[26 Dollune 1100] Mauvaise pioche | feat Skadi

Cela faisait de longues minutes que le forgeron se tenait là, debout devant l’entrée d’il ne savait trop quoi, clairement dubitatif. L’une de ses connaissances à Albatra lui avait soufflé avoir entendu parler d’une nouvelle source de métal à exploiter en Gravorn, mais là, clairement, l’entrée ne ressemblait en rien à une mine. Il avait beau avoir vérifié le plan de son itinéraire dix fois, il était quasiment certain de ne pas être au bon endroit. Deux choses possibles alors : soit on lui avait donné de mauvaises informations, soit il y avait, au bout de cette entrée, un escalier menant à une caverne regorgeant de matières premières. Il aurait parié sur la première option, cependant, il préférait aller vérifier de lui-même (savait-on jamais).

À peine eut-il franchi les murs qu’il sut dès lors qu’il repartirait bredouille. Cet endroit ressemblait davantage à un sanctuaire étrange qu’à une source de roche exploitable. Peut-être s’était-il bien trompé d’endroit finalement. Quelle perte de temps et d’énergie ! Se rendre jusqu’ici n’avait pas été de tout repos, et il avait dû se justifier auprès des gardes à la frontière. Certes, ils ne lui avaient pas trop cherché les poux mais tout de même, il n’était pas si simple qu’il le pensait de faire amende honorable. Il n’avait pourtant rien d’un bandit…

Quoi qu’il en soit, il s’apprêtait à rebrousser chemin lorsqu’il entendit – ou crut entendre – un bruit, un murmure, il ne savait pas trop en réalité. Peut-être était-ce simplement le vent ? À moins que… Non, c’était ridicule. Même si l’endroit était plus que bizarre et suspect, les fantômes n’existaient pas. Pas vrai ? Et comme pour s’en persuader bêtement, il s’avança un peu plus avant de demander, haut et fort :

Il y a quelqu’un ?

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Les soupirs dans le noir. Ils n'apportent que très peu de bonnes choses, hormis réflexion, réalisation et projection. Souvent, ils ne servent qu'à se rappeler que tout n'est que vanité, tout n'est qu'idéal, que rien n'est à la portée d'un mortel qui tend la main. Car c'était ce qu'elle était, Skadi avait réalisé, en frôlant du doigt les portes du royaume de l'usurpateur, que l'enveloppe qui l'enfermait n'avait rien de comparable à l'Eternel.

Dans ses appartements, porte verrouillée, elle perdait trace de sa conscience dans les croquis bâclés des flammes en plein ballet. Une semaine, une semaine entière que la blessure dans son abdomen se laissait tranquillement tenir en laisse par des bandages à l'efficacité approximative. Grimaçant, elle couvrit son suaire souillé d'une main crispée. En se concentrant, elle pouvait encore faire revenir la sensation de l'acier qui avait glissé dans sa chair, sentir sa froideur, se rappeler la douleur, et ainsi, revoir le visage de la mort. Son poignet tira ses doigts hors de portée de sa blessure ; pas question de plus y penser, Kamaâl n'a que faire du passé des fidèles, seul compte l'avenir.

Le linceul de sa foi éclata, percé par des échos de talons qui n'appartenaient pas à ce sanctuaire. Tous s'en étaient allés, elle était la dernière à rester. Après les événements de l'arène, plus aucun Masque n'avait daigné rester dans le plus proche repaire, trop lâches pour ne pas craindre la réponse des autorités. Alors, en "Porte-flammes", elle avait réalisé la requête implicite de la Grande Prêtresse ; servir de martyr à une cause en essor, destinée à grandir sans elle. De toute manière, elle pouvait difficilement voyager ...

Empoignant une fine miséricorde, la glissant derrière sa manche, la dévote se redirigea vers l'entrée, là où les échos de pas renvoyaient le reflet de leur présence. Voilà venu le premier éclaireur, il était important que celui-ci meurt. Skadi pensait que si elle parvenait à taire son existence et éliminer chaque visiteur, éventuellement, l'on éviterait d'instinct l'endroit. Ha ... si seulement ce pouvait être vrai. La vérité était que la rouquine savait qu'elle allait mourir et avait cette sensation d'avoir servi la mauvaise cause.

Ses propres pas se traînèrent péniblement jusqu'à l'intrus, debout, elle maquillait tant bien que mal son malaise en prenant appui contre les murs de gravier mal taillé. Le dernier pas qui marqua la fin de sa marche fut lourd, désarticulé, comme si sa jambe s'était enfoncée dans la roche en même temps que sa tête inclinée. D'une voix calme, mais, peut-être par inadvertance, menaçante, la dévote articula doucement.

- Oui, il y a quelqu'un et si tu tiens à ta vie tu laisseras cette personne seule ... hmpf ... et très vite.

La douleur l'avait un instant rattrapée mais elle se tenait à nouveau droit ... mettant en évidence claire qu'à se précipiter dans les couloirs elle avait décroché les fils de basse facture qui liaient sa peau. Le sang commençait de nouveau à couler au travers des bandages. Skadi avait l'air bien pathétique, entre la poussière sur les cheveux, le teint grisonnant d'un visage qui n'avait plus vu le jour durant bien du temps et le regard livide d'une idiote qui attendait de voir ce qui viendrait en premier ; Kamaâl ou bien les Lames de saphir. Sa menace ne devait certainement pas être impressionnante, pour ne rien arranger, les dernières réserves de nourriture que lui avaient laissés les autres s'étaient épuisées deux jours auparavant. La rouquine aimait chasser autrefois, mais elle en était bien incapable avec une plaie qui lui écartait presque les côtes.

