[7 dollune 1100] Discussion autour d'un thé.

Les jours et nuits s’enchaînèrent alors que l’apothicaire, poursuivait son long voyage pour le ramener dans les terres qui l’ont vu naître, qui l’ont vu croître, puis devenir un homme respectable. Placé à côté d’un marchand de soie, au ventre pansu, et aux indénombrables bagues d’or et d’argent, Aubrien écoutait les histoires de l’homme, axées pour la plupart sur lui, sur sa réussite, sur celle de sa famille. Si toutefois, au départ, il y prêtait une oreille attentive, comme tout bon interlocuteur qu’il est, après une demi décade, il finit par se lasser.  L’autolâtrie et la vantardise dont faisait preuve son compagnon de carriole, épuisait littéralement Ceadan, qui n’éprouvait qu’une seule envie : que son périple s’achève.  

Alors qu’il observait du coin de l’œil l’un des mercenaires, affiliés à la protection des convois, une main aux doigts boudinés oscilla devant ses pupilles lagunaires. Haussant un sourcil, il porta son attention sur son vis-à-vis.

— Mon cher, vous ne m’écoutez point.

— Pardonnez-moi. Je suis juste… fatigué.

Fit le galant de ces dames, honnêtement, une mine contrite sur son visage. A l’air éreinté du voyageur, le mercantile ne lui cherche ni querelle, ni fait peser sur ses épaules, l’estoc des remontrances.

Deux heures après ses derniers mots, tandis que le sommeil le gagne, que ses paupières lourdes, se ferment, il peut entendre.

— Nous sommes arrivés.

Après un remerciement, Aubrien descend de la carriole, ouvre la porte de son commerce. Il souffle sur une des étagères, la poussière.  Un soupir lui échappe devant le travail qui l’attend. Prenant un chiffon et de la cire, il commence le grand nettoyage.

C'est finalement le bruit des carillons qui l'arrêtent couplé à l'élancement de sa boîteuse.. Maudissant intérieurement son handicap, Ses mires profondes s’apposent sur le nouvel arrivant.  

— Aïdan. Mon cher confrère ! Cela fait réellement plaisir de vous revoir.

Après un léger silence, il poursuivit.

— Souhaitez-vous un thé ? Une tisane ?

La porte s'ouvrit dans un craquement, les carillons tintèrent joyeusement dans les oreilles d'Aïdan. L'historien sourit, soulagé. L'apothicaire était finalement de retour. Au cours des derniers jours, Aïdan était passé à quelques reprises pour le saluer. Chaque fois, il s'était heurté à une porte fermée. Il avait commencé à s'inquiéter un peu, notamment parce qu'Aubrien avait pour habitude de venir écouter les conférences qu'il donnait à l'Académie et qu'il avait, les dernières fois, brillé par son absence. Aïdan savait que son confrère ne lui avait mentionné aucune absence – doté d'une mémoire hors du commun, il n'aurait certainement pas oublié une telle information. L'apothicaire n'avait certes pas à la prévenir de tous ses déplacements, mais le voir quitter sans un mot et aussi longtemps demeurait inhabituel. Enfin, tout est bien qui finit bien – Aubrien était de retour et l'accueillait maintenant d'une voix enthousiaste.

Aïdan referma derrière lui la porte du commerce et avança à l'aide du bâton qu'il utilisait souvent pour se diriger à l'extérieur. C'était davantage une mesure de précaution qu'une réelle nécessité lorsqu'il se rendait à des endroits connus, car il prenait toujours soin de mémoriser ces derniers parfaitement. Il avait toutefois conscience que le monde était un endroit changeant, que les choses ne pouvaient rester indéfiniment immobiles pour son bon plaisir – le bâton était alors utile et lui évitait de foncer tête première dans un meuble que l'on avait déplacé ou encore de perdre pied dans une marche d'escalier qui avait cédé.
Quelques pas suffirent à Aïdan pour qu'il retrouve ses repères. Pas de changement chez l'apothicaire. Il appuya le bâton contre une étagère et s'avança vers son confrère.

