[4 BELLUNE 1100] Quête : Se mettre en selle !

Il était une fois, dans un grand château dans la magnifique ville d’Albatra, vivait un…
STOOOP ! Tu t’es cru dans un conte de fées là ? Allez, du vent, petite chose, je raconte beaucoup mieux que toi.

Nous sommes le quatre Bellune de l’an mille cent. Le château d’Albatra est en fête aujourd’hui, la Reine Hautiare a tenu à célébrer l’anniversaire de son fils héritier en grandes pompes. Pour l’occasion, petits fours de chefs et gâteaux de maître, grands lustres illuminés et couverts de porcelaine filigranés de dorures. Les verres en cristal ont été placés avec minutie en forme de fontaine sur la grande table du banquet, et tout le monde – ou presque – se demande par quel miracle ils tiennent en équilibre les uns sur les autres. Un nombre incalculable de petits majordomes se sont vus promus au rang de… serveurs royaux ! Et les plus craintifs d’entre eux serrent tous les fesses à l’idée d’aller décrocher le premier verre à servir, espérant désespérément que la muse « Maladresse » ne sera pas au rendez-vous ce soir. Un banc de musiciens a été installé dans le coin ouest de la salle de réception, leurs notes semblent pour le moment destinées à gratouiller les vers des invités aux plus petits balais dans le cul.

Tenez, parlons-en d’ailleurs, des invités ! On retrouve l’une des cousines de la famille royale, la rondouillarde Enola Derivel, du comté de Gravorn. Elle serait presque jolie, si elle n’était pas déjà en train de s’empiffrer de fins canapés, à moitié étouffée par le bustier de sa robe qui la saucissonne comme un rôti qu’on serait en train de fourrer aux miettes de poisson qui se perdent dans son décolleté. Pauvre fille. Ahh, et voilà le gratin des érudits, qui miment leurs mots plus qu’on ne les entend, mais qui semblent étonnamment bien se comprendre entre eux, grand bien leur fasse ! En regardant bien, vous apercevrez le jeune Dorian Narcisse, cet être solitaire en mal d’amour paternel qui s’ennuie entre deux lignes de sa misérable vie (ne dis pas le contraire, j’ai lu ton journal !). Qui d’autre ? Eh bieeeen, tenez, un autre gosse de riches ! Khasakham d’Acrimée, le genre de preux chevalier servant qui pourrait gober facilement une mouche à force de rêvasser (tu nous diras un jour quel goût ça a !).

Et enfin, perdu au milieu de cette foule d’inconnus ou de gens trop peu familiers, le petit Prince, Valérian, plus si petit blondinet que ça, à présent. À l’heure de faire le grand plongeon au sein de cette marée humaine, il y a pourtant un imprévu de taille qui vient semer la panique ! Le petit prince a perdu son cheval de bois, un petit grigri confectionné par son frère, feu Aragon (tout le monde fait « haaanw, pauvre enfant ». Merci.). C’est une catastrophe ! Il faut à tout prix le retrouver avant que toute l’attention ne soit définitivement portée sur lui !
Allez, courage, votre Majesté, après tout, la soirée ne fait que commencer, et qui sait quelles surprises (à part moi), elle peut encore vous réserver.

Les soirées mondaines… pourquoi avait-il fallu qu'il naisse dans une famille aussi renommée que les D'Acrimée ? Lorsque ses parents avaient mandé un messager pour lui rappeler qu'en sa qualité d'héritier – comme bon nombre de ses cousins et cousines – il était tenu d'assister à l'anniversaire du prince Valérian, Khasakham avait tout fait pour y échapper. Mais hélas, il était des sacrifices qui incombaient aux plus valeureux… endurer une telle épreuve en faisait partie. C'est sans enthousiasme que le jeune homme avait pris le chemin du Marvier. Chemin faisant, il avait eu le loisir de vivre mille et une aventures rocambolesques, et était arrivé de moins méchante humeur à Albatra. Les pensées de Khasakham filaient encore plus vite que des nuages charriés par le vent d'automne.