Elle soupira, tournant le dos au visiteur.

- Va-t-en.

La jeune femme tituba à nouveau, lâchant son couteau qui scintilla contre le sol, avant de presque s'effondrer en grognant, tenant sa blessure entre des doigts crispés.

Il avait bien évidemment entendu parler de ce qu’il s’était passé aux Jeux des Affrontements, mais jamais, ô grand jamais, il n’aurait pu imaginer à cet instant qu’il se retrouverait face à celle qui en avait été l’instigatrice. Cela aurait-il changé quelque chose s’il l’avait su ? Ça aurait dû, oui, mais concernant Avalon, qui avait bien trop le cœur sur la main, rien n’était moins sûr.

Ses yeux se posèrent sur celle qu’il avait prise pour un fantôme quand elle apparut dans son champ de vision. Il ne s’était pas tellement fourvoyé au fond, sa silhouette faisait vraiment peur à voir. Il resta silencieux et légèrement pantois en l’entendant parler. Avait-il encore rêvé ou venait-elle sérieusement de le menacer ? Il réalisa que oui mais songea qu’elle aurait bien eu du mal à lui faire quoi que ce soit vue sa façon de déambuler. Peut-être aurait-il dû prendre le danger davantage en considération lorsqu’elle échappa par inadvertance le couteau qu’elle tenait. Oui, sans doute aurait-il dû…
Pourtant, ce ne furent pas ses mots ou sa piètre hostilité auxquels il fit attention, mais bien à sa faiblesse et aux bandages qui se peignaient de rouge. Et alors qu’elle lui avait demandé de s’en aller, il ne trouva pour toute réponse que :

Vous êtes blessée.

Oui, elle l’était, et elle devait sûrement le savoir mieux que quiconque. Ça ne le regardait pas, il devrait suivre son conseil et s’en aller en priant Naâme pour que ses blessures ne s’infectent pas et guérissent, après tout ce n’est pas comme s’il avait été soigneur de métier. Mais s’il ne se souciait pas d’elle, qui le ferait ? Il ne semblait y avoir personne d’autre ici. Il était même certain qu’ils étaient seuls, autrement ç’aurait été quelqu’un de plus en forme qui l’aurait accueilli.

Et puis, elle se tordit lamentablement, et ce fut ce qui acheva de le convaincre de ne pas partir. Maintenant qu’il avait été témoin de cette scène, il lui était tout bonnement impossible de s’en aller comme si de rien n’était. C’aurait été de la non-assistance à personne en danger, peu importe qui elle soit, l’abandonner à son sort était contre tous ses principes.

Se pinçant les lèvres, il se décida alors à se mouvoir, s’approchant doucement, une allure aussi pacifiste possible.

Laissez-moi vous aider, je dois bien avoir deux ou trois choses utiles dans mon sac, suggéra-t-il d’un ton engageant, relativement doux.

Il fallait toujours prévoir de quoi palier aux éventuels bobos lors d’un voyage, même s’il n’était pas un grand voyageur à proprement parler il avait au moins appris cela.

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Quel meilleur commentaire y avait-il à cette situation que celui qui citait l'évidence ? Blessée ? Oh non, elle avait simplement écrasé une tomate sous un bandage pour rigoler, elle n'avait que ça à faire de toute façon. Bien sûr qu'elle était blessée, saloperie d'étranger, et cette dévote n'avait pas besoin qu'un idiot du commun ne lui en fasse la remarque comme une provocation aux aspects de miaulement. Le sucre du ton employé faisait grincer les dents de la dévote qui glissait contre le mur, finissant fesses contre terre et genoux pliés.

L'homme s'avança ... faisant preuve de la fameuse compassion humaine. Faiblesse. Partout où elle allait, Skadi ne voyait que de ça, de la faiblesse. L'humanité ne méritait pas de vivre, pas ainsi. Alors, la rouquine pouffa.

- M'aider ?! Ha ! A ton aise ...

Oh, elle se laisserait faire, même si elle soupçonnait qu'une lame viendrait vite voler dans sa gorge. De toute façon, elle brûlerait sa pierre et laisserait tout le loisir à ce charmant jeune homme le privilège d'un avant-goût de la chaleur mortifère. Il n'y a jamais de corps lorsque Kamaâl réclame une âme, juste du fertilisant.

- Je ne suis pas idiote, tu sais qui je suis, hein ?! J'ai dérangé tant de vies tranquille et on m'a dit que mon minois était placardé sur les murs des villes alentours.

Comment ne pas entendre parler d'elle ? Certainement que l'on devait la considérer comme le mal incarné désormais ... ce n'était qu'une question de temps, pas vrai ? Elle n'a rien de mauvais, elle n'est rien que l'instrument d'une volonté qui la dépasse et qui s'est manifestée peu après que les âmes des défunts s'en soient retournées vers les royaumes impies. Skadi était satisfaite, très satisfaite. Avant de mourir, quelle meilleure sensation que celle d'accomplissement ?