« Volontiers, répondit-il à Aubrien. Le plaisir est partagé. Je me suis dit que je passerais encore vu votre absence à ma conférence de ce matin et à celles qui ont précédé. Ce n'est pas dans vos habitudes de les rater et de me priver des palpitantes discussions qui les suivent. »

Aïdan sourit, « fixant » son interlocuteur.

« Content de vous savoir de retour, il est rare de vous voir absent aussi longtemps. Si rare que je me suis presque demandé si vous n'aviez pas des ennuis. Vous aviez à faire à l'extérieur de la ville? »

Aux propos de son confrère, des fossettes apparurent sur le visage de l’apothicaire alors qu’un grand sourire ourle ses lèvres. Il est vrai, qu’il ne manque aucune conférence de l’historien et qu’ils débattent passionnément ensuite. Ce qu’il ne put faire dernièrement. Si l’idée d’avoir loupé ces colloques, l’ennui, Ceadan ne regrette pas son séjour à Creux-Lac. Il a pu se faire un ami, en la personne d’Ilclaste. Alors qu’il se dit qu’il passerait voir le bourru chasseur en début Ellune, les pétales de ses lèvres se descellent.

— Il est vrai que j’aurai du vous prévenir de mon absence. Ainsi, l’inquiétude n’aurait pas pu vous atteindre.

Fit-il, d’une voix aux sonorités sincères.

— Pardonnez-moi, ce léger oubli.

Sa paume de main, sans se faire pressante, s’appuie quelques dixièmes de secondes sur l’épaule d’Aïdan.

— Suivez-moi. Nous continuerons de parler quand vous serez mieux installé.  

Et les phalanges se retirent. Le coureur de ses dames, tout en montant les escaliers, vérifie que son plus proche confrère, le suit. Voyant qu’il était derrière lui, Ceadan se dirige vers la pièce centrale : le salon. Tandis que Bellecombe s’installe confortablement sur l’une des chaises, Aubrien met des bûches dans la cheminée.

— Je suis à vous dans un instant.  

Utilisant un vieux briquet, le marlois allume le feu. Bientôt, les flammes dansantes lèchent le bois offert en sacrifice, diffusent une légère chaleur, contrastant avec la fraîcheur vernale de l’extérieur.

— Je m’étais rendu à Creux-Lac, pour rendre une visite de courtoisie à Sydire. Mais ma venue fut plus ou moins, perçue comme indésirable.  

Ses mots ne tremblent pas alors qu’il énonce tout haut, le rejet subit, tout en remplissant une bouilloire d’eau.

— Le hasard voulu que je rencontre un être, blessé. J’ai passé ces derniers jours à prendre soin de lui.

Tout en parlant, l’apothicaire accroche au-dessus du feu, la théière en fonte, puis, il sortit d’un pot en verre, les feuilles de thé.

— Ce fut une rencontre enrichissante et riche en surprises.

« Allons, nul besoin de vous excuser », dit Aïdan en balayant l'air de la main lorsqu'Aubrien s'excusa de ne pas avoir prévenu de son absence.

Aubrien l'invitant à le suivre, Aïdan suivit le bruit de ses pas pour se diriger. Il monta l'escalier avec précaution, mais aisance, et tâta vaguement les alentours pour s'assurer que rien n'avait changé de place depuis la dernière fois où il était venu. Constatant que tout était en ordre, il avança avec assurance vers l'un des fauteuils et s'y installa. Il acquiesça aux paroles de son confrère, écoutant chacun de ses faits et gestes. Les bûches dans la cheminée. Le crépitement des flammes. La bouilloire qui se remplissait. L'eau qui bouillonnait. Rien ne lui échappait.

