la pleine carriole, il s'abîma dans ses noires pensées... L'injustice de la situation, cette condamnation gratuite lui rappelait trop sa condamnation Vissomort.

Il n'était pas un violeur, bon sang. Jamais ! Il avait encore trop en tête, les longues plaintes de la condamnée de l'autre cellule qui avait subit, vivante ou morte, les assauts de son partenaire de cellule...

A ce souvenir, un frisson glacé lui figea les reins. non, il n'était pas un violeur... Mais un Monstre d'une autre espèce. Un Monstre qui avait consommé de la viande humaine...

Et comme à chaque qu'il y repensait, il frissonna en se répétant : qu'il n'avait pas eu le choix... Non, vraiment. C'était ça ou mourir...

Sentant peser sur lui le regard de Théa, il refusa de lui accorder son attention. La croquemite avait choisi son camps. Et, si elle avait peur d'être un monstre en consommant de la viande animale, alors, que penserait-elle de lui ? Le cannibale. Il ne voulait même pas le deviner.

Brusquement,Le charriot s'arrêta, et basculant contre les buches, Ilclaste poussa un juron, mais comprit rapidement la situation. Sautant de la carriole, il recula en fixant les arbres là où Théa avait indiqué que le mange-corps arriverait...

Il vit les deux femmes se tendre elle aussi... Et, en les regardant, il se détendit brusquement en retenant un sourire.

Théa chercha son regard et la bûcheronne se tourna aussi vers lui en lui jetant un "Alors, qu'est-ce qu'on fait ?"

Courbant un sourcil Ilclaste répéta un innocent :
-"On ?"

Voilà, maintenant qu'elles avaient besoin de ses flèches, elles se tournaient vers lui. Prenant une pose non-chalente, la main posé sur le carquois qu'il avait à la ceinture, il savoura sa vengeance en répliquant :

-L'mange-corps vient pour "elle". Alors pour ma part j'vais rentrer au village... Quand à vous... je sais pas, vous z'avez qu'a ... Je sais pas moi, "vous serrer les coudes, entre femmes."

Un sourire narquois sur les lèvres, il apprécia l'image de la fureur qui se dessinait sur le visage de bûcheronne alors qu'elle comprenait qu'il allait les planter là. Fidèle à la réaction qu'il imaginait qu'elle aurait, elle vira au rouge en lui crachant un :

"SALE BÂTARD"

Qu'il laissa couler avec un sourire amusé :

-Comme tout les sang-blanc, ma chère. Bonne chance avec le Mange-corps. Si tu vises bien ptetre que t'arriveras à la lui "couper nette", à lui aussi.

S'entendit-il répliquer, alors qu'il tournait les talons pour s'éloigner. Non loin de là on entendait le mange-corps briser les branches sur son passage...

L’incrédulité figea les traits du visage de Théa, ses lèvres entrouvertes formant l’expression de son désarroi et de sa surprise. Plus que la trahison, l’abandon et la perspective de mourir broyée par l’immense mâchoire d’un mange-corps, ce fut le détachement méprisant du chasseur qui parlait d’elle à la troisième personne qui occasionna à la petite croquemite le plus de dégoût. La nausée lui donna un goût d’amertume dans la bouche tandis que son esprit tournait et retournait la situation dans tous les sens sans lui donner la répartie nécessaire pour répliquer quoi que ce soit. Devait-elle l’implorer de les aider ? L’insulter de tous les noms d’oiseaux qui lui passaient par la tête ? Lui demander pourquoi il agissait comme la pire sous-merde de l’humanité après l’avoir sauvée un peu plus tôt ? La bûcheronne trancha pour elle.

— SALE BÂTARD !

N’écoutant même pas la réponse du chasseur, Théa s’agita furieusement, emportée par la panique. Elle se mit à farfouiller dans sa besace avec frénésie. Son corps tout entier tremblait de peur. Ses mains remuaient de manière désordonnée et confuse, fourrageant sans délicatesse parmi les fioles qui s’entrechoquaient sous leur passage. Elle extirpa plusieurs flacons qu’elle déboucha à la hâte et aspergea leur contenu sur sa tête, ses bras, ses mains et son torse. Un mélange écœurant de diverses essences médicinales – menthe poivrée, agrumes et herbes aromatiques – l’enveloppa. Masquer son odeur était la meilleure chose à faire si elle voulait tromper l’odorat du monstre et essayer de le semer. Sans un regard pour Ilclaste qui tournait les talons, elle braqua ses prunelles vers la bûcheronne, son dernier espoir d’avoir un peu d’aide. Si elle ne s’adressait pas au chasseur directement, et même si sa voix chevrotait à cause de l'émotion, Théa prit néanmoins la peine de parler suffisamment fort pour qu’il entende chaque mot qu’elle prononçait.

— Il ne fallait pas en attendre davantage d’une sale petite raclure vornoise. Ce sont des ordures qui se comportent comme les pires animaux. Vite, allons nous cacher.

La bûcheronne cracha avec dégoût pour souligner les propos de la petite cueilleuse, puis tout s’enchaîna très rapidement. Sans comprendre ce qui se passait, Théa se retrouva catapultée sur l’épaule de la bûcheronne dont les jambes scintillaient d’un halo doré. Même sans l’activation de sa pierre de vie, elle était suffisamment costaude et Théa suffisamment poids plume pour qu’elle puisse la porter comme un vulgaire sac à patates, mais la magie de Naâme leur permit de creuser rapidement une distance conséquente entre elles, le chasseur et le mange-corps, en une quinzaine de secondes à peine. Aïka dut courir comme un drakalon pour suivre leur trace. Elle les rejoignit la langue pendante et le souffle court.    

Les deux femmes se cachèrent dans une cavité naturelle, dissimulée par de grosses racines et des buissons épineux, puis attendirent en silence. Théa avait entouré ses jambes de ses bras et ne pouvait s’empêcher de grelotter de froid, de fatigue et de peur. L’attente était un calvaire pour ses nerfs et des larmes de frustration, de stress et de rage coulèrent sur ses joues sans un bruit. Elle n’arrivait pas à croire qu’Ilclaste avait retourné sa veste sans sourciller, sans une once d’empathie ou de remords. Elle avait été bien bête de le prendre pour un héros. Tout ce qu’il avait espéré, c’était une récompense en nature ou en espèces sonnantes et trébuchantes, et quand les choses s’étaient corsées, il avait dû estimer que le jeu n’en valait plus la chandelle… Elle avait été naïve de croire qu’il l’avait aidée par charité d’âme, uniquement pour ses beaux yeux jaunes. Quelle idiote !

Une heure, peut-être même deux, s’écoula. Quand elles estimèrent que le mange-corps devait être parti assez loin pour ne plus représenter un danger, la bûcheronne et l’herboriste sortirent de leur cachette. Elles marchèrent jusqu’à retrouver le cheval et la carriole, miraculeusement intacte et encore sur ses roues, puis regagnèrent la chaumière de la bûcheronne, toutes deux éreintées, épuisées mais disposant encore d’assez d’énergie pour insulter copieusement tout le temps que dura leur trajet le pleutre qui les avait abandonnées.