Son regard fatigué se mêla à une teinte de malice, tandis qu'entre ses dents, elle siffla un remerciement sans en signifier le moindre sens, sarcastique au possible.

- A quoi dois-je donc cette compassion, cher sauveteur ? Où est la lame que vous me glisserez sous l'aisselle ?

Il ne prit pas en compte l’ironie dans ses premières paroles, se contentant d’arriver définitivement à sa hauteur – enfin, tout était relatif, hein. Un dernier regard tout de même pour le couteau qu’elle lui avait visiblement destiné, il ajusta sa ceinture afin que sa propre épée ne le gêne pas dans ses mouvements, et que la blessée n’ait pas la mauvaise idée de la dégainer dans un dernier coup de force, savait-on jamais. Le fourreau reposait sur l’extérieur de sa hanche à présent, et il s’accroupit à côté d’elle alors qu’elle reprenait de bon ton.

Avait-il vu des affiches lors de son voyage ? Il ne s’en souvenait pas. En même temps, il n’était passé par aucune ville alentours, l’itinéraire qu’on lui avait conseillé depuis la frontière du Gravorn n’en traversait aucune. Peut-être aurait-il été mieux pour lui de voir l’une de ces affiches, afin de savoir un minimum à qui il avait affaire. Mais peu importe ce qu’elle avait fait, elle était blessée, et il était là. Ce n’était pas à lui de juger le comportement de la jeune femme ni de la sentence qu’elle méritait. Il laissait cette terrible besogne à Naâme.

Eh bien, par chance, je n’ai traversé aucune ville en chemin, j’ignore donc qui vous êtes et ce que vous avez bien pu faire. Mais peu importe, cela n’aurait sans doute changé que la façon dont je me serais méfié, répondit-il, complètement détaché.

Il n’allait pas entrer dans son jeu, cela n’aurait servi qu’à l’ébrouer davantage. Il n’était pas le genre d’homme à répondre aux provocations bêtement, Avalon était une force tranquille, et elle allait rapidement le comprendre.

Dans un geste lent mais sans hésiter, il l’invita à déplier un peu ses genoux pour tenter d’apercevoir la blessure. Avec tout ce sang, il ne voyait définitivement pas grand-chose. Elle semblait persuader que son approche n’était qu’une feinte, et qu’il allait l’achever prestement. Toutefois, il nota qu’elle était soudainement repassée au vouvoiement alors qu’elle ne s’était pas gênée pour le tutoyer précédemment. Un détail sans doute.

À un simple coup du destin, certainement, on m’a visiblement indiqué un mauvais chemin, j’aurais aussi bien pu ne jamais passer par là, dit-il d’abord sur le ton de la conversation alors qu’il fouillait dans son sac.

Il en sortit une petite fiole et la lui tendit.

Normalement trois gouttes sont préconisées, mais vu votre état, je pense que vous pouvez les doubler, ça apaisera votre douleur, expliqua-t-il.

Il fouilla de nouveau à la recherche de quelque chose pour désinfecter, mais ne trouva rien pour faire office de compresse, en dehors d’un de ses hauts de rechange propre. Ça pourrait faire l’affaire en attendant. Stoppant ses recherches, il reporta son regard d’azur sur le visage éreinté.

Savez-vous où se trouve la ville ou le village le plus proche d’ici ? Si vous voulez que je fasse ça correctement, j’aimerais autant aller acheter ce qui me manque. En attendant, vous pouvez déjà vous désinfecter et comprimer la plaie avec ça, suggéra-t-il en lui tendant une mignonette d’alcool et son haut en coton blanc.

Il est propre, ajouta-t-il pour la forme.

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Il ne savait rien. C'était aussi dommage que soulageant, en fait, c'était surtout dommage. Cet étranger n'avait jamais fait partie du plan, Skadi devait mourir dans ces souterrains en se battant jusqu'à lacérer son âme si elle le devait. "Montrer que la foi soulève des montagnes" comme diraient plein de fidèles non concernés, tous des hypocrites ... mais apparemment, Kamaâl n'avait pas vu ça du même oeil en détournant la route de cet homme. Hum. Peut-être qu'il n'était pas si anodin que ça, finalement, cet idiot. Et si ça faisait partie du plan divin ?

Le visage de la rouquine se détourna du sarcasme en faveur d'un air songeur, sérieux comme la mort. Le regard qu'elle déposait sur la bienveillance de cet envoyé du destin passa du mépris à l'intérêt méfiant, ses yeux levés comme essayant de dominer cette silhouette sans jamais cesser de l'étudier. Des certitudes, elle en était remplie. C'était bien rare de voir cette jeune femme hésiter, encore plus lorsqu'il s'agissait d'un hérétique présumé ...

- Fais comme tu veux.

Ardentes, mais fatiguées, les émeraudes sans éclat s'écartèrent finalement de leur fixation sur l'inconnu, ainsi dirigés par un mouvement sec de la tête en direction des ténèbres du couloir. Elle n'opposa aucune résistance à ses traitements, elle but même les gouttes qu'il lui tendait, après les avoir toisés de la plus hautaine expression qui soit. Non pas six, mais bien sept larmes qu'elle soutira à la fiole. Nul besoin de dire que la douleur s'était engourdie sans épargner son corps, qui était soudainement devenu plus lourd.

