[15 dollune 1100] Résignation en résillience.

Résignation en résillience.
- 15 dollune 1100, à la forge Sélac, Albatra -

Huit longs jours de marche avaient été nécessaires pour palier la distance Borderoc - Albatra.

Cette distance, normalement parcourue en une petite semaine, fut une des épreuves les plus terribles qui avait du subir. Une épreuve totalement mentale alors que son physique certes sec mais musculeux et habitué à bouger n'était pas du tout en cause. Le tilikop facétieux et aussi tumultueux qu'un gosse n'avait rien arrangé à ses affres. Heureusement avait-il eut la bonne idée – déjà quelques semaines auparavant – de fabriquer un harnais avec des chutes de cuir. Une cordelette faisait office de laisse et il l'avait arrimée à son sac-à-dos-atelier. La bestiole pouvait ainsi être relativement libre de ses mouvements tout en devant suivre Rehan. Mais ça n'empêchait en rien Rokann de monter dans les arbres et Rehan de devoir râler et pester jusqu'à ce qu'il en descende...

Rokann. Ce prénom totalement imaginé lui était venu assez facilement. Tout d'abord et assez simplement surnommé « le Rose » – il avait été facile de deviner que l'animal était un mâle – le mot avait assez vite dérivé alors que la drogue devenue quotidienne et quasiment indispensable à Rehan l'avait inconsciemment inspiré. Cette plante, dont il avait acheté la plus grande quantité possible avant de quitter Borderoc, l'avait contraint à dormir en bord de route. Pour dire la vérité, il s'était même enfui de son auberge en pleine nuit et n'avait pas payé sa dernière semaine.

Son séjour à Borderoc avait été le plus long qu'il n'est jamais passé dans une ville depuis qu'il avait quitté précipitamment Albatra. Il fallait dire que ses dernières semaines n'avaient pas été de tout repos... Et Borderoc lui avait paru étrangement accueillante pour un jeune homme dans sa condition.

Il y avait trouvé un certain réconfort, et une solution – ou en tout cas une réponse satisfaisante – à ses principaux problèmes : son anxiété chronique et sa cyclothymie. L'orkann était facile à trouver quand on avait de quoi payer... Et sa consommation avait pour le moins drastiquement augmenté depuis qu'il avait repris la route.

De deux à trois joints par jour il était passé à presque dix. Des plus petits, moins chargés en drogue, un peu plus de tabac, mais son pochon descendait tout de même bien plus vite que lorsqu'il était à Borderoc, travaillant depuis l'aube jusqu'au soir et profitant de la nuit tombée pour se détendre et s'amuser. Depuis qu'il avait décidé de prendre la route son angoisse – plutôt bien calmée par l'orkann – était intrinsèquement revenue lui tordre les boyaux, la gorge et les poumons.

Il avait mis plusieurs jours avant de finalement se résoudre à rejoindre la capitale, ville de toutes ses adorations mais aussi de toutes ses peurs. Surtout de ses peurs alors qu'il l'avait quitté pour une raison qui lui hérissait les poils rien que d'y repenser... Alors la route fut longue et pénible psychiquement. Mais il fallait qu'il s'y rende.

Il avait écumé toute les forges de Borderoc – dont le célèbre Maillet Rocheux – sans succès. Ces belliqueux de vornois avaient tous et catégoriquement refusé de lui forger la petite boîte dont il avait grossièrement dessiné les plans. Le petit coffret, qui sera arrimé à sa ceinture et destiné à accueillir son cristal de vie dont il ne supportait plus la froideur contre sa peau. Ça aussi avait participé à son mal-être...

L'avoir en permanence collé à même son épiderme lui provoquait régulièrement d'horrible frissons – comme pris d'un accès de fièvre – et le rappelait à sa condition de jouet entre les quatre mains divines. Il lui était donc devenu primordial de faire réaliser cette boîte afin d'éviter de se la faire de nouveau voler. Et devant le refus des métallurgistes de Borderoc, Rehan avait dut se résoudre à se tourner vers le seul forgeron de sa connaissance : Avalon Sélac. Sauf que ce dernier résidait à Albatra...

Il avait passé plusieurs nuits blanches à se torturer l'esprit avant de finalement s'écrouler de sommeil et se résoudre à se rendre à la capitale dès son réveil.

