[16 Cellune 1097] Une idée qui a du morggant

Une pointe de stress tournoyait dans les entrailles de la jeune Saphir. Une annonce lui avait été faite – la veille – qui l’avait emplie de joie – pour ne pas dire d’orgueil – mais qui avait fait suite à des interrogations et la peur de voir un rêve brisé. Rêve qu’elle touchait du bout des doigts…

Son supérieur en chef de la caserne de Borderoc l’avait promulguée patrouilleuse en chef. Plusieurs années à trimer comme simple patrouilleuse, devant répondre à des ordres qui l’agaçait – elle n’était pas faite pour obéir mais s’y était astreinte depuis son entrée chez les Lames, gardant en tête l’idée qu’elle allait vite gravir les échelons – et enfin, on avait reconnue sa valeur… Et quelle valeur, alors que son labeur personnel – élever des morggs – avait aussi été apprécié.

Jamais elle n’aurait pensé qu’on lui propose une telle chose. Mais alors qu’elle exultait en son fort intérieur, son chef lui annonça que le poste de patrouilleuse en chef de la brigade morgienne n’avait pas encore été validé par le couples ducal. Et à présent qu’on lui avait proposé de montrer sa brigade et de former des patrouilleurs à l’élevage de morggs, elle ne s’imaginait pas devenir simple patrouilleuse en chef… Il en été hors de question… !

C’est pour cela qu’en ce jour du 16 cellune 1097, à l’orée de ses 28 ans, elle n’avait pas dormi de la nuit à l’idée de défendre son futur poste face aux Rochefer. Pour se donner contenance elle avait amenée avec elle Kamalia, la morgg qui la suivait depuis bientôt cinq ans et dont elle félicitait les progrès. La bête été docile tant que Rose la rabrouait, et arborait une multitudes de cicatrices qui attestait du travail accomplit.

Traversant le palais ducal – Kamalia au bout de sa chaine dans une main et son chef de caserne à ses côtes – elle trépignait d’impatience et d’angoisse. On les fit attendre dans un salon où on leur proposa des boissons. Boissons que Rose supposa offertes pour mieux faire passer la pilule : les couple ducal était absent, c’était donc leur fille, Vitala, qui allait les recevoir et prendre la décision de la création – ou non – du porte proposé à Rose.

La jeune femme senti son sang se figer dans ses veines. Vitala Rochefer, d’aucun savait que la jeune héritière avait la langue plus acérée que les griffes d’une griffière… Mais surtout, tout un chacun savait qu’elle avait – peur peut-être – assisté au déchiquetage – il n’y avait pas d’autres mots – de son propres frère par des morggs sauvages. Il allait être bien plus difficile de la convaincre que ses parents… Et pourtant, Rose n’en fut que plus excitée.

Kamaâl lui envoyait une épreuve et il ne tenait qu’à elle de la surpasser…

On les fit enfin entrer dans la pièce où les attendait l’héritière et – imitant son chef – Rose fit la courbette d’usage – non sans fouetter durement Kamalia, lui ordonnant un « coucher ! » aussi rude qu’il le fallait.

- Votre grâce, commença son chef merci de nous recevoir. Je vous présente Rose Sombreval, et sa morgg.

Il allait ajouter quelque chose mais Rose ne lui en laissa pas l’occasion.

- Mes respects ma dame, dit-elle, s’avançant vers la jeune duchesse tout en laissant du mou à la chaine de Kamalia à qui elle n’avait pas demandé de se lever c’est un grand honneur de vous rencontrer. dit-elle en faisant une nouvelle courbette, le léchage-de-botte n’ayant pas de secret pour elle Je suis à votre service et celui du Gavorn, et je suis convaincue que la création d’une brigade de maitres-morggs sera profitable à tous. Le morgg est un animal tout aussi vornois que vous et moi, je sais que sous mon commandement il fera honneur au Gavorn et sera envié de tous les duchés !

Discours bien orgueilleux mais qui reflétait exactement les pensées, la fierté et l’incontestable force de caractère de Rose.

Elle devait avoir cette promotion, il ne pouvait en être autrement… !