Skadi ne se gêna pas pour presque arracher l'alcool ou le linge des mains de l'avenant, toujours aussi brute dans ses gestes. Au moins, elle restait silencieuse. Ses pensées se mélangeaient vis-à-vis de cet être ... était-il la manifestation d'un hasard douteux, ou bien l'acheminement d'un plan divin jusqu'aux objectifs du véritable seigneur ? Kamaâl avait dû lui venir en aide, il avait dû se manifester une fois encore, c'était certain.

Il l'avait sauvé d'un poignard dans le dos de la part de la Grande Prêtresse et lui donnait désormais sa volonté véritable ; qu'elle vive.

- Va donc ... renseigne-toi sur la personne que tu viens de sauver, pour que tes remords soient éternels. Crois-moi, si ton coeur appartient à l'usurpateur ... tu risques d'avoir un mauvais choc ... pfah ! Ha ha ! Ah ... aïe.

Et elle siffla entre ses dents, après avoir rallumé la minuscule lueur d'une douleur mourante. Cela ne l'empêcha pas de compléter, plus calmement, avec une nuance presque mélancolique dans le fond de sa gorge.

- Dans tous les cas ... tu regretteras de ne pas avoir suivi la bonne route et lorsque tu reviendras ici, ce ne sera pas pour me soigner ...

La sévérité d'un regard avisant vint remonter dans les pupilles océanes.

- ... ce sera pour m'achever.

Il écouta ce qu’elle disait, et observait son plan de route pour tenter d’y repérer un village pas trop éloigné d’ici. Il s’agissait de ne pas mettre trop de temps s’il voulait pouvoir se montrer un minimum efficace. Il ne doutait pas qu’avec sa hargne elle tiendrait le coup assez longtemps, mais autant lui éviter un trop long calvaire, pas vrai ?

Je vais revenir, et je ferai aussi vite que possible, répondit-il évasivement.

L’achever ? Non mais quelle idée, franchement ! Même s’il se rendait compte qu’elle représentait un danger immense, il ne se permettrait pas de l’achever. Avalon n’était pas un tueur, il était bien trop doux pour ça. Au pire, il la livrerait aux Lames si c’était vraiment nécessaire. Mais avant cela, sa priorité resterait de lui porter secours.

Il se redressa et remit son sac sur ses épaules. Il lui laissa à disposition l’alcool et le haut, mais reprit la fiole d’antalgiques. Savait-on jamais ce qui pourrait advenir si elle décidait de vider le flacon d’une traite…

Ne meurs pas, laissa-t-il échapper instinctivement avant de se diriger d’un pas rapide vers la sortie.

Et c’est en courant qu’il se mit en route. Il avait repéré une bourgade sur le plan. En marchant, elle se trouvait à une demi-heure de là, alors en courant, il y arriverait bien en une vingtaine de minutes…

Il revint presque une heure plus tard, un baluchon chargé de produits qu’il avait achetés. Il était essoufflé mais ne ralentit le rythme et ne s’autorisa à souffler que lorsqu’il entra de nouveau dans le sanctuaire et qu’il aperçut la jeune femme, au même endroit qu’il l’avait laissée.

Me revoilà, se signala-t-il.

Il déposa ses affaires à l’entrée et s’approcha de la blessée. L’endroit où elle gisait n’était pas des plus pratiques pour procéder à des soins.

Je vais vous porter sur une surface plus plane, ce sera plus pratique, la prévint-il avant de glisser un bras sous ses genoux et l’autre dans le creux de son dos.

Il avait préféré l’avertir, juste au cas où. De toute façon, qu’elle refuse n’aurait rien changé. Avalon avait largement le dessus dans cette situation, et elle pouvait toujours lui donner des coups si elle le souhaitait, il était solide.

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"Ne meurs pas", ha ! Quelle folie lui fait croire qu'il peut lui imposer quoi que ce soit ? Si le destin que Kamaâl lui a réservé est vraiment de s'embraser dans ces couloirs gris, alors elle le ferait. En revanche, si elle y survit, ce ne sera pas qu'un coup du hasard, ce sera la preuve véritable que son seigneur a besoin d'elle pour une cause plus noble que celle d'un vulgaire pantin. La grande Prêtresse pouvait bien garder ses stratégies idiotes, Skadi ne suivrait que la voix divine, pas celle d'une énième mégère.

Pourquoi n'y avait-il que des mégères pour diriger ce monde, exactement ? A nettoyer.

Sur des pensées toutes aussi charmantes que ces dernières, la rouquine ne put maîtriser son corps qui passa de fatigue à sommeil presque entier. Une inconscience dénuée de rêve la prit pendant une dizaine de minutes, au moins pour entamer le reste de délai qui séparait le retour du "bienfaisant". Sans doute pensait-il bien faire en lui proposant de l'amener sur une surface plane ... oh que non.

- Je suis pas une de tes donzelles que tu peux porter comme çaaaAAAH !

MAIS ! IL L'AVAIT FAIT, CE FILS DE PUTAIN !! Il l'avait sans ménager l'égo de la rouquine ! C'était quoi cette posture ?! Il portait une guerrière, pas une princesse ! Skadi commença à lutter, se déchirant la gorge d'interdictions.