La ville ne semblait pas avoir changée. En même temps il n'était parti que trois ans... Il n'eut aucun mal à retrouver ses repères et put se mouvoir avec une certaine rapidité dans les rues et ruelles bondées et animées. L'animation était bien différente de celle de Borderoc mais elle était emprunte de l'angoisse viscérale du jeune cordonnier. Tous ses sens étaient en alerte, il avait fini par serrer Rokann tout contre lui – d'abord dans l'idée d'avancer plus vite en l'empêchant de vaquer autour de lui – cherchant un certain réconfort dans la douce fourrure rose. Et puis ça empêchait qu'il soit trop visible et attire trop de gens... Les tilikops n'étaient pas des animaux communs et Rokann attirait facilement le regard, ayant souvent arrêté Rehan dans ses déambulations à Borderoc.

Lorsqu'il arriva enfin à la forge Sélac, il était tellement crispé qu'il en avait le souffle court. Son cœur tambourinait dans sa poitrine et bourdonnait à ses oreilles comme une cithare mal accordée. Déboulant presque comme un fou dans la pièce d'accueil aux clients, il se vautra carrément contre le comptoir, relâchant ses bras et laissant ainsi Rokann sauter sur le plan de bois dans un feulement outré.

Posant son front contre le bois relativement frai – en même temps il était tellement mal qu'il chauffait comme s'il avait de la fièvre – il poussa un soupire tout en se répétant qu'il était bien arrivé et qu'il était en sécurité. Une de ses mains fouillait machinalement sa poche à la recherche de sa blague à tabac qui contenait deux joints d'orkann roulés d'avance alors que sa boite en ferraille contenant sa réserve était rangée bien planquée au fond de son sac-à-dos-atelier.

Codage par Libella sur Graphiorum

Résignation en résillience.
- 15 dollune 1100, à la forge Sélac, Albatra -

Il défit sa main de la légère étreinte de l'argenté sans vraiment s'être rendre compte du geste. En cet instant rien d'autre que l'orkann ne pouvait réduire son stress et son angoisse. Il savait que ça allait montrer crescendo au fur et à mesure qu'il allait raconter tout ce qui lui été arrivé et il ne voulait surtout pas risquer que son stupide cristal s'active à l'encontre du forgeron.

Alors qu'il roulait son joint il avait repris la parole – le simple fait de voir les fleurs séchées lui donnait déjà du baume au cœur.

- En poursuivant le voleur je me suis retrouvé à Borderoc, expliqua-t-il je n'y été jamais allé... Sur place j'ai eut la chance de rencontrer une chasseuse de prime qui moyennant finance m'a aidé à pister l'homme. Nous l'avons finalement rattrapé à la sortie de la ville, en direction d'Albatra. C'était un bouffon, un fou des rues avec tout l'attirail circassien... Il a tenté de feindre le vol, il a du aussi feindre la folie – quoi qu'il était plutôt assez idiot, limite mégalomane – mais il m'a finalement rendu ma pierre... il avait fini de rouler et se leva pour aller ouvrir la fenêtre qui donnait sur le jardin, asseyant à califourchon sur le rebord de manière à avoir Avalon dans son champ de vision même s'il ne le regardait plus vraiment Après ça, je suis redescendu à Borderoc, j'avais besoin de repos... d'un craquement d’allumette il tira sur son joint Par hasard j'y ai croisé un revendeur d'orkann. Je me suis souvenu comme cela avait été salvateur avec toi... il avait baissé les yeux, tirant sur sa roulée, emplissant ses poumons de la doucereuse drogue J'en ai pris et ça m'a permis de me poser, de me reposer, véritablement... Jusque là j'étais toujours sur le qui vive, toujours anxieux, angoissé, j'avais peur de tout, des autres souvent mais surtout de moi. De ce que je pouvais faire sans le vouloir si j'étais trop mal et que Naâme décidait de m'aider au détriment des autres... il releva un peu la tête pour fixer l'argenté Je suis donc resté à Borderoc, pourtant la plus dangereuse ville du royaume mais, je m'y sentais bien... Jusqu'à cette nuit. il sentait son cœur s'affoler et tira frénétiquement sur son joint, quittant finalement Avalon des yeux pour tourner corps entier vers l'extérieur

Il s'était tu, rassemblant ses pensées, le corps crispé. Rokann avait fini par le rejoindre, montant sur ses épaules et s'étalant en travers – comme une grosse étole de fourrure rose.

