[27 DOLLUNE 1100] Tour de lames et saveur de poison |Abel|

Après le décès de Jazel et ce bol d’air soudain que cela lui avait apporté, Keira avait ressenti le besoin de marquer cet évènement d’une façon plus symbolique. Les rapières qu’elle utilisait depuis plusieurs années maintenant lui avaient été données par l’homme qui lui avait servi de père de couverture, et bien qu’elles soient de bonne facture, les lames commençaient sérieusement à s’émousser. Mais ce n’était pas ce qui l’avait poussée à s’en séparer, non, les abandonner lui permettrait de mettre définitivement cet homme infâme dans son passé. Elle ne retournerait d’ailleurs certainement pas au village d’Embuscade et irait s’établir ailleurs, pour que plus rien ne lui rappelle son mauvais souvenir. Le point de ravitaillement de la Chaîne des Alles en frontière du Marvier avait été défait suite au tremblement de terre et au nombre conséquent de Lames qui y fourmillaient à présent, elle choisit donc de se rendre au second qui était le plus proche, à mi-chemin entre Borderoc et le passage d’embuscade, dans un ressac isolé que seuls les Sang-Visages et leurs contacts pouvaient connaître.

La silhouette encapuchonnée de rouge et le visage couvert par son masque, elle procédait à son achat auprès d’un homme qui lui paraissait de plus en plus désagréable au fil des secondes.

Ces rapières viennent d’une forge de très bonne réputation, je ne te les cèderai qu’à 400 lieutons et… une petite information personnelle en prime, qui ne me regarde certes pas, mais…

Le regard de la Sang-visage sembla se détacher de son masque de manière quelque peu menaçante lorsqu’il se posa sur le marchand qui, lui, n’avait rien pour dissimuler ses traits espiègles.

J’ai entendu dire que tu avais plus de trente meurtres à ton actif, mais que tu n’avais toujours pas choisi d’apprenti alors que tu en avais eu l’occasion…

Tu as raison, ça ne te regarde pas, claqua-t-elle en déposant une bourse pleine sur son étal.

Le bougre lui avait tendu les rapières, qu’elle essaya dans l’instant en faisant quelques mouvements, mais insista :

Tu pourrais contrarier quelques têtes à trop faire bande à part, Eclair écarlate.

D’un geste fluide, la pointe de l’une des lames se retrouva sous la gorge de l’emmerdeur.

Et toi tu pourrais bien perdre la tienne à trop me contrarier. Il serait regrettable que l’envie me prenne d’ôter une vie sans contrat préalable, Valnus, menaça-t-elle en dardant un regard assassin dans le sien.

L’homme n’ajouta rien cette fois, et l’Eclair ôta la lame de sa gorge avant de sangler les deux nouvelles rapières à sa taille puis de s’éloigner.

Cet imbécile de Valnus avait réussi à la foutre en rogne. Elle n’avait pas souvent des envies de meurtre, son entraînement l’ayant rendue plus que patiente avec le temps. Mais, tout était sans doute très relatif. Et avec ce marchand, qui se mêlait toujours de ce qui ne le regarde pas, c’était beaucoup plus complexe de conserver son calme. Il y avait fort à parier qu’il tomberait un jour sur quelqu’un de moins laxiste et de plus radical. Ce serait probablement une perte pour le marché noir, mais personne n’était irremplaçable.

Elle avait jeté un coup d’œil vers le sang-visage au masque de pluie sanglante quand celui-ci l’avait regardée. Elle se souvenait vaguement l’avoir déjà vu, à ce même marché. La dernière fois remontait sans doute à loin, car elle ne passait pas souvent ici, et elle ne se rappelait pas l’avoir croisé sur un autre point de rencontre. Elle détourna finalement les yeux et détailla ses nouvelles rapières, inspectant leur finition en passant sa paume sur les côtés plats. Elle était satisfaite de son achat, ces armes lui conviendraient parfaitement.

Bonjour à toi, Eclair Ecarlate. Cela faisait longtemps. Je te présente mon apprenti, j’ai enfin pu passer mentor, l’interpella un homme au masque aux motifs de roseau accompagné d’un môme d’à peine sept ans.

Roseau Moqueur. Je ne pensais pas te voir un jour devenir bourreau à ton tour, lâcha-t-elle d’un ton ironique.

L’homme avait gagné son surnom grâce à la façon dont il avait tué son premier contrat, en l’étouffant littéralement avec des roseaux qu’il avait glissés dans sa bouche. La rumeur disait qu’il avait ri devant l’agonie lente de sa victime…

Bourreau ? Haha, eh bien, je pensais qu’en prendre un m’encombrerait de trop, mais ce n’est pas si compliqué au final. Tu devrais essayer.

Jamais. Je n’ai pas l’intention de prendre un apprenti. Vous vous êtes passé le mot pour me faire chier avec ça ou quoi ? rétorqua-t-elle, visiblement irritée.

Ce n’est pas moi que ça dérange, après tout j’ai parié gros sur le fait que tu n’en prendrais pas alors… Ce ferait mon affaire.

Ravie de pouvoir t’aider à t’enrichir… Tu diras à Oiseau de nuit que je suis toujours un cas désespéré, dit-elle avec un léger sourire en coin.

L’homme se mit à rire d’un air complice avant de dire qu’il ne manquerait pas de lui répéter et lui souhaita la bonne journée. Il se dirigea ensuite à l’étal où était Pluie Mortelle et le salua, par principe, avant d’attendre patiemment son tour.

Elle ne sursauta pas lorsqu’on lui tapota dans le dos. Les années lui avaient appris à rester vigilante en toute circonstance, même dans un rassemblement tel que celui-ci. Surtout ici à vrai dire, là où nombre d’assassins allaient et venaient. Elle releva son visage masqué vers Pluie Mortelle, et posa ses yeux sur le fameux bout de tissu qu’elle avait échappé.

Merci, se contenta-t-elle d’émettre avant de saisir la pièce de tissu et de la ranger dans un compartiment de son sac.

Ce n’était pas grand-chose, rien de très important aux yeux de n’importe qui. Ce n’était qu’un bout de torchon abimé par le temps, usé et sale. Mais c’était tout ce qui lui restait de sa mère. Un jour, lorsqu’elle la retrouverait, elle le lui ferait avaler pour l’étouffer avec.

Elle reporta son regard clair sur le visage de son comparse lorsqu’il fit remarquer qu’on ne l’avait pas vue ici depuis un moment. Elle sembla le jauger un instant, comme si elle cherchait à savoir si ce n’était qu’une simple constatation émise à haute voix, ou si c’était les prémices de ce sujet qui l’emmerdait qui allait encore être mis sur la table.

Les gens sont moins curieux et se soucient davantage de leurs propres fesses au point où je me rends d’ordinaire, fit-elle d’abord remarquer comme pour « justifier » qu’elle ne vienne que rarement à ce point de ravitaillement.

Le point ouest de la Chaîne des Alles est hors d’usage pour le moment, depuis le tremblement de terre c’est devenu trop risqué, il y a beaucoup de soldats qui y tournent, expliqua-t-elle.