Les pas résolus de la souveraine des Trois-Lieux résonnèrent sur le pavé froid et humide de cette journée qui avait démarré par la visite d'Odion, aux lugubres nouvelles.
Il lui avait annoncé l'arrestation de quelques criminels responsables du massacre de l'arène, et elle avait aussitôt pris la décision d'aller les rencontrer, et d'avoir une conversation avec eux.
Sur son passage, il n'y avait aucune acclamation, aucun éclat de joie, aucunes salutations. Juste des regards effrayés qui convergeaient vers Ariane, se demandant où la reine pouvait se diriger avec autant de précipitation, et surtout, avec cet air si renfrogné.
En cette heure grave, c'était bien le cadet de ses soucis, de paraitre et d'afficher une sérénité d'esprit qui n'existait plus depuis deux jours.
Un des gardes qui l'escortait et qui la devançait pour la conduire à l'endroit où étaient détenus les prisonniers s'arrêta enfin devant un bâtiment à l'architecture proche de celle d'une bibliothèque, ou tout autre monument culturel d'Albatra. Ariane gravit les quelques marches de pierre et n'attendit pas qu'on lui ouvre la porte. Elle n'avait pas le temps de se conformer aux règles de l'étiquette.
Si l'endroit regorgeait de splendeurs ou reflétait tout le potentiel de construction des vornois, leur souveraine n'en remarqua rien. Uniquement de la pénombre qui régnait. Une fois ses yeux un peu plus habitués à l'obscurité, elle repéra rapidement quelques gardes positionnés plus loin, tenant torches et surveillant une porte en contrebas. Assurément, il ne fallait pas être un génie pour deviner que derrière cette porte se cachait des escaliers descendants. Probablement que sous la bâtisse se trouvaient des caves, ou des souterrains.
Ces hommes, immobiles, ne levèrent même pas les yeux au passage de leur reine, trop concentrés sur leur tâche. Seul un s'autorisa à ouvrir la lourde porte de fer qui grinça horriblement. Une odeur d'humidité remonta d'en bas grâce à un courant d'air glacial. Imperturbable, Ariane s'enfonça dans le passage, et démarra une longue descente dans les cages d'escaliers devant elle.
Des torches murales lui indiquèrent, après plusieurs minutes, qu'elle était arrivée à destination, et la présence de gardes, cette fois-ci lourdement armés, lui confirma qu'au dedans des cages de métal qui s'étalaient devant ses yeux renfermait ladite poignée d'hommes, accusés de meurtre de masse. Tel un vautour, Ariane allait et venait devant les cages, les observant tour à tour.
A priori, rien n'indiquait sur leur visage tout le machiavélisme, l'horreur de leurs actes. C'était toujours le cas pour les criminels, elle ne le savait que trop bien. Jamais on ne soupçonne cela chez son voisin. Et pourtant se cache en tous, une part de ténèbres que seuls les plus faibles choisissent d'embrasser. Car il s'agissait bien de faibles, enfermés là, devant elle. Des lâches qui ont pris par surprise leurs victimes, et les autorités présentes. Des couards qui ont manœuvrés dans l'ombre, il était normal qu'ils y soient contenus.
Aucun d'eux n'osait lever les yeux vers elle, ou s'évertuait à l'ignorer.
Ariane se dirigea alors vers un homme grand et démesurément musclé, à ne pas en douter, le geôlier.
Vous les avez interrogés ? Ont-ils dit quelque chose ? Qui sont-ils ? Connait-on leur but ?
Non, Votre Altesse. Ils restent obstinément silencieux. Mais, ne vous faites aucun souci, nous avons redoublé d'efforts ...
Ariane leva un sourcil, s'interrogeant sur le sens de cette affirmation, quand un claquement suivi d'un cri étouffé les interrompit. Le geôlier pria la reine de le suivre, et l'emmena un peu plus à l'écart, vers une petite pièce ouverte et terriblement obscure, plus obscure encore que ce souterrain humide. Là, un homme se tenait au fond de la pièce, pouvait-elle observer avec peine, en plissant les yeux. Jambes et bras écartés par des liens qui le maintenaient solidement attaché. Son bourreau, cinq mètres derrière lui, faisait pendre au sol un fouet de cuir.