Bien entendu, le premier pas de Rose se heurta à un mur. Immense et érigé de pic… Possiblement des tessons de verres entre les pierres jointes au mortier… La jeune Lame se redressa et leva instinctivement le menton, resserrant sa prise sur la chaîne, tirant la bête à ses pieds – prête à jouer de la dite chaîne si elle entendait la morgg moufeter ne serait-ce qu’un bruit.

- Madame, sachez que ce n’est pas moi qui ait eut l’idée de cette brigade mais mon commandant. dit-elle d’un ton sarcastique
- C’est vrai dame Rochefer je… commença le chef de caserne avant de se faire de nouveau couper la parole par une jeune femme bien décidée à avoir ce qu’on lui avait promis
- Il y a bien plus de volontaires que ce que vous semblez croire, madame, reprit-elle en changeant légèrement de ton le morgg est une créature attirante pour ceux qui en ont le tempérament. Alors oui, un certain nombre sont morts pour avoir échoué à leur dressage mais c’est uniquement car ils ont cru qu’ils pouvaient en faire un chien-chien joueur et câlineur… assena-t-elle avec aplomb Le morgg est aussi indomptable que vous, madame, c’était à n’en point douter un compliment, certes étrangement déguisé mais un réel compliment dans la bouche de Rose mais à la différence de vous il est aliénable, aussi follement que vous serez dure avec lui, aussi cruellement que vous le battrez, vous serez sa maîtresse… Voulez-vous essayer ?

C’était une proposition des plus osées que Rose faisait là. Mais dans un coin de sa tête, la jeune femme s’imaginait que la jeune duchesse avait sans doute rêvé de venger son frère…

La proposition de Rose fut rejeté comme on recrache un pépin du trognon que l’on grignote. Mais la jeune femme ne s’en formalisa pas, s’arrêtant d’avancer, un peu plus proche de la duchesse – mais à une distance respectable. Gardant la tête haute, elle écouta la demoiselle du Gavorn et retînt un rire sarcastique.

La duchesse doutait de ses paroles… Il était clair qu’elle ne la connaissait pas. Mais il était limpide qu’elle se souviendrait de Rose Sombreval, la patrouilleuse-en-chef, la maitre-morgg… !

Levant un peu plus son nez mutin – pour ne pas dire hautain – la jeune femme fit claquer ses talons comme on salue un haut-gradé.

- La moitié des maitres-chiens déjà affiliés aux différentes bridages à travers le Gavorn sont compétents, madame, dit-elle en retenant du mieux qu’elle pouvait sa suffisance et son impertinence j’avais l’intention de leur faire passer un concours et un examen plus poussé pour être certaines de leur aptitude à l’élevage de morgg. En ce qui concerne la captivité des morggs il va sans dire qu’il faudra un lieu spécifiquement dédié et de haute sécurité. Mon commandant ici présent m’a fait part d’une belle épargne sur les budgets annuels passés et Madame sera donc heureuse de savoir que la construction d’un chenil et d’une cours d’entrainement sécurisés ne lui coutera pas un seul lieuton. Il en ira de même pour la solde des apprentis maitre-morgg : déjà affilié aux Saphirs, il ne vous couterons pas un sous de plus. peut-être s’avançait-elle un peu mais Rose avait trop de culot pour ne pas s’en servir à ses propres fins L’honneur du Gavorn ne pourra qu’être plus grand lorsque tous les trois-lieutains auront entendu parler de votre brigade morgienne madame… Les criminels n’auront qu’à bien se tenir et prier leur dieu de ne pas se faire arracher un membre… ! bombant la poitrine, la jeune femme avait des flammes dans les yeux
- Heu, c’est-à-dire que moi je voyais plutôt ça comme une brigade d’intimidation… tinta faiblement la voix du commandant qui dardait un index vers le plafond pour signaler son intervention
- Evidemment ! riposta la jeune femme Il sera en effet plus aisé d’appréhender un voleur ou un délit de fuite avec une telle brigade ! Les morggs font peur, c’est indéniable, il serait idiot de notre part de ne pas se servir de cet atout ! Et puis ils ont les mêmes qualités que les chiens traqueurs en terme d’olfaction. Ils sont plus endurants, plus forts. Leur nature sauvage leur confère une réelle plu value en milieu rural, et en ville ils seront des gardiens que nul ne cherchera à braver… ! Avec une telle escouade, madame, soyez assurée que votre valeur et votre force n’en sera que plus admirée et respectée… ! Ces animaux sont réputés pour leur férocité, c’est tout à l’honneur des vornois, peuple aussi féroce, aussi fort qu’un morgg, d’utiliser cette même compétence au service des petites gens. Il n’y a que nous pour soumettre et avilir ces bêtes madame, que le Gavorn pour prétendre à l’assujettissement et à l’utilisation à nos fins de ces animaux… Je suis prête à me couper un membre et à me retirer des lames si vous n’obteniez pas entière satisfaction !