- REPOSE-MOI ! JE SUIS LA DAME DES BRAISES, LA PORTE-FLAMME ! CELLE QUI REIGNERA SUR LES CENDRES QU'IL RESTERA DU MONDE LORSQUE KAMAÂL REVIENDRA ! JE N'ACCEPTERAI PAS D'ÊTRE AINSI TRAITEE PAR UNE AME INFERIEURE COMME T...!

Une complainte gémissante suivit l'injure. Cet effort de voix, c'était trop pour son thorax encore percé. Elle relâcha ses bras et ravala sa fierté, laissant ses paumes couler sous ses yeux comme pour tracer le chemin à la place de quelconques larmes. Hors de question de pleurer, la douleur n'est pas une peine, mais une épreuve. Expirant doucement après avoir réussi à surmonter le contrecoup de cette agitation.

D'un coup de pied dans une porte, elle en ouvrit le battant, dévoilant le feu mourant et le lit défait qui étaient de sa propriété.

- Pose-moi là. ... et je t'assure que je te ferai payer pour cette humiliation.

Est-ce qu'elle mettrait sa menace à exécution ? Si l'occasion se présentait alors qu'elle était complètement rétablie, oui, elle le ferait. Pour l'instant, l'important était de sauver la face, encore plus devant un impie. De par sa foi, elle lui était supérieure en tout point.

Il était à des lieux de la considérer comme une donzelle, et la posture de portée employée n’avait définitivement rien à voir avec une quelconque possible comparaison. C’était simplement la plus efficace, et peut-être la seule, qu’il connaissait pour ce genre de situation. Il n’allait quand même pas lui demander un effort de plus en la faisant lever pour marcher !
Alors, pour ces raisons, il ignora les contestations et referma plus solidement ses bras autour d’elle afin qu’elle ne risque pas de tomber pendant sa lutte. Mais peut-être aurait-il dû écouter.

Voilà qu’elle s’arrachait la gorge avec virulence, plus folle de rage. Il tiqua à l’énonciation de « Kamaâl » et de « âme inférieure ». Ses propos confirmaient ce qu’il avait pu apprendre durant son périple improvisé. Aurait-il dû l’achever ? Elle représentait un danger immense après tout. La livrer aux soldats ? C’aurait été plus que juste. Il aurait dû songer à prévenir un Saphir avant de revenir, seulement, il n’avait alors pas encore de certitude extrême sur son identité. Et la Garde ne l’aurait sans doute pas laissé la soigner avant qu’ils l’embarquent. Aussi cruel et grand soit son crime, il refusait de la laisser dans une telle souffrance. Laisser agoniser quelqu’un et le laisser mourir lentement était tout aussi cruel.

Il fut soulagé qu’elle se calme, même si cette accalmie n’était due qu’à un retour de la douleur.

Tu m’as humilié toi aussi, je porte des charges de métaux beaucoup plus lourdes que toi tous les jours, jamais encore cela ne m’avait donné autant de fil à retordre, tenta-t-il d’amadouer alors qu’il la déposait à l’endroit indiqué.

Ainsi elle n’était plus comparée à une damoiselle mais à un bloc de métal froid. Cela serait sans doute mieux pour son ego, non ?

Il défit ensuite le sac et vida ses achats un par un pour les étaler stratégiquement. Il y avait des bandages propres, des onguents, du fil et une aiguille, aussi… Tout dépendrait de ce qu’elle souhaiterait utiliser. D’ailleurs, il choisit de se montrer prévenant cette fois-ci.

Tu me laisses le faire ou tu veux t’en occuper seule ? demanda-t-il en portant son regard clair dans l’incandescence de ses yeux colériques.

Il agirait en fonction, inutile de la mettre encore plus en rogne alors qu’elle était déjà prête à lui sauter à la gorge.

C’est à cause de ta foi pour Kamaâl que tu n’as pas utilisé ta pierre de vie pour te soigner ? lâcha-t-il alors, curieux.

Parce qu’il avait du mal à croire qu’on puisse se laisser dans cet état alors que l’advictâme était censé les protéger. Et vu son état, sa pierre avait forcément dû chercher à s’activer… Ca l’énerverait peut-être encore mais la question lui avait totalement échappée.

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Et voilà que l'hérétique se mettait à geindre, elle avait dit qu'elle ne voulait pas qu'on la porte en premier lieu, et maintenant il allait en plus se plaindre de l'avoir fait ? Ha ! Les Naâmistes ... tous de fragiles petites précieuses. Le métal ne bouge pas, lui, la dévote n'était pas de l'acier froid, oh non, elle était une lame brûlante qui ouvrirait et cautériserait la plaie de ce monde qui ne connaît qu'un seul nom : l'humanité telle qu'elle est. La considération ne fit néanmoins pas lever un seul cil à Skadi, elle se foutait pas mal qu'elle l'ait humilié ou non.

L'étranger sortit d'une besace d'innombrables produits médicaux ... il ne les avait pas sur lui, avant. La dévote le releva, avec une stupeur confuse qui lui força même une risette étonnée, balancée entre un sourire amusée et une moue de jugement. Oh, elle avait fait preuve de bien de bonté gratuite et d'abnégation par le passé, quand elle priait l'usurpateur. Il n'y avait rien qu'elle regrettait plus que de s'être faite avoir par un simple mensonge : "L'altruisme est un impératif". Lui aussi apprendrait, et à ses dépens, ce qui devrait arriver plutôt s'il devait la soigner.

