[3 Cellune 1100] Sous les feuilles d'un chêne

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Sous les feuilles d'un chêne près d'Albatra - 3 Cellune 1100

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“ - J’ai besoin de calme.” lança la jeune femme à la cantonade en refermant violemment l’ouvrage qu’elle tenait entre ses mains.

Aaron arrêta de galocher sa nouvelle partenaire sur le canapé (celle-ci était aussi blonde que la dernière était brune) et redressa sa tête encore ébouriffée par leurs galipettes.

“ - On peut aller dans ta chambre si tu préfères …" répondit-il avec son air malicieux ce à quoi son aînée lui répondit par un regard assassin.
"- N’y pense même pas, ce n'est pas une maison close ici. Restez là si ça vous chante, c’est moi qui sort.” assena-t-elle sans se soucier de l'air choqué de la conquête.

Le jeune homme haussa ses épaules dénudées et reprit là où il s’était arrêté au grand désarroi d’Ophélia. Cela faisait quelques temps déjà que son tombeur de frère était revenu vivre chez elle sans pour autant cesser de ramener avec lui demoiselle sur demoiselle. Rarement la même d’ailleurs. Même si ce comportement excédait l’érudite, elle le tolérait pour ne pas mettre en péril leur fragile lien familial. Et puis tant que tout le monde y trouvait son compte, elle n’avait pas trop d’arguments à avancer. Ses gestes dictés par des années de pratiques finirent de ranger son matériel dans sa malette et elle s’empressa de quitter la scène de luxure.

Elle prit le chemin de sa maison d’enfance, se laissant raviver par de vieux souvenirs mais ne s’arrêta pas devant, elle n’y jetta pas même un regard et s’enfonça dans la végétation alentour. La savante n’eut aucun mal à retrouver la clairière de son enfance où sa mère et elle avait passé tant de temps à observer la nature alentour. Elle s’installa comme par le passé contre le chêne qui l’avait vu grandir après avoir remonté le col de son manteau. Malgré un soleil timide, l’air était frais et le sol humide. Cela ne la découragea pas pour autant. Elle avait besoin de se vider l’esprit et rien de mieux que dessiner des croquis pour cela. La jeune femme souffla dans ses mains en observant la clairière et jeta son dévolu sur une jeune pousse pour son premier sujet.

L’astre continuait lentement sa course alors qu’O’ noircissait des pages d’esquisses quand soudain son regard aiguisé capta un mouvement dans les forêts. Son coeur s’accéléra alors que le mouvement devint une forme. Un cerf se tenait là, à l’orée des bois et la regardait avec au moins autant d’insistance qu’elle. Lentement, puis avec plus d’impatience, les doigts de la marloise s’attachèrent à reproduire le majestueux animal qui se détendit et commença à arracher quelques feuilles d’un arbrisseau. Rien ne pouvait plus enchanté la jeune femme à cet instant précis.

Sous les feuilles d'un chêne.

3 Cellune 1100 - forêt d'Albatra

« Si tu veux que les choses changent, alors provoque ce changement. »

Ces mots raisonnèrent dans l'esprit du prince comme mille cloches sonnant pour un grand événement. Un mariage... ? Non, plutôt une naissance. Sans doute avaient-elles sonné pour Valérian, tout comme elles l'avaient fait pour Aragon...

De funestes pensées fraternelles brouillèrent un instant son esprit mais Valérian les chassa en secouant légèrement la tête. Son frère n'avait pas sa place ici. Il fallait qu'il arrête de se comparer à lui, consciemment ou non. Le fantôme de son frère planera toujours au dessus de sa tête et il fallait qu'il fasse avec.

Provoquer un changement hein... ? La jeune femme venait de donner un intangible coup de pied au cul princier, qu'elle appuya en lui faisant remarquer que la stagnation n'apportait rien de bon. L'invisible impulsion lui fourni l'énergie nécessaire pour se lever et emboîter le pas de la femme. Mais il resta silencieux.

Il avait en effet bien besoin de s'éclaircir l'esprit ou tout du moins réorganiser ses pensées. Ça partait dans tous les sens...

Valérian devait acter de certaines choses.