Sournoiserie ultime de la part d’une jeune femme qui a appris à manier sa langue en même temps que son épée… Si elle devait échouer – ce qui était bien fort peu probable – elle aurait disparue avant que les Rochefer n’aient pu comprendre ce qu’il se passait… Mais, on a jamais rien sans rien et Rose était de toute façon prête à bien des sacrifices pour obtenir ce qu’elle n’avait fait que rêver jusque-là… Puisqu’elle le touchait du bout des doigts, elle fera tout pour le saisir à pleine main.

Rose eut un fin sourire – réprimant le plus possible sa narquoiserie – aux premières paroles de l’héritière ducale. La future duchesse ne connaissait pas assez bien la patrouilleuse pour croire qu’elle réussirait à l’attraper et lui couper elle-même une main – ou une jambe. Mais là n’était pas place à l’imagination d’un futur que Rose ne comptait absolument pas réaliser – c’était même tout l’inverse. Aussi se reconcentra-t-elle sur la suite du discours de la demoiselle du Gavorn.

- La devise des Lames de Saphir sera et restera la règle de cette unité Madame ! « Blesser plutôt que tuer » ! scanda la jeune femme, toujours droite comme un i Mais il est indéniable que rien ne doit entacher la réputation des Saphir mais aussi du Gavorn, comme vous le dite les incidents de ce genre doivent être minoritaires ! Je compte bien faire de cette escouade un succès, la réputation du Gavorn va de cette réussite ! Une idée novatrice qu’il sera à ma charge de mener à bien, et pourquoi pas rendre jaloux les autres duchés… ! dans cette idée résidait tout l’orgueil de la jeune femme qui se voyait déjà adulée par les foules Un morgg peut obéir aussi bien qu’un chien, madame. continua-t-elle d’un ton un brin moins présomptueux pour répondre à la question posée Ils peuvent traquer par le flaire, encercler comme un chien de berger, intimider en grognant, attaquer pour arrêter selon l’ordre donné : morsure à la cheville ou plaquage au sol. Toutes ces facultés résident dans la capacité seule de leur maitre. Un morgg n’obéit qu’à un seul humain. D’où la nécessité de faire passer des tests d’aptitude aux Saphir qui voudraient intégrer cette brigade. elle s’était décontractée en parlant de son sujet de prédilection L’assujétissement d’un morgg se fait assez rapidement, trois mois tout au plus – personnellement j’arrive à présent à les mater en quelques semaines lâcha-t-elle comme si elle voulait se faire mousser et leur dressage dépend du morgg, comme il dépend du chien. Certains sont plus intelligents que d’autres et retiennent plus vite les ordres. Mais là encore il suffira de capturer plus de morggons que de maître et n’en sélectionner que les meilleur d’entre eux. Bien que de part mon expérience je sais relativement bien repérer les morggons qui feront de bon fidèles – si je puis m’exprimer ainsi…

Son égo était indéniablement au premier plan et son estime d’elle-même sans grande faille. Mais au-delà de son inégalable orgueil, ce qu’elle présentait n’était que la vérité… Légèrement exagérer sur certains points, mais la réalité.

- Je capture et dresse des morggons depuis mes quatorze ans madame, si je puis mettre mes facultés au service de ma patrie, il ne m’en serait pas plus grand honneur… et sans ajouter mot elle avait ployé un genou à terre, tête baissée, dans la plus grand humilité dont elle était capable de faire preuve

Derrière elle, son responsable avait un petit sourire légèrement crispé mais il darda vers l’héritière un acquiescement qui ne faisait qu’appuyer les paroles de la jeune femme.