Aïdan plissa le nez aux dires d'Aubrien. Il trouvait toujours aussi triste que les enfants de son confrère ne souhaitent plus lui parler. Il ne pouvait que s'imaginer la peine d'Aubrien face à l'accueil plutôt froid que semblait lui avoir réservé Sydire. Peut-être les choses finiraient-elles par s'arranger. L'historien l'espérait. Aubrien avait ses défauts, comme tout le monde, mais il s'agissait d'un homme bon. Il méritait d'être heureux, d'être en bons termes avec ses enfants. Un jour, peut-être...

Aubrien raconta avoir fait la rencontre d'un être blessé. La déclaration intrigua Aïdan, qui afficha une expression interrogatrice.

« Ah oui? s'étonna-t-il. Que lui était-il arrivé? Comment êtes-vous tombé sur lui? Ou sur elle. Vous attisez ma curiosité, je l'avoue. »

Un pot en verre s'ouvrant, le bruit des feuilles de thé. Le parfum était difficile à humer depuis l'endroit où il était assis, mais Aïdan croyait percevoir du jasmin. Il espérait avoir raison – il s'agissait de l'un de ses thés préférés.

« C'était une blessure du corps ou de l'âme? ajouta-t-il, réalisant qu'Aubrien pouvait bien être tombé sur une âme en peine et avoir décidé de la consoler. À moins que ça ne soit les deux. »

Avant même que l’eau ne bout, avant même que la bouilloire ne siffle, Ceadan prend un tissu, afin de ne pas se brûler les doigts. Avec une précaution particulière, il attrape l’anse de la théière, puis il la pose sur un dessous de plat, déjà placé sur la table.  

— Je suis tombé sur lui par pure chance. Nâame voulut que mon don s’active et me déplace près de son refuge, perdu dans les bois.

Tout en parlant, Aubrien délaisse la théière de son couvercle pour insérer au cœur de l’onde chaude, une boule à thé, préalablement remplit de feuilles et de fleurs de jasmin. Il retourne le sablier, posé à côté. Alors que les grains de sable s’écoulent dans leur prison de verre, le galant pose ses mires lagunaires sur Aïdan.

— Le chasseur, car tel est son métier, fut blessé par une griffière. La fièvre faillit avoir raison de lui.

A peine vient-il de souffler ses mots, qu’il retire des flots, dorénavant colorés, la boule à thé.

— Nâame l’a aidé à combattre sa température, fatale à sa propre survivance.  

En silence, l’apothicaire remplit la tasse de son confrère avant de se servir. Lorsqu’à nouveau, la bouilloire siège sur le dessous de plat, il s’installe, en face de son invité. Il inspire le doux effluve qui s’échappe du thé.  

— Durant les jours qui suivirent, alors qu’il récupérait dans l’auberge appartenant à ses connaissances,  j’ai pris soin de sa demeure.  

Il souffle sur l’onde avant de boire une gorgée.

— Lorsqu’il revint dans sa maisonnée, nous commençâmes une drôle de colocation. Tout en continuant de m’occuper de ses bêtes, je lui ai enseigné à lire et les plantes les plus utilisées. 

Un sourire, rayonnant, au souvenir des progrès d’Ilclaste, ourle le coin de ses lèvres.

— Il fut un élève très assidu.  

Sans se départir de son sourire, Aubrien poursuit.

— Nous avons tissé des liens. Entre nous, une réelle amitié est née.

Oui, c'était bien du jasmin. Aïdan le sentait parfaitement maintenant que le thé infusait dans la théière déposée sur la table par son confrère. Le mystère résolu, l'historien reporta toute son attention sur l'apothicaire, qui lui racontait avoir fait la rencontre d'un chasseur blessé par une griffière. L'homme avait été pris d'une fièvre qui aurait pu être mortelle si Naâme ne lui était pas venu en aide, puis, une fois remis sur pied, avait vécu dans une étrange collocation avec Aubrien. Tout en se saisissant de sa tasse avec précaution, Aïdan sourit en coin. Il n'était pas étonné de savoir que son collègue avait profité de la situation pour partager quelques connaissances avec son nouvel ami. C'était là un comportement parfaitement typique et digne d'un ancien Enfant du Savoir.