Attablé parmi les convives, le jeune homme écouta le prince avec un sourire bonhomme. Le vin lui chauffait les oreilles et il se sentait d'humeur joyeuse ce soir. L'absence de son cousin Rael en était sans doute la cause : ses responsabilités au sein de la Garde de Saphir l'empêchaient d'être présent ce soir. Quel dommage !

Autour de lui, de riches entrepreneurs et d'autres grands noms issus de la noblesse bavardaient avec plus ou moins d'entrain. Tous coulaient des regards réguliers vers l'héritier de la couronne, rappelant à Khasakham la tâche qui lui incombait. Il s'excusa auprès de la baronne à qui il contait les défis que lui avaient fait endurer cette Maâliste au Creux-Lac – défis qu'il avait relevé avec succès, évidemment. La brave dame parut soulagée de le voir prendre congé, mais ce détail lui échappa. C'est d'un pas qui se voulait assuré – mais dans les faits, un peu chancelant – qu'il avança jusqu'au jeune prince.

– Votre Altesse, fit-il en s'inclinant respectueusement. Combien de fois ses parents lui avaient-il fait répéter cette courbette ? Et combien de fois s'était-il esquivé pour aller manier le sabre dans le jardin ?... Permettez-moi, au nom de toute la famille d'Acrimée, de vous souhaiter un agréable anniversaire !

Khasakham n'avait pas réalisé que d'autres courtisans attendaient déjà pour s'accaparer quelques minutes du prince. Plusieurs nobliaux le fixaient d'un air courroucé, parlant bien mal de ses manières impolies. Etait-ce le vin, la liesse ou la musique des troubadours ? Il ne les entendit guère.

– Je suis Khasakham, Khasakham d'Acrimée, ajouta-t-il au cas où cela n'aurait pas été assez clair. J'arrive tout juste du Creux-Lac, et vous n'avez pas idée des aventures que je saurais vous conter !

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Il marchait de biais, jetant un regard latéral, évasif à cette foule qu’il comptait observer de loin seulement. C’était bien la première fois que son père lui laissait les bottes lestes et mains déliées pour assister à un événement de par sa propre personne. Pas de surveillance, pas de contrainte, un peu de liberté, une brise d’air un peu frais pour une fois. Ce n’était pas pour lui déplaire, bien au contraire, si salir le nom des Narcisse en présence de son paternel est un plaisir véritable, en porter fièrement les couleurs sans l’aval de ce dernier égale l’intérêt qu’apporte l’héritier à ces deux loisirs.

De temps à autre, il cessait sa marche, sortait son carnet et son crayon, imprimait quelques écrits sur les gens et leur comportement parmi l’essaim et, sans jamais oublier d’esquisser un fin sourire, il refermait la couverture. Cette étude-ci s’avérait … productive. Jamais l’inspiration n’avait autant coulée d’un sujet aussi fourni, tant en échantillons d’âmes on ne peut plus peu ordinaires qu’en sang royal ! Ce n’était pas rien que d’analyser le comportement ô si superficiellement altier d’un héritier de sang non pas noble, mais bien de la couronne. Le jeune prince semblait toutefois … peu assurant, quelque chose semblait lui prendre la tête. Enfin, en bon héritier d’une cause dont il ne veut pas, Dorian ne pouvait qu’offrir sa compassion au bougre. Il est parfois dur de n’être qu’un humain à certains grades de la société, l’écrivain ne le comprenait que bien trop.

Quoi qu’il en fût, au moins l’aîné des Narcisse comprit la raison de sa présence au sein de ce hall, certes, peu méprisable, mais bel et bien … mondain. N’était-ce là que le résultat d’un anniversaire ? Parlez donc d’une folie des grandeurs, les royaux vous diraient que ce n’est que coutume, la pègre répondrait que leurs nobles habitudes sont l’argent que le peuple n’a pas. Enfin, l’argent et ses dilemmes n’avaient que peu d’intérêt pour Dorian, mais la manière dont les gens se comportaient autour … ça c’était une autre paire de manche, bien plus attrayante, bien plus mystérieuse. Il continue donc de se balader, s’arrêtant occasionnellement d’une oreille à l’autre pour ne pas tenir le discours qu’un certain père, non-présent à la cérémonie, lui a ordonné sur une tonalité serve de présenter à chaque convive pour la bienséance de sa présence au sein du hall.