Oui, il était le prince du royaume et seul héritier. Alors quoi qu'il en soit, il deviendrait roi.
Oui, il était indéniable qu'aux yeux de la reine il n'était pas aussi flamboyant que feu son aîné. Mais le fait était qu'il n'était pas non plus le dernier des corniauds et que même s'il n'arriverait peut-être jamais à avoir la prestance de son frère, il serait indubitablement assez intelligent et sage pour diriger le royaume.
Non, il n'était pas qu'un doux rêveur. C'est même cet aspect de sa personnalité qui en faisait un jeune homme réfléchit, toujours prompt à apprendre de ses erreurs, même si à ce jour il manquait encore d'un peu de maturité...

Provoquer un changement, ces mots tournoyaient en fond de toutes les trames de ses pensées.

Marchant sans vraiment regarder où il allait, il fixait le dos de la jeune femme comme point de repère mais sans véritablement la voir.

Était-ce donc ça la réponse... ? Asseoir ses acquis, combler ses lacunes, montrer à la reine qu'il en était capable... ? Et si pour cela il devait mentir, était-ce tout de même une bonne stratégie... ? Parce que oui, pour Valérian, faire croire qu'on a confiance en soit en adoptant certaines attitudes alors qu'à l'intérieur de nous tout se casse en mille morceaux, est un mensonge... Mais d'un autre côté, à qui mentait-il réellement... ?

Aux autres ou à lui-même... ?

Après tout, n'était-ce pas ce que l'on attendait de lui ? Montrer qu'il était digne de porter la couronne... ?

Malgré tout ce que Valérian pouvait penser de lui, malgré son flagrant manque de confiance, ses lacunes scolaires et ses échappées oniriques, il avait toujours était indéniablement convaincu qu'avec les bonnes personnes autour de lui, il pour être un roi bon, juste et sage... Parce qu'il s'était toujours intéressé à tout ce qu touchait au royaume, à sa politique, à son organisation et la manière de le diriger... Certaines de ses idées avaient même parfois vu le jour bien qu'il n'en ai jamais réclamé la paternité...

Soudain, il se stoppa net, relevant complètement son visage, peint d'une nouvelle expression.

- J-je sais ce que je dois faire. lâcha-t-il haut et fort En-enfin je crois... reprit-il plus bassement, étonné d'avoir parlé si fort J-j'ai compris que c'était à moi et à moi seul d'améliorer ou en tout cas de faire évoluer certaines choses... Je ne sais pas encore comment je vais faire pour tout, même si je travaille nuit et jour à mes leçons je ne suis pas certains d'arriver à mieux les comprendre mais ce que je sais c'est que je peux faire mes preuves autrement. J-j'en ai déjà faites en réalité... Mais ma mère ne le sait pas... Parce qu'elle n'a jamais su que c'étaient mes idées. A-alors à présent, j-je vais appliquer vos conseils d'attitudes, faire face aux nœuds qui m'entravent de l'intérieur et parler haut et clair. Je ne laisserais jamais plus personne me voler mes idées. Je vous en fait la promesse...!

Une étrange lueur s'était allumée au fond du regard rivière. Une petite étincelle à qui il ne manquait pas grand chose pour devenir un ardent brasier.

Valérian ne prendra pas confiance en lui du jour au lendemain et ça, il en avait indéniablement conscience... Mais il savait aussi qu'il valait plus que le peu d'intérêt qu'on lui portait. Il n'avait juste qu'à le prouver et pour cela il devait combattre ses propres démons.

- Vous avez raison, madame. Je suis le seul à me mettre des bâtons dans les roues. conclut-il avec aplomb

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La jeune femme avait rangé rapidement son matériel de dessin dans sa besace en attendant que le Prince se décide à la suivre. Une fois rassurée sur le fait qu’il suivit ses pas, elle prit la direction approximative d’Albatra. Marchée lui faisait du bien. Cela lui avait toujours permis d’éclaircir son esprit. Parfois même, cela lui donnait des idées d’écriture ou d’hypothèses. Elle espérait que cela produisit la même chose sur Valérian bien qu’elle avait surtout proposé cette marche pour se dégourdir les jambes. De plus, bien qu’elle était une érudite, Ophélia faisait attention à sa condition physique. Hors de question pour elle d’être associée à ces gens gros et gras, bluffant à chaque effort, transpirant à grosses gouttes quand ils montaient quelques marches. Dans cette optique, ses journées étaient souvent organisées de la même manière : exercice de renforcement musculaire et d’endurance à l’aube et le soir étirements ainsi qu’une marche la plus longue possible. Ce n’était certainement pas suffisant pour ses prochaines excursions mais au moins gardait elle un bon capital musculaire. Elle recommandait - voir imposait - à ces étudiants la même hygiène de vie. Peut être qu’un jour, les érudits seraient moins impotents et moins vu comme des rats de bibliothèques et qui jouissaient d’un statut de privilégié.