Sans cesser d'écouter son vis-à-vis, Aïdan souffla sur son thé brûlant, dont il sentait l'agréable chaleur lui chatouiller les doigts à travers sa tasse. Il huma les douces effluves qui s'en dégageaient avant de se risquer à goûter le liquide aromatisé. Il retint une petite grimace. Trop chaud encore.

« La vie nous réserve parfois de bien étranges, mais belles surprises, commenta-t-il. J'espère qu'il s'agit pour vous du début d'une amitié qui se perpétuera au fil des ans et que ce nouvel ami viendra vous rendre visite de temps à autre à Albatra. Il a sans doute encore beaucoup à apprendre de vous. Et vice-versa, assurément, à moins que vous m'ayez caché des talents de chasseur. »

Aïdan sourit et trempa de nouveau ses lèvres dans son thé. Le tout étant désormais à une température acceptable, il prit une première gorgée et savoura chaque subtilité du mélange de jasmin servi par son hôte. Un véritable délice.

« Je suis néanmoins navré que votre visite ne se soit pas déroulée comme vous l'auriez voulu, ajouta-t-il, un air désolé sur le visage. Aucun progrès du côté de Sydire? »

Avait-elle accepté de lui parler, au moins, ou l'avait-elle tout simplement rejeté dès son arrivée? Aïdan aurait aimé être de bon conseil pour son confrère, voire pour sa fille. L'historien se dit que s'il arrivait quelque chose à Aubrien, la jeune femme regretterait toute sa vie de ne pas avoir fait la paix avec son père. Mais bon... Ce n'était pas ses affaires et il ne la connaissait pas, il ne pouvait donc malheureusement pas intercéder en la faveur de son collègue dans le conflit qui l'opposait à ses enfants.

La discussion avec Aidän s’avère des plus agréables. Comme toutes celles qu’ils eurent par le passé. L’ancien enfant du savoir reste de bonne compagnie. Une personnalité fraîche, jamais intrusive. Un être qui n’a rien d’un autolâtre, axé uniquement sur sa personne.

— Non, je ne vous ai rien caché.  

Fit l’apothicaire après un rire, doux comme le miel.

— Honnêtement s’il voulait m’apprendre son métier, je ne pourrai accepter. Je n’ai nulle intention ni volonté de verser le sang des bêtes.

Il trempe à nouveau ses lèvres dans l’onde fruitée pour mouiller sa gorge d’une part, de l’autre, lui permettre de rassembler ses pensées. Après une unième gorgée, il hoche négativement de la tête.

— Aucun, hélas. La première fois, Olwyn était présent. Furieux de me voir, il ferma la porte devant mon nez.    

Aubrien déglutit. Conter son histoire le rend sombre et amer. De toute évidence, le rejet de ses enfants ingrats ne le laisse pas de marbre.

— La seconde fois, elle accepta que j’entre qu’uniquement car j’avais besoin de plantes. Si elle avait pu, elle me les aurait, jetées au visage.  

Il met ses mains autour de la tasse, pour sentir la chaleur émanant du thé.

— Comme la volonté de ma progéniture est de me rejeter, j’ai décidé de les renier.  

Une larme prend naissance à la bordure de son œil, pour mourir sur sa joue.

— Passons. Et vous, mon cher ami, des choses agréables vous sont arrivés pendant mon absence ?    

Un sourire sincère ourle les coins de ses lèvres.