Heureusement pour lui-même, comme pour son imbécile de paternel, Dorian écrivait aussi bien les mots qu’il les déclamait. N’est auteur que celui qui fait suivre ses pensées de sa plume, mais l’orateur dans l’âme du jeune Narcisse n’était pas abattu, bien que souvent silencieux. Qu’y pouvait-il ? On lui accordait une réputation souvent sinistre, et pour l’instant, le peu de personnes à l’avoir approché sont soi des nobliaux en relation d’affaires avec son père, soit des bonnes âmes qui s’étaient déjà absoutes de la frontière de l’apparat avec le jeune homme. Dans les deux cas, il faisait preuve d’une courtoisie enviable des plus fervents courtisans. Mais … qu’importe son assurance démontrée, du coin de l’œil, son instinct lui avait envoyé la vision d’une jeune femme qui le mirait d’un œil dont l’émotion n’était que bien trop visible. Si Dorian était courtois, il n’en était pas moins le plus maladroit aux affaires de cœur. Enfin, ce n’était pas comme s’il s’y était déjà essayé, quel est le pire qui pourrait arriver ?

Pourquoi fallait-il toujours que les choses tournent autour de son si talentueux cousin ? Khasakham sentit une habituelle chape d'amertume tomber sur lui et ternir son humeur lorsque le prince évoqua le nom de Rael. Même en son absence, son rival brillait par ses prouesses et sa renommée. Ravalant sa jalousie comme on s'oblige à manger un plat que l'on apprécie peu, le jeune homme se força à répondre d'un ton léger – ses poings crispés ne trompaient cependant personne :

– Non, je préfère garder mon indépendance. Si mon cousin et moi sommes animés par la même soif de servir et de protéger, nos méthodes diffèrent. Je goûte fort peu à l'autorité : garder ses pas et sa conscience libres, voilà me devise !

Cela était un pieux mensonge, car si vraiment devise il s'agissait, Khasakham venait de l'inventer à l'instant. Mais son aplomb n'en souffrit aucunement, et il sourit en emboîtant le pas à l'héritier qui s'éloignait du gros de la foule. Avait-il perçu son souhait de poursuivre leur conversation, ou voulait-il juste fanfaronner comme à son habitude ? Difficile à dire.

– L'ambition de mon cousin n'est un secret pour personne. Je lui souhaite de réussir à grimper les échelons de la Garde, bien sûr… mais je poursuis un but plus altruiste. Voyez-vous, votre Altesse, j'ai échangé mes bottes poussiéreuses pour ces chausses plus adaptées à l'événement – de quoi aurais-je eu l'air si j'étais venu à votre anniversaire vêtu comme un vagabond ? Mais cela prouve bien une chose : la splendeur, le grandiose, la gloire… tout ça n'a aucune importance. On peut faire beaucoup de bien autour de soi en se contentant de venir en aide à son prochain, sans chercher à surpasser tous les autres. Je suis sûr qu'en votre qualité d'homme sage et distingué, vous partagerez mon opinion !

Cela aussi, c'était faux. Khasakham rêvait ardemment que son nom soit connu aux quatre coins des Trois-Lieux, et que les mères content à leurs fils ses exploits. Il voulait la célébrité, il voulait la gloire. Il voulait devenir un héros. La seule raison pour laquelle il n'avait pas osé s'engager dans la Garde de Saphir, c'était car l'idée d'avoir Rael comme supérieur le mettait hors de lui. Plutôt dormir sous la pluie qu'obéir à ses ordres !...