- Je crois que j'ai tué quelqu'un. finit-il par murmurer A Borderoc, le soir où on a libéré Rokann et Zelen... il tirait sur son joint avec force Ça n'était pas volontaire, c'était un concours de circonstances, il s'est embroché sur mon bâton sans que je ne puisse rien y faire... Je me suis enfuis sans voir si son Advictâme l'avait sauvé ou non... Je n'ai pas entendu que l'ont me recherchait, et je suis resté à Borderoc encore un moment avant de me décider à partir mais l'homme que j'ai peut-être tué n'était pas un nanti... Peut-être suis-je recherché mais la pègre est plus discrète que les Lames... il prit une grande inspiration pour tenter de calme son cœur affolé Je me suis caché, j'ai eut une longue phase de déprime, l'orkann n'a pas pu contrer plus longtemps ma maladie et depuis je n'ai qu'une seule idée en tête : mettre ma saloperie de cristal en sécurité...


Avalon était resté silencieux mais Rehan ne s’affola pas. Le calme olympien et le regard doux du forgeron avait un réel pouvoir d’apaisement sur le jeune homme. Il ne sentait pas jugé, pas décrié… Alors il continua, versa son sac, parla de ses affres jusqu’à ce qu’il se sente enfin libéré. Puis, sentant la fatigue le gagner – la délivrance de la parole y aidant – il avait demandé s’il pouvait se reposer chez Avalon le reste de l’après-midi.

C’est seulement quelques heures avant la tombée de la nuit qu’il rejoignit la forge. C’est l’apprenti du forgeron qui le reçut et lui donna sa boite. Rehan fut un peu déçut de ne pas voir Avalon mais il n’en fit rien paraître, le forgeron avait été bien assez généreux de le recevoir chez lui et d’accéder à sa demande aussi vite. Il paya donc l’apprenti – refusant le cadeau – et harnacha aussitôt la précieuse boite à sa ceinture.

Elle y seyait parfaitement et Rehan senti un nouveau poids s’enlever de ses épaules lorsqu’il y enferma son cristal rouge, enfilant à son cou la clef accrochée à une cordelette. Il remercia l’apprenti et prit congé avant de faire le tour de la bâtisse pour tenter de voir Avalon. Mais l’homme était totalement absorbé par son travail et ne vit pas le jeune cordonnier.

Rehan fut soudainement prit d’un étrange sentiment qui lui serra le cœur… Un mélange de triste nostalgie et d’espoir vain. Il eut l’horrible sensation que c’était la dernière fois qu’il voyait cet homme incommensurablement bon, éminemment gentil et incroyablement doux… Il le fixait comme on regarde une personne sur le point de mourir, pour se rappeler des moindre détails de son visage…

Le jeune homme aux cheveux bleu repensa à la nuit qu’ils avaient passées quelques semaines auparavant, aux paroles qu’ils avaient échangées, aux blessures qu’ils avaient pansées… Il essuya rapidement l’unique larme qui coula spontanément sur sa joue, la bouche ampli d’une amertume qu’il n’avait jamais ressenti auparavant et fit volte-face sous le tambourinement pressé de son cœur qui s’affolait. Il se mit à courir, atelier sur le dos, Rokann serré contre sa poitrine.

Dans sa course il bouscula une jeune femme au cheveux de feu et au regard acéré bien qu’étrangement doux. Il eut à peine le temps de présenter ses excuses, ses jambes battaient toutes seules alors que sa poitrine s’enserrait de nouveau de ce sentiment de perte lorsqu’il avait croisé les yeux de cette jeune femme qu’il ne connaissait pourtant pas.

Un vide s’était créé en lui, il savait inconsciemment qu’il ne reverrait plus jamais le forgeron, comme il ne recroiserait jamais la belle inconnue aux cheveux flamboyant.

Il mit le cap vers la sortie de la ville, des larmes cette-fois ci à torrent le long de ses joues sans qu’il ne cherche à les arrêter.

Il aurait tant aimé connaître un peu plus Avalon, tant aimé l’aider à panser ses plaies, tant aimé être simplement un ami pour cette personne qui méritait tout le bonheur du monde…

Codage par Libella sur Graphiorum