Aïdan eut un léger sourire lorsqu'Aubrien lui indiqua qu'il déclinerait toute offre du chasseur d'apprendre son métier. Au fond, maintenant qu'il y pensait, il imaginait plutôt mal son collègue, un intellectuel au caractère plutôt posé, s'adonner de son plein gré à une activité telle que la chasse. Et si l'idée de verser le sang des bêtes répugnait ce dernier, les chances qu'il devienne doué étaient sans doute mince. Il valait parfois mieux s'en tenir à ses talents et à ses champs d'intérêt...

L'historien écouta ensuite son ami lui parler de ses enfants. Son handicap ne l'empêcha pas de percevoir toute la tristesse et l'amertume qui émanaient d'Aubrien tandis qu'il lui racontait la violence avec laquelle il avait été rejeté par ses enfants. Immobile, tourné vers son collègue comme s'il le regardait, Aïdan ne put que soupirer d'un air désolé. Les choses n'étaient visiblement pas près de s'arranger. Il aurait voulu trouver les bons mots pour Aubrien, mais que pouvait-on dire à un homme qui se voyait renié par sa progéniture et qui, à son tour, choisissait à son tour de l'abandonner?

« Je suis désolé, dit-il simplement. Je ne peux que vous souhaiter que les choses changeront, tôt ou tard, et que vous trouvez la force de vous pardonner. »

L'historien en resta là, respectant le désir d'Aubrien de passer à un autre sujet de conversation. Après avoir porté sa tasse à ses lèvres pour boire une gorgée de thé, il acquiesça doucement à la question de son collègue.

« J'ai été très occupé avec divers projets qui me passionnent, mais quelque chose de bien plus agréable m'est arrivé au début du mois. J'ai reçu une lettre de Théa et... elle souhaite venir me voir vers la fin du mois. Ici, à Albatra. »

Si Aïdan et Théa avaient formé un couple de longues années, la jeune femme n'avait jamais accepté de mettre les pieds à Albatra et restait ainsi une inconnue aux yeux de la plupart des personnes que l'historien côtoyait pourtant depuis des années. Qu'elle propose de venir, surtout maintenant qu'ils étaient séparés, relevait du miracle. Aïdan en était d'ailleurs encore troublé.

« Nous ne nous sommes pas vus depuis trois ans, poursuivit-il. J'ai cessé d'espérer sa venue il y a longtemps et voilà qu'elle m'annonce qu'elle sera ici dans une vingtaine de jours... J'admets être troublé. Nerveux, même. »

Aïdan se gratta vaguement le cou. Il était impatient de revoir Théa, car elle lui manquait terriblement. Néanmoins, il se sentait déjà retomber dans le « piège » de son amour pour elle. Il était absolument incapable de se maîtriser lorsqu'elle était près de lui...

« C'est idiot, ne croyez-vous pas? Personne ne me connaît aussi bien qu'elle. Je n'ai sans doute aucune raison d'être nerveux. »

Doux et amer sont ses souvenirs. Acide reste sa décision. Mais, quel autre choix lui reste-t-il à part ça ? Renier ses enfants, malgré tout l’amour qu’il leur portait, demeure hélas, la seule solution pour préserver sa propre intégrité. Au fond de son cœur, écorché, il sait, il sait que jamais la situation n’ira en sa faveur. La chair de son sang trouvera toujours une excuse pour haïr leur dernier parent vivant. Même si sa tristesse est grande, l’apothicaire finit par changer de sujet.

Aïdan, son cher confrère, respecte sa décision de ne pas s’éterniser plus longtemps sur le cas de ses enfants. Compréhensif, il lui conte, après une gorgée de thé, la nouvelle qui le ravie au plus profond de son être. Aubrien, tout ouïe et sourire ourlant les coins de ses lèvres, l’écoute. Lorsque s’achève les mots, Ceadan descelle ses lippes, jusqu’ici closes.  

— Vous avez toute les raisons du monde, d’être nerveux, non ? Cette jeune femme, est une personne importante pour vous. Elle fait partie de ces êtres chers, qu’on refuse de perdre.