Khasakham baissa la tête tandis que le prince soulevait une tenture qui dissimulait une porte fort bien cachée. Un passage secret ? Attendez un peu que Grand'Ma et les autres apprennent qu'il avait été guidé par le prince héritier dans les dédales cachés de son palais ! La célébrité commençait certainement par là, le jeune homme en était certain.

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Dorian n’avait eu le temps que d’une modeste expiration, avant qu’il ne le sache il fut entrainé dans une danse contre son bon gré et pourtant, quelle volonté il avait investi pour fouler la piste du pas. La demande avait été directe, le ton, mâché du plus doux miel que la voix d’une femme pouvait articuler. La lueur dans le regard de la gente dame n’avait d’égal que le soleil qui brillait dans celui de sa mère, qui, visiblement, semblait fort aise d’avoir dégoté un homme pour mener des rondes avec sa progéniture. Le pauvre héritier, lui, coincé entre sa volonté de faire plaisir à cette jeune femme, qui, par ailleurs, lui enserrait un peu trop intensément la nuque, et son besoin de constamment analyser les expressions sur les visages des convives. Curieuse chose pourtant que cette peur de sonder celle de sa partenaire de danse.

La dénommée Elona était à premier abord d’une compagnie forte agréable, une conversation alimentée par une objectivité que l’on envierait à la justice même de Marvier. Seule ombre au tableau, une génitrice à l’image du père de Dorian, beaucoup d’attentes, plus de déception en réserve encore. Fait était que sa nouvelle « amie » n’avait pour don que la parole, son pas avait beaucoup à lui envier. Le rythme était faux, les mains sur son cou, tremblantes, l’air sur son visage, presque inquiet, le regard de sa mère lui pesait sur ses épaules comme un frisson coule le long d’une échine. Pour empirer la situation, l’altier prince semblait s’évader accompagné d’un convive inconnu. Le jeune homme ne comptait pas le laisser s’échapper ainsi, pour une fois que l’occasion se présentait à lui, il ne souhaitait pas la délaisser.

- Mille pardons, Elona, mais je dois m’absoudre d’urgence de votre compagnie, bien contre mon gré, j’en ai peur. Vous direz à votre matrone que je suis attendu par son Altesse, quant à vous, j’espère retrouver bien vite le plaisir de votre compagnie.

Il arrêta finalement de tourner parmi les courageux valseurs qui restaient encore sur la piste, alors qu’il reculait doucement en adressant un sourire à sa comparse de danse. La mère, elle, semblait désapprouver cet acte de retrait, mais Dorian lui adressa néanmoins un poli mouvement de tête, inclinant de l’obligation de se plier à ce repli stratégique. Il traversa la foule jusqu’à l’alcôve où le duo de noblions avait fui, bien décidé à analyser la personnalité que dissimulait cette couverture du prince. Attrapant un verre d’alcool léger au passage, il s’effila dans la conversation aussi finement qu’une plume, sifflant son breuvage du bout des lèvres.

- Bien le bonsoir, Votre Altesse, Monsieur. Je m’appelle Dorian, fils aîné de la famille Narcisse …

Il tendit machinalement la main, habitué aux accords commerciaux scellés ainsi.

- … producteurs de textile et vendeurs hors pair … bla bla bla, bref, plus intéressant encore, parlez-moi de vous, votre Majesté, n’est-ce pas excitant, toute cette atmosphère dehors ? Et en votre honneur de surcroît ! Bien que je sois presque certain que tous l’ait oublié.

Un passage secret ! Ça ne pouvait être que ça, Khasakham en était persuadé. Son cœur s'emballait d'excitation, attendant que le prince Valerian lui commande de passer le premier, lui faisant promettre de veiller à sa sûreté à grands coups d'épée. Qui savait après tout quelles créatures menaçantes pouvaient se terrer dans ces couloirs sombres ?...