Il lui proposa de se rafistoler elle-même, tch ! Comme si elle pouvait se pencher sur son propre buste sans déclencher un torrent de sang. Rien n'était plus irritant que cette bonté gratuite, cet air innocent sur le visage qui criait l'absence de torts, narguant de sa pureté les péchés tout autour. Expirant avec mécontentement, Skadi se rallongea sur la table, originellement sacrificielle, et leva son haut jusqu'au milieu des côtes. L'entaille était profonde, encore sanguine à l'intérieur. En guise de réponse, la rouquine se contenta de soupirer sobrement, invitant l'étranger à ... l'aider.

- Je serais une idiote si je n'utilisais pas tous les outils à ma disposition, y compris ceux que l'usurpateur me lègue. Elle détourna un regard plus calme, mais bien plus sombre. Naâme m'a juste abandonnée ... autant que moi je l'ai abandonné.

Mais même si elle n'en dit rien, ne serait-ce que par fierté, elle aurait été capable de renoncer au soin de sa pierre. Après tout, ramper aux pieds de l'usurpateur, ne serait-ce que par le biais de son pouvoir ... Skadi en ravala presque la phrase qu'elle venait d'énoncer. Elle lâcha alors un rire vide, sarcastique, presque triste sans même qu'elle ne se rende compte de ce dernier aspect.

- C'est tout de même incroyable d'être aussi stupide. En me soignant, tu mets ta vie, celle de centaines, voire de milliers ... de tous les Trois-Lieux en péril et au nom de quoi ? De la pitié ? De "l'altruisme" ?

Ses joues rouges trahissaient sa colère ... à voir ce que ses yeux brillants pouvaient bien vouloir dire.

- Quelle logique idiote peut bien justifier ça ?

Il ne se plaignait pas vraiment, il avait simplement tenté de dédramatiser la vision que cela pouvait inspirer à la jeune femme de se voir portée ainsi. Une tentative bien inutile en somme, puisque cela n’avait pas eu l’air de la dérider ne serait-ce qu’un peu.

Il comprit par les mots qui suivirent qu’elle le laisserait s’occuper de ses blessures. Certes elle aurait sans doute eu bien du mal à se rafistoler elle-même, mais vues ses précédentes réactions, le forgeron avait tenu à avoir son accord avant cette fois-ci. Il releva ses manches et frictionna ses mains avec une sorte d’herbes médicinales pour se les désinfecter tandis qu’il l’écoutait parler. Naâme l’avait abandonnée ? Etait-ce seulement possible ? Etait-ce pour cela qu’elle avait choisi de vouer sa foi à Kamaâl ? Ou s’était-elle détournée avant ? Il y avait tant de questions qui lui venaient tout à coup, c’était la première fois qu’il rencontrait une fervente adepte de l’autre divinité.

Il releva son regard vers son visage lorsqu’un rire s’échappa de ses lèvres. Stupide ? Oui, il l’était sans doute un peu. À l’instar de naïf. Mais son acte n’avait rien à voir avec de la pitié. La pitié aurait été de l’aider à rendre son dernier souffle, comme on le ferait pour un animal blessé. Là, il faisait le contraire, il lui accordait de son temps et prenait effectivement de gros risques en la soignant. Pire encore, il aurait dû la livrer aux autorités en sachant que lui-même avait souhaité intégrer la Garde fut un temps. Alors pourquoi ? Y avait-il seulement une once de logique là-dedans ?

Sans doute aucune, dit-il d’abord.

Il prépara un mélange de différents onguents pour former une pâte qu’il alla ensuite déposer délicatement dans la plaie. Cela la nettoierait et l’aiderait à cicatriser de l’intérieur, mais il faudrait refermer la plaie suffisamment de l’extérieur si elle voulait que ce soit efficace.

Peut-être que je ne me suis pas perdu par hasard, ou peut-être que je suis tout simplement stupide et fou, qui sait ? Pourquoi faudrait-il absolument trouver comment le justifier ? Et qui te dit que je n’ai pas averti les Saphirs, et qu’ils n’attendent pas à l’extérieur que j’ai fini de te soigner pour t’embarquer ?

Il marqua un arrêt pour chercher un flacon d’antalgiques et le lui tendit avant de préparer le fil et l’aiguille.

Je ne crois pas que les choses arrivent par hasard, même si je ne les comprends pas toujours. À cet instant, il songea à sa femme qui s’était faite tuer alors qu’elle portait son enfant, car c’était bien l’exemple le plus extrême qu’il avait pour illustrer ses propos.
Aussi dangereuse sois-tu, je ne suis personne pour décider qui doit mourir. Maintenant évite de bouger, je ne suis pas couturier et j’aimerais autant faire ça proprement, dit-il en se penchant un peu plus vers ses côtes.

Il allait la recoudre, nettoyer sa peau et lui appliquer un bandage propre. Dans sa folie il lui laisserait même sans doute quelques victuailles de survie. Si elle voulait se mettre à sa poursuite pour le tuer ensuite, qu’elle le fasse.