Le coureur de ses dames, porte la tasse à sa bouche. Il boit quelques gorgées. L’onde chaude et sa saveur doucereuse l’apaise. Après avoir fini de boire, il poursuit, tout en posant la pièce de vaisselle sur la table.  

— Elle a partagé une partie de votre vie.

Un sourire, vient naître sur son visage, gagné par l’âge.

— Eprouviez-vous encore des sentiments pour elle ? Espériez-vous, qu’au fil de son retour, se renoue votre histoire ?    

Après un cours laps de temps, la voix d’Aubrien perce le voile du silence.

— Peut être ressent-elle encore pour vous une flamme qui refuse de s’éteindre.  Si c’est le cas, mieux faire en sorte de poursuivre votre histoire ?  

Ses deux mains entourent la tasse.

— Nous avons qu’une vie. Si précieuse soit-elle et si courte.  Qu’il est dommage de la gâcher en incertitudes.  

Les paroles d'Aubrien laissèrent Aïdan songeur. Au fond, son collègue avait raison : il avait toutes les raisons du monde d'être nerveux. S'il connaissait Théa mieux que personne et vice-versa, il n'en demeurait pas moins qu'ils ne s'étaient pas vus depuis trois ans et qu'elle n'avait jamais mis les pieds à Albatra auparavant. Elle lui était si précieuse qu'au fond de lui, il craignait déjà qu'elle reparte alors qu'elle n'était même pas arrivée. L'historien était, en fait, habité par mille et une peurs complexes et parfois même contradictoires. Ces peurs étaient sans doute à l'image de sa relation avec Théa : à la fois si simple et si compliquée.

Éprouvait-il encore des sentiments pour Théa? La question tira un vague sourire en coin à l'érudit. Avait-il seulement cessé de l'aimer une seule seconde? Non, les raisons de leur séparation allaient au-delà de l'amour qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre – ou, à tout le moins, de celui qu'il ressentait toujours pour elle. Leur amour était justement ce qui rendait chaque séparation difficile, ce qui les poussait à constamment retomber dans les bras de l'autre. Cette fois-ci serait-elle différente? Après trois ans sans entendre la voix de Théa, sans sentir son parfum, sans toucher sa peau, serait-il capable de résister? C'était sans compter qu'elle serait chez lui, à Albatra... Il sentit son cœur s'emballer juste à y penser. Par Naâme...

« Oui, vous avez raison, répondit finalement Aïdan. Seulement, nous avons une histoire complexe, Théa et moi... Je ne sais trop ce que j'espère de sa venue. Enfin, je sais ce que j'espère, mais j'ignore si je devrais l'espérer. Ce n'est sans doute pas raisonnable vu notre passé mouvementé. »

Aïdan sourit en coin. Espérer reprendre sa relation avec Théa n'avait rien de raisonnable. Il était tombé dans ce piège un nombre incalculable de fois. Et pourtant... peut-être y avait-il une raison derrière tous ces « échecs »? Peut-être était-ce le destin qui les poussait toujours l'un vers l'autre, qui les rendait si faibles? Peut-être la venue de Théa était-elle la volonté de Naâme, un signe envoyé pour lui dire de ne pas abandonner parce qu'ils étaient faits l'un pour l'autre malgré leurs problèmes?

« Je suis impatient de la revoir. Je redoute cependant déjà son départ. »

Et l'état dans lequel elle laissera mon cœur, se retint-il d'ajouter. Il marqua plutôt une pause et sourit à son collègue.  

« Je tâcherai toutefois de ne pas gâcher nos moments ensemble avec toutes ces incertitudes. Je compte profiter de chacun d'eux, même si mon cœur et ma raison se font la guerre depuis quelques jours. »

Aïdan prit une gorgée de son infusion, puis une autre. Après avoir terminé la boisson, il se demanda, un sourire au coin des lèvres :

« Peut-être avez-vous un conseil pour les convaincre de signer un traité de paix? »