Le jeune homme en était là dans ses pensées lorsqu'un inconnu s'avança sans se présenter. Il s'adressa au prince en l'ignorant totalement, et Khasakham se mordit la lèvre en croisant les bras, vexé. L'attitude de cet impoli lui rappelait beaucoup Rael. Combien de fois son cousin avait-il feint de ne pas le voir, pour l'humilier devant les autres ? Le jeune aventurier décida aussitôt que, qui que soit cet inconnu, il ne l'aimait pas beaucoup. Chose qui l'agaçait aussi, c'était que ce type parlait bien. Il maniait les mots comme personne, un art que Khasakham s'efforçait de maîtriser. Il trouvait que ça donnait l'air intelligent. Et un peu poète, aussi.

Il fut soulagé quand le prince se tourna vers lui. Au moins, il n'était pas soudainement devenu invisible aux yeux de tout le monde. Après que le prince l'eut présenté, Khasakham lâcha simplement, d'un ton peu amène :

– Bonjour.

Il n'avait même plus envie de fanfaronner. Le jeune homme leva les yeux au ciel quand le prince proposa à l'autre gaillard de les accompagner : voilà qui gâcherait certainement la fête ! Mais c'était la volonté de son Altesse, après tout : avait-il réellement le choix ? Khasakham hésita un instant à les abandonner pour rejoindre les festivités -après tout il restait du pudding et bien d'autres mets alléchants sur la table - mais y renonça. Hors de question de laisser toute la place à ce... comment était-ce, déjà ? Monsieur Narcisse ?... C'était bien un nom de jeune coq prétentieux, ça. Au moins, le prince avait refusé de lui serrer la main. Ça prouvait qu'il n'était probablement pas le seul à peu apprécier l'énergumène. Cette idée lui fit un peu de bien, et il ajouta en bombant le torse :

– Mais oui, Sieur Narcisse, joignez-vous à nous. Votre présence sera des plus... rafraîchissantes. Nous bavarderons à l'aise, je suis sûr que vous avez vous aussi vécu quelques épopées qui valent d'être racontées.

Il espérait bien que non. Ce soir, c'était son tour de briller. De toute manière, vu l'air dégingandé et pâlichon de ce Dorian, il y avait peu de risque qu'il soit habitué à courir les routes pour jouer au héros. Ça, c'était son domaine.

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571 mots - marrant comme mot ça, atrabilaire °°
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Dorian leva un cil à la main tendue vue refusée par la majesté de l’altier égo … pourtant bien moins démesuré qu’attendu auquel il faisait face. Cela valait mieux qu’un juron et un congé, se dit-il, mais cela n’avait aucunement la valeur qu’aurait eu la saisie de sa main. Il retira donc sa paume, bien décidé à ne pas la compenser par une de ses révérences de boniche dont la coutume lui importait que bien peu. Il y avait une certaine tension dans l’air qui, aussi oppressante fut elle, ne dérangeait aucunement le jeune héritier, il avait l’habitude des climats orageux, avec un père comme le sien, c’était un prérequis. Etonnant, d’ailleurs, que lui ait été envoyé à la place de Lyne. Elle était bien meilleure oratrice que lui ne l’était et, surtout, aurait eu l’avantage de la séduction face à deux hommes qui semblaient … naturellement désemparés.

En plus d’arborer une façade absolument perdue, le duo masculin « devisait aventures ». Dorian oscillait entre l’hypothèse des rêves de jeunesse, ou bien de l’excès de virilité dans les deux individus. Etait-ce une mode qu’il avait loupée ? L’aventure n’est bonne que pour ceux qui ne sont pas contents de ce qu’ils ont, alors, un prince ! Y avait-il donc un recul qu’accordait ce sang royal vis-à-vis de sa fonction future ? Intriguant, vraiment intriguant. Son attention se porta alors sur l’autre personnage, qu’il n’avait négligé que de la salutation. Si ce n’avait pas été le prince qui avait déporté son attention sur lui, mais bien le bonhomme même, il aurait été convaincu que ce dernier était atteint du syndrome de l’imposteur. Mais comme ce ne fut pas le cas, et pour ne pas répéter la légère gêne précédente, il lui accorda un mouvement de tête poli.