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"Aucune" ... évidemment, il n'avait pas la réponse à ses propres actes qui n'avaient aucun sens ! C'était frustrant, si irritant ! De toute évidence, c'était un homme "bon", ou du moins il avait quelque chose à prouver. Bref ! Toujours était-il qu'il faisait une connerie, oui, une connerie qui avantageait Skadi, mais ... ça n'avait pas l'air ... "juste". Maintenant, il était bienveillant, mais la rouquine était certaine qu'un jour, lui aussi se ferait trahir par Naâme alors qu'il n'aurait jamais mérité d'être ainsi poignardé. Si ce n'était pas déjà fait, ça arriverait tôt ou tard et ça, la jeune femme ne pouvait pas le supporter !

Elle arqua d'ailleurs un sourcil lorsqu'il mentionna "stupide et fou", en parlant de lui-même. L'altruisme poussé à l'extrême faisait souvent cet effet, encore plus lorsqu'il mettait en péril la vie de celui qui le pratiquait. Il évoqua une possibilité qui amusa presque la maâliste, l'idée que la garde puisse attendre au-dehors, ç'aurait été une si belle initiative de sa part. Skadi n'aurait pu qu'applaudir, mais quelque chose lui disait qu'ils n'auraient pas envoyé qu'une seule personne pour vérifier que le sanctuaire soit bel et bien vide.

Mais malgré ses pensées, elle gardait un air sévère, dur, bien que moins agressif qu'auparavant. Quel choix avait-elle ? Cet homme était un témoin, quelqu'un qui savait où elle était, qui conversait avec elle dans un autre milieu que celui de la confrontation religieuse. Jamais elle n'avait vécu ça, sa vie était une croisade permanente ! Si tout ça est permis, c'était parce qu'elle croyait qu'elle en avait fini. Mais, l'étranger n'était pas un hasard, effectivement, Kamaâl attendait certainement plus d'elle.

Elle se tint bien tranquille lorsqu'il commença à recoudre sa chair, l'avantage à soigner une telle personne, c'était qu'elle n'était pas douillette. Ce n'était pas sa première cicatrice, ce ne serait pas sa dernière, certainement. Bon, il ne l'avait pas encore embrochée avec l'aiguille ... peu importe ce qu'il faisait, Skadi n'en voyait qu'une partielle finalité.

- C'est un bon sentiment, pas vrai ? Que celui d'aider les gens. Se sentir utile, être un peu plus que ce que les autres, peu importe qui ils sont, voient en nous.

Ses yeux de jade continuaient à fixer le plafond, à la recherche des mémoires de quand elle était petite. De toute façon l'intimidation ne l'amenait à rien et quand bien même sa fierté le lui dictait, elle n'avait aucun intérêt à l'empêcher de la soigner.

- Moi aussi j'ai aimé ça, autrefois, et je l'aimerai encore quand tout sera fini.

Elle sourit, imaginant le futur qui l'attendait, visualisant ce qu'elle ferait une fois que le monde serait revenu à la raison. Oh, elle se voyait heureuse, en paix, la rouquine ne put s'empêcher de sourire avec une étrange nuance pure, sincère aux lèvres. Elle se ravisa bien vite, grimaçant en se rappelant une dure vérité.

- Mais d'abord, tout doit finir ... elle soupira, puis, ferma une paupière sous un petit élan de douleur. Clairement tu n'es pas plus médecin que couturier, mais passons ... j'ai déjà eu pire comme rafistolage. Ton nom ? Qu'est-ce que tu fais ici ?

Oui, il avait piqué son intérêt. C'était tout ce qu'elle laissait montrer, cependant, sous ses airs impérieux, bien que moins insupportables. Ce qu'elle se devait d'admettre, en revanche, c'était qu'il fallait une certaine force pour être à ce point un idiot bienveillant.

Il hésitait clairement sur l’endroit où il devait commencer à piquer, et tachait de se concentrer entièrement sur sa tâche. C’aurait été dommage de l’endommager davantage par manque de connaissance médicale… C’était limite s’il n’était pas plus stressé qu’elle à l’idée de s’improviser médecin. Elle devait sans doute avoir l’habitude… Mais clairement pas lui.

Il se décida à faire un premier point en bout de plaie, passant aussi délicatement qu’il lui était possible l’aiguille sous sa peau. La pâte d’onguents recouvrant la blessure jusqu’aux bords l’aidait à repérer plus facilement la chair utilisable. Et tandis qu’il entamait lentement un deuxième point, il l’écoutait. Il fut d’abord surpris par la nouvelle tonalité de sa voix, mais aussi tenté fut-il de mettre de nouveaux traits sur son visage, ses yeux restèrent figés sur ce qu’il faisait.

Cependant, il ne put s’empêcher de suspendre son geste au fil de ses mots, pour l’observer. Elle qui semblait si sauvage et endiablée, lui apparaissait tout à coup bien normale et même, blessée. Pire encore, elle se mit à sourire. Mais pas un de ces sourires dangereux ou sournois, un sourire presque serein et… innocent. Ça lui colla un frisson tout entier le long de la colonne vertébrale, et à la grimace qu’elle tira ensuite, il reporta son regard sur la plaie et reprit sa couture.

Je m’appelle Avalon et je te l’ai dit, je me suis perdu. On m’avait parlé d’une source de métal exploitable dans le coin, je crains de m’être fait légèrement avoir, avoua-t-il un sourire aux lèvres toujours concentré.

Il ne se vexait même pas à l’idée de s’être fait effectivement berné. Il aurait l’occasion de comprendre plus tard, tout cela n’était sans doute qu’une coïncidence.