Perdue dans ses pensées, et marchant d’un pas énergique, elle en avait totalement oublié la présence du jeune homme qui la fit sursauter en s’exclamant. Ophélia se retourna pour l’observer. Lui-même semblait surpris de son soudain éclat de voix.Et bien, elle n’aurait pas cru que ses paroles auraient pu avoir un effet aussi rapide sur l’héritier. Elle se serait vraisemblablement attendus à ce que le déclic se fasse bien plus tard, dans une autre situation. Ce n’était pas plus mal, plus vite il en prenait conscience, plus tôt s’opérerait le changement, aussi infime soit-il. D’ailleurs, rien que sa prise de conscience tira un léger sourire à la jeune femme qui hocha la tête pour marquer son acquiescement :

“- C’est déjà un grand pas que vous faites là. Vous pouvez être fier de vous. C’est généralement assez long comme démarche ce que vous venez de réaliser là. Je vous souhaite de réussir en tout cas.”

Elle reprit sa marche, en prenant garde cette fois-ci à ne pas trop le distancer, annonçant :

“- Je ne vais pas tarder à rentrer chez moi. Il faut que je prépare mes cours pour demain matin sinon mes élèves devront faire un écrit sur table et ils ont horreur de cela. Faisons nous le reste du chemin ensemble ? J’espère pouvoir voir vos progrès prochainement en tout cas.”

Sous les feuilles d'un chêne.

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Le fin mais pourtant bien présent sourire de la jeune femme ne put qu'étirer les propres lèvres du jeune prince. Les paroles qui suivirent lui mirent du baume au cœur.

Un grand pas... ? Assez long... ? De réaliser quoi, qu'il devait prendre le taureau par les cornes et affronter ses propres démons... ? Valérian ne voyait pas les choses du même angle. Parce que ce qui allait lui poser bien plus de difficultés – pour ne pas dire problèmes – était la manière dont il allait s'y prendre.

Il avait beau être généralement mésestimé, il n'en restait pas moins alerte. Son intelligence n'était peut-être pas celle que l'on attendait d'un héritier royal mais il était loin d'être le dernier des corniauds. Non, sa propre problématique résidait en sa timidité maladive et son manque de confiance en lui. C'était elles ses démons, c'était elles qu'il devait combattre. Bien sûr qu'il avait encore des choses à apprendre, mais il avait suffisamment de bagages pour montrer au conseil royal – et surtout à sa mère – qu'il était capable de belles choses. Peut-être pas de grandes choses – pas tout de suite en tout cas – mais de quelques prouesses.

La stratégie, la politique, Valérian savait déjà énormément de choses à ces sujets. Il ne lui restait qu'à les cultiver d'avantage et prouver qu'il avait les épaules.

C'est ça qui sera pour lui un chemin long et fastidieux... Réaliser était facile – il fallait dire que la jeune inconnue l'y avait bien aider – mais y arriver était autre chose... Il allait devoir se faire violence.

Reprenant sa marche, il accéléra pour se mettre aux cotés de la rousse.

- Heu ou-oui... répondit-il simplement tout en se retournant, réalisant soudainement qu'il avait laissé Céleste dans la clairière

Mais l'animal placide et loyal les suivait tranquillement, arrachant jeune feuilles et pousses chemin faisant. Il sourit.

- C'est dommage que je ne sois pas venu avec Henri, il aurait pu nous porter tout deux mais Céleste est trop fragile pour vous prendre en croupe... Je peux à la limite courir à côté si vous voulez, au petit trot j'arrive à la suivre. proposa-t-il avec candeur et bienveillance

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La considération qu’il lui portait était agréable mais elle refusa pour autant :

“ Ne t’inquiètes pas pour moi. J’apprécie marcher, cela me permet autant de réfléchir que de me vider l’esprit et surtout, cela me maintient en bonne forme. Fait comme bon te semble.”