Ces simples deux petits mots provoquèrent un ras de marée le long de l’échine de Rose. Le temps fu soudainement suspendu entre deux hypothèses : ce « très bien » était-il un accord ou au contraire un « j’ai compris mais je n’accèderais pas à ta demande » ? La jeune patrouilleuse ressentait la même excitation que lors de son pèlerinage : angoisse et hâte, le plus délicieux des mélanges émotionnel pour une femme de sa trempe… Elle releva la tête et plongea son regard à la couleur bien trop douce pour son caractère dans l’anthracite merveilleusement tranchant de l’héritière vornoise.

Son cœur se mit à tambouriner au rythme des paroles de la demoiselle Rochefer. Toutes les réponses aux questions posées fusaient dans sa tête en un incontrôlable flot. L’angoisse n’était plus que hâte et son esprit fulminait de tout ce qu’elle voulait entreprendre. Il lui fallait remettre de l’ordre dans ses idées, sans quoi son empressement aurait raison de l’assentiment pour l’instant fragile donné par Vitala Rochefer.

Se redressant, elle se tînt bien droite, ne lâchant pas les prunelles sombres qui lui faisait face. Elle n’avait pas besoin d’y puiser une quelconque force mais elles étaient alors le point d’appuis pour garder le cap.

- Bien, ma dame. commença-t-elle avant d’enchainer à un rythme qu’elle espérait maitriser Je commencerais avec cinq Lames, après leur avoir fait subir un premier test. Le dressage des morggs n’est pas donné à tout le monde, la force de caractère est primordiale, bien plus qu’une quelconque force. J’ai vu des gringalets tenir en laisse des morggs de deux fois leur poids… Le morgg est une bête de soumission qui a besoin d’un cadre très strict. expliqua-t-elle, espérant convaincre totalement au lieu d’un simple essai Puis ils partiront chercher leur morggon seul. J’ai parcouru le Gavron plusieurs fois, Kamalia ici présente est ma cinquième morgg, je sais où vivent les principales meutes et pourra leur indiquer leurs territoires. Il est très important que les candidats le fasse seul et sans aide. A mon sens, s’ils ne sont pas capable de capturer un morggon face à une meute, ils ne seront pas capables de le dresser. Je ne leur apporterais donc aucune autre aide que l’indication des territoires. Cela sera leur deuxième test avant l’ultime épreuve du dressage qui est primordiale, comme vous devez vous en douter, votre grâce…

Puis elle avait baissé la tête – en nouveau signe de sa propre soumission. Elle avait tellement hâte de se mettre au travail et d’arborer sa nouvelle cape de patrouilleuse-en-chef… !!

- Je pourrais vous tenir compte, votre grâce, fit le chef de caserne vous n'aurez pas à vous déplacer.

Bel effort de léchage... pensa Rose qui riait intérieurement de son propre opportunisme

Le genou toujours à terre, Rose releva le chef alors qu’elle n’entendait plus l’héritière. Elle dut se retenir de rire en voyant l’expression comme outrée de la Rochefer et se mordit même la lèvre inférieur lorsqu’elle réprimanda son supérieur. Elle rebaissa rapidement la tête alors que l’héritière dardait de nouveau son regard d’acier vers elle.

Son égo gonfla sa poitrine d’un plaisir non feint alors que ce qu’elle retint des paroles – pourtant pas complètement actées – était sa réussite totale ! Le léger sentiment d’humiliation de devoir ployer ainsi l’échine était bien vite passé, l’alégresse du succès était bien plus affable…

- Bien madame. lâcha-t-elle d’un ton un poil trop condescendant sans qu’elle ne s’en rende compte, gonflée par son orgueil tout en se relevant Je jure sur mon honneur de ne jamais faillir à ma tâche !

Puis d’un salut militaire contrôlé et tout de mère déférent, elle tourna les talons, main au collier de Kamalia – non sans jeter un regard goguenard vers son supérieur qui, tête baissée, ruminait sa propre humiliation. Mais Rose lui fit bien vite oublier sa rancœur alors qu’elle l’empressa de préparer la cérémonie pour sa montée en grade, laissant entrevoir une fringuante joie légèrement enfantine qu’on ne lui connaissait pas…