Vous nous avez autorisé à user de tous les moyens nécessaires, alors ... Nous ne nous sommes pas privés. Nous venons à peine de commencer avec celui-là, mais ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ne parle. C'est certain. Et si pas, les autres se mettront vite à table, par crainte de subir le même sort.
Et le bourreau fit claquer une nouvelle fois son fouet sur le dos du prisonnier, lui déchirant sa chemise. Mais l'individu desserra à peine les dents.
Sur le mur en face était entreposée toute une série d'objet de torture, allant du plus efficace et habituel, au plus exotique et cruellement inhumain. Une salle de torture. Qui aurait cru qu'on aurait pu trouver pareil endroit à Borderoc ? Pas elle, en tous cas.
D'un pas lent, elle se dirigea vers les outils, et s'en saisit d'un, qu'elle tendit au bourreau. Ce dernier troqua alors son fouet de cuir contre un nouveau, à l'embout multiplié par dix, avec pour particularité, des pièces de métal tranchantes. Un flagrum revisité pour l'occasion.
Qui êtes-vous ?
S'adressa-t-elle au prisonnier. Puis, d'un signe de tête, elle autorisa le bourreau à frapper. Les lamelles de métal s'enfoncèrent silencieusement dans la chair, et aspergea abondamment le sol de sang.
Un cri de douleur intense retentit alors enfin dans la pièce, mais l'homme refusa obstinément de lui répondre, ce qui frustra encore plus Ariane.
Je peux vous assurer que vous parlerez, alors autant vous épargner une douleur inutile, et répondez sans attendre. Qui êtes-vous ?
L'homme, haletant et déjà tremblant, eut besoin d'un nouveau coup de fouet avant d'éclater de rire.
Les Masques Maâlistes ... te saluent, Usurpatrice !
Les Masques Maâlistes, elle en avait bien entendu parlé, même si elle ignorait beaucoup de choses à leur sujet. En tous cas, elle n'était pas sensé ignorer que tout ce qu'entreprenait cette secte était pour la gloire de Kamaâl.
Alors, c'est cela ... Tout ce sang versé pour vos croyances ...
conclut-elle dans un souffle. Finalement, elle n'aurait pas besoin de supporter cette torture très longtemps, l'appartenance de cet homme aux Masques suffisait à répondre à toutes ses autres interrogations.
Mais le prisonnier ne fit que rire davantage.
Tous des pécheurs, tous cor ... corrompus. Ils brûlent maintenant ... dans les flammes de Kamaâl, notre ...notre Sauveur.
Des rivières rougeoyantes courraient sur son dos et se jetaient sur la pierre sur laquelle l'individu reposait.
Tout à côté, des gémissements se firent soudainement entendre, et les gardes s'affolèrent.
Nous retrouverons ...notre seul et véritable Dieu ... et il ...nous accueillera royalement pour nos ...actes héroïques. Nous l'avons ... bien servi...
Et le torturé s'éteignit aussitôt. Le geôlier se précipita à l'extérieur pour aviser de lui-même du chahut, suivi de près par Ariane.
Dans les cages de fer gisaient à présent des cadavres, dont les corps avaient été calcinés.
Un garde était déjà à l'intérieur d'une des prisons, afin d'inspecter les raisons de ce trépas subit. Il se releva avec des éclats de verre dans la paume de la main : les restes d'une pierre de vie.
Les lâches ...
Désormais, il n'était plus question de faire parler qui que ce soit pour avoir de plus amples informations, que ce soit sur le groupe en lui-même, ou sur leurs ambitions, ou bien encore, où se cachaient les fugitifs.
L'enquête s'arrêtait là, balayée net par les flammes de la malédiction de Kamaâl. Il ne lui restait plus qu'à espérer que les Masques Maâlistes fuyards seraient vite attrapés et punis pour leur crime aux Jeux des Affrontements, sans quoi, elle se retrouverait bien vite avec la colère de son peuple sur le dos.