La jeune femme prit lentement la direction de l’Académie. A travers les branches et la cime des arbres, elle pouvait dire qu’elle n’était pas en avance aussi accéléra-t-elle le pas. Pour autant elle ne souhaitait pas laisser le Prince dans un nouveau désarroi :

“- Alors, comment envisages-tu ce changement que tu veux opérer ? Que vas-tu faire ? Et de quoi aurais-tu besoin pour continuer dans ce changement ?”

Ophélia nota du coin de l’oeil que la monture du jeune homme était parfaitement dressée. Un véritable lien les unissait. C’était assez rare pour être noté et apprécié. Elle voyait tellement de gens qui considérait leur monture comme un simple moyen de locomotion et les traitait comme de vulgaires objets, cela la faisait enrager. De même, elle avait vu des maîtres trop lourds monter sur leur drakalon et leur casser les pattes. Rien que d’y penser, elle sentait un élan de colère l’assaillir.

Sans qu’elle ne s’en rende compte, ils venaient d’arriver à l’orée des bois. L’érudite s’arrêta alors pour se tourner vers son compagnon de route :

“- Je crois que c’est ici que nos chemins se séparent à moins que tu ne souhaites m’accompagner jusqu’à l’Académie. Tu y serais le bienvenu en tout cas.”

Sous les feuilles d'un chêne.

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Il acquiesça simplement à la réponse de la rousse. Lui aussi aimait bien marcher – généralement c'était lorsqu'il était perdu dans ses pensées et se retrouvait bien souvent à l'autre bout du palais, il avait d'ailleurs découvert pas mal de choses pendant ses balades oniriques et pouvait d'ailleurs se vanter de connaître une cinquantaine de passages secrets – et comprenait donc tout à fait son choix. Lui aussi accéléra le pas pour rester à sa hauteur.

Les nouvelles questions le firent légèrement sursauter, tant pas leur soudaineté que par leur nature.

- Heu, et bien, c'est que... commença-t-il penaud J-j'ai bien quelques pistes mais elles demande à réflexion et à maturer... L-la chose dont je suis sûr est qu'il faille que j'impose ma voix... Je ne sais juste pas comment... Peut-être devrais-je demander à avoir un précepteur d'oration... ? C'est d'ailleurs étrange que ma mère n'y ai jamais pensé avant...!

Il laissa échapper un rire franc et candide. C'était bien la première fois qu'il repérait une anomalie manifeste dans la si rigoureuse attitude de la reine...

Le reste du trajet se poursuivit dans le silence, Valérian n'avait rien à ajouter et il semblait que la jeune femme non plus. Ils s'arrêtèrent à l'orée du bois et le prince tourna un visage toujours apaisé et souriant.

- Je vous remercie mais, pas aujourd’hui... Je suis parti depuis trop longtemps déjà, je ne voudrais pas que le palais soit en ébullition à la disparition du prince...!

Son visage changea d'un coup d'expression, rougissant jusqu'au oreilles, ses pupilles s'étrécirent à la fulgurante bouffée de chaleur qui l'avait pris à la gorge. Il venait de révéler son identité alors qu'il avait bien pris soin jusque là de ne pas y faire référence... Après tout, il pouvait sans ambages passer pour un fils de nobliaux...

- Je... tenta-t-il de reprendre, se forçant à fixer la rousse droit dans les yeux P-pardonnez moi, e-en faite n-nous n-ne n-nous s-sommes p-pas p-présentés... murmura-t-il d'une voix rauque et balbutiante J-je suis V-Valérian Hau-Hautiare, p-prince héritier du r-royaume... continua-t-il toujours aussi bègue, mais il était de tout façon coincé alors autant dire la vérité Et v-vous, mademoiselle...?

Il hocha la tête à la réponse de la désormais Ophélia Valoriel, académicienne, tutrice, zoologue et artiste, puis il remonta en scelle.

- J-je vous souhaite une b-bonne fin de journée mademoiselle O-Ophélia, si vous p-passez par le palais n'hésitez pas à faire demander B-Bérard. C-c'est un de mes gardes, il sera plus simple de passer p-par lui s-si vous d-désirer me v-voir... fit-il un peu moins béguayant J-je serais t-très heureux de v-vous revoir...!

Son visage toujours rouge réussi à se détendre dans un sourire franc puis il claqua sa langue à l'attention de Céleste qui se mit au petit trot, en direction du palais pendant quelques mètres avant de passer au galop et disparaître à l'horizon.

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