Et toi ? Quel est le nom de la femme la plus recherchée du moment ? N’oublie pas la fiole si tu as mal.

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Il s'était "perdu", ha ! Ce que cet homme lui-même ne savait pas, c'était qu'il était un signe, une main tendue envoyée par Kamaâl pour lui venir en aide. Il était là par hasard, se fichait d'à quel point elle pouvait nuire à l'humanité naâmiste, la soignait en dépit de son appartenance. N'était-ce pas un peu trop parfait pour y voir autre chose qu'un signe. C'est pourquoi Skadi sourit, rassurée. Son dieu ne l'avait donc pas abandonnée, il était bel et bien là, à ses côtés. Elle aurait voulu ne jamais en douter, mais aux portes de la mort, elle s'était demandée qui de la Grande Prêtresse ou d'elle-même méritait le plus son amour. La réponse était attendue ... après tout, elle avait tant donné.

La dévote posa les yeux sur la bouteille. Elle avait préféré éviter d'en boire avant, les liquides peuvent s'avérer souvent bien fourbes, elle le savait mieux que personne. Mais maintenant, elle avait baissé sa garde, elle sentait qu'elle pouvait se permettre de moins être aux aguets. Néanmoins ... chaque chose en son temps.

- ... Skadi. Comme ça tu sauras qui dénoncer si l'on t'interroge à mon sujet.

Elle plaisantait, enfin ... c'était une tentative d'humour. L'inconvénient, c'était qu'elle n'avait pas exactement l'air commode, même en disant ça. Peut-être que la petite expiration moqueuse laisserait "Avalon" devinait qu'elle aussi savait parfois ... "faire des blagues". Quoi, elle venait presque de ressusciter ! Elle avait passé pas moins d'une semaine à dépérir dans ce caveau évidemment qu'elle était heureuse de se sortir de cette impasse.

- J'ai l'habitude d'avoir mal, continue. Même si tu ne les as pas appelées, les saphirs pourraient arriver d'un instant à l'autre. Ta bouteille m'endormirait, j'ai besoin de tous mes sens.

Même si un peu de sommeil lui aurait fait du bien, la rouquine considérait qu'elle avait déjà été gâtée de recevoir autant d'aide. Par fierté personnelle, elle n'en demanderait pas plus, Kamaâl ne pouvait lui consacrer qu'un certain nombre de faveurs. Maintenant, c'était à elle de montrer qu'elle était digne de survivre.

Elle songeait à toutes ces questions quand une chute de poussière vint lui effleurer le front. Ils étaient en souterrain, ça paraissait normal, mais Skadi n'était pas assez naïve pour croire à une bête égarée au-dessus du sanctuaire.

- Tu as fini ?

Un bruit métallique résonna alors au travers des couloirs, comme un bout d'acier qui venait de taper la pierre du sanctuaire. Les bruits s'enchaînèrent, laissant devinant un grand nombre de visiteurs et pas du genre que la rouquine aurait aimé voir venir. Elle commença naturellement à s'affoler.

- Si t'as pas fini tu ferais mieux de te dépêcher ! Je sais pas ce que tu comptes dire à ces gardes mais ils n'avaleront pas ton histoire de vagabond perdu ! Encore moins avec ce que t'es en train de faire !

Skadi avait mis l'état du Gravorn en alerte et maintenant elle risquait de le payer s'il ne se bougeait pas ! Pourvu qu'il soit plus futé pour échapper à la loi que pour soigner les bonnes personnes ...

Un sourire effleura ses lèvres tandis qu’elle lui révélait son nom. Il n’aurait pas pensé qu’elle lui donnerait sa véritable identité, n’avait d’ailleurs aucune certitude qu’elle l’ait fait mais, il préférait croire que c’était bel et bien le cas.

On se demanderait comment je te connais, fit-il remarquer.

Et on le soupçonnerait sûrement par la suite d’être complice, malgré toute l’honnêteté et l’innocence dont il était capable.

Il releva un instant son regard vers le sien quand elle mentionna une possible visite des Saphirs, avant de se reconcentrer sur sa couture. Il avançait doucement, mais sûrement. Encore quelques points et il pourrait nettoyer les contours avant d’appliquer un bandage propre.

Ce serait quand même vraiment pas de bol qu’ils débarquent maintenant, commenta-t-il toutefois, d’un ton ironique.

On n’pouvait pas avoir la poisse à ce point quand même, si ?

Lui n’avait pas remarqué la poussière qui s’était échappée du plafond, et il achevait sa dernière suture quand elle lui demanda justement s’il avait terminé. C’est à son angoisse soudaine qu’il réalisa que oui, que ce soit elle ou lui, la poisse venait bien de leur tomber sur le coin de la gueule.
Instinctivement, il tourna la tête en direction des bruits métalliques. Avant de s’affairer plus vite sur la finition de ses soins, mais sans précipitation. Ça ne servait à rien de paniquer tout de suite, ce n’est pas ça qui les aiderait tous deux à esquiver la Garde.

Il coupa le fil, passa un coup de nettoyant autour avant de la surélever légèrement pour pouvoir faire plusieurs tours de bande afin de protéger le tout.

C’est bon, j’ai fini. Maintenant, s’il-te-plaît, dis-moi qu’il y a un passage secret pour qu’on puisse sortir, ou alors il va falloir inventer un mensonge en acier !

Ne. Pas. Paniquer.