Son regard se raffermit d’ailleurs à la remarque de ce Khasakham, sans jamais s’ôter de son sourire que certains qualifieraient de suffisant, mais que lui voue à la passion. Il avait devant lui deux cas d’exception, l’un paraissait on ne peut plus ingrat de son ascendance royale, l’autre en sévère crise d’égo. Dorian savait que la compagnie de ce duo serait certainement très passionnante en matière d’étude sociale … autant abandonner l’interaction maintenant, cependant, ces deux lurons n’avaient pas l’air bien éveillés.

Cela se confirmait par la remarque subsidiaire du noblion, qui semblait … un peu troublé ? Quoi qu’il en fût, les traits de son visage ne semblaient pas s’accommoder à la courtoisie, était-ce parce qu’il avait interrompu un moment privé entre les deux coquins ? Peut-être y avait-il quelque chose de plus qui se passait entre ce duo. L’idée traversa l’esprit de Dorian … et elle y resta nichée, lui arrachant un sourire en coin plus accentué encore que ce qu’il avait arboré jusqu’alors. Oh, son instinct d’emmerdeur s’était éveillé, la même seconde nature que son père déteste, sa fâcheuse manie qu’il avait de tout questionner et se cantonner à sa vérité.

- J’apprécie votre considération, Khasakham, mais, pour être tout à fait honnête, l’aventure n’est pour moi que l’attrait du garnement et l’idéal de l’utopique. A quoi bon rêver d’aller chercher le bonheur au bout du monde, si on peut le trouver chez soi … - il leva un regard se voulant suggestif - … à moins que justement, on ne l’y trouve pas.

Et il conclut sa remarque par un sourire exacerbant d’un sarcasme pas aussi cruel qu’il aurait pu l’être.

Ah, quels grands malheurs que ceux d’un prince ! Il fallait bien au moins un ou deux valets à ses côtés pour l’aider dans son importante quête du Gr… cheval de bois. Un à chaque bras, pas de jaloux ! Et en tout discrétion avec cela. Vraiment ?

C’était sans compter la pauvre Enola, délaissée en plein milieu de la piste avec pour seule compagnie le lacet du corset de sa robe qui commençait à bien lui peser. Et de la Dame sa mère qui était restée complètement désabusée par un espoir trop vite envolé. La matrone avait suivi des yeux le Narcisse. À cœur perdu, grand désespoir, elle avait pointé furtivement le trio d’un doigt vengeur à l’un des hommes rangé sagement comme une pièce d’échec oubliée. « Rattrapez-le » suppliait-elle, « ma fille vient de perdre son cavalier ».
Ce n’était pas le teint mat rougi de la mère qui avait convaincu, non, mais plutôt l’aperçu des mèches blondes qu’il aurait reconnu entres toutes (si, si, faites semblant d’y croire).

La silhouette s’éloigna donc, abandonnant mère et fille sans se retourner, pour rejoindre rapidement le trio.

« Votre Altesse ? Tout va bien ? Dois-je avertir votre Mère que vous vous absentez quelque temps ? » demanda-t-il, l’air soucieux.

Le majordome royal avisa l’un et l’autre des accompagnants du prince. Avertissement, ou simple observation ? Il attendait en tout cas une réponse de l’héritier.

Guy regardait sa petite Seigneurie d’un air soucieux. Ce n’était pas le genre du Prince de se faufiler entre les murs en compagnie de deux … hommes. De femmes non plus d’ailleurs, mais il aurait préféré. Car voilà qu’en plus, le petit blondinet lui quémandait des coupes de champagne et quelques canapés. Un bon accompagnement pour un sandwich double testostérones !
Par Naâme, il espérait sincèrement que l’héritier ne prévoyait rien de trop osé. Ou plutôt, que ceux qui l’accompagnaient n’oseraient rien de trop prévoyant !
De toute façon, il fallait qu’il lui soustraie l’un d’entre eux.

« Avec plaisir, Monseigneur. Cependant, je crains de devoir vous soustraire de la présence du sieur D’Acrimée. »

Puis regardant l’intéressé.

« Messire, quelqu’un vous a demandé aux portes du palais. Un dénommé… Raël, si ma mémoire est assez bonne. »

Le dandy voyageur sembla sensiblement s’offusquer, mais se garda bien d’en faire profiter le Narcisse qui n’aurait que trop aimé le voir s’ébrouer. Aussi, il s’inclina devant le petit prince avant de s’excuser et de suivre le majordome.

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Grossier ? A aucun instant Dorian ne s’était senti insultant, un peu coupant, tout au plus, mais pas de quoi blesser l’égo d’un gentilhomme tel que ce bon Khasakham. Le prince avait toutefois un point, on ne cultive jamais sur les mêmes terres, comment pourrait-on obtenir les mêmes légumes ? Ce n’était que bonne guerre, il adressa un sourire se voulant amical à son pair noblion, l’accompagnant du clin d’œil du « sans-rancune ». Aucun sarcasme n’était voulu, bien évidemment, Dorian n’était pas mesquin au point de désirer s’attirer les foudres de quelqu’un qui saurait certainement bien mieux manier le fil de la lame que sa propre personne. Les mots étaient toujours bien plus aiguisés, de toute manière.

Enfin, le sort voulait que ce conflit n’ait pas lieu. Une intervention divine sans doute, avait la meilleure explication pour poser des mots sur la scène à laquelle le jeune héritier assistait, sans oser prononcer des paroles qui pourraient compromettre la légitimité de sa présence aux côtés du prince. Il y avait encore bien des choses sur lesquels il voulait porter son étude, arrêter la fête aussi tôt aurait été bien dommage. Quelques surprises s’immiscèrent cependant dans la bibliothèque de songes que Narcisse s’amusait à entretenir. La première concernait l’indépendance limitée du prince, un sang royal ne pouvait-il donc pas entreprendre quelques pas hors d’un hall sans que l’on ne sonne les cloches de la reine ? Dire qu’il pensait son propre père pesant, heureusement que ce dernier n’était que marchand, et non pas roi.

La seconde surprise en vint à la réaction du prince … mais de quel prince s’agissait-il exactement ? Où était l’autorité des puissants ? La fermeté des audacieux ? Le discours cardinal ? N’y avait-il donc que cela, un enfant apeuré pour les contenter ? Dorian s’était toujours su une disgrâce pour sa famille dans son comportement désintéressé et suffisant, voir ce compatriote du genre d’un point de vue extérieur vint lui ouvrir les yeux sur à quel point il devait être insupportable pour sa propre lignée. Une lumière subite éclaira son esprit, et l’espace d’une fraction de seconde l’ingrat qu’il était se vit sous un nouveau jour. Drôle de malaise … il décida de ne pas en tenir compte.

Enfin, le tiers de leur compagnie se vit faucher par la majordome. Regrettable, oui, au-delà de son attitude arrogante, Dorian aurait tout de même bien voulu entendre ces contes, plus de connaissances équivalaient à un horizon imaginatif plus vaste. Une opportunité loupée, ce n’est jamais qu’une partie remise, ou du moins, il l’espérait. Mais outre le départ du vagabond, quelque chose n’allait pas. La main de l’héritier n’arrêtait pas d’effleurer la surface de la pierre sous son manteau, étrange, pourtant il ne se sentait pas le moins du monde angoissé, pourquoi une telle manie ? Ce détail était valable d’être outrepassé, autant se focaliser sur le prince, puisque seul lui demeurait désormais.

- Votre Altesse, j’ignore quelles raisons vous et Khasakham aviez pour vous soustraire à l’assistance, mais sachez que ce serait mon honneur de poursuivre son office. - Il esquissa un sourire poli. – En aviez-vous donc marre de devoir supporter les brailleries des courtisans ?

Il ne saurait certainement pas à quel point Dorian pourrait le comprendre, si c’était le cas. Quoi de pire que d’entendre les mêmes phrases ornées de flatteries vides, censées amadouer le cœur et attirer les faveurs ? Un parent tyrannique, sans doute, oui, ce devait certainement égaler l’ennui provoqué par des paroles sans fond.