[12 Illune 1099]Fête du Lac- Qui veut de mon bon poisson ?

   
 

Citation :

Entre le 12 et le 15 Illune, c’est à Lackness, dans le duché du Creux-Lac, qu’il faut se retrouver pour une célébration toute particulière : La fête du lac prospère. Durant ces trois jours, aux bords du lac, c’est des jeux, bals, fêtes, chants, danses, beuveries, et du poissons à volonté ! Le bleu est particulièrement mit à l’honneur dans les décorations que la ville arbore à cette occasion. Les lacquois/es n’hésitent pas à ouvrir leurs portes et à offrir une chambre (parfois même gratuitement) aux fêtards qui arrivent des quatre coins des les Trois-Lieux pour assister aux festivités. C’est une occasion parfaite pour profiter des spécialités de la région, et pour partager un moment conviviale.

Aymeric était comme un fou. La perspective de la fête du lac le mettait toujours en joie. Dala, pour sa part, ne pouvait pas en dire autant.

La fête et la foule, elle s'y sentait bien moi à l'aise que son ainé... Mais l'impatience de son frère avait quelque chose de contagieux et Dala souriait et riait à le voir aussi excité qu'un gamin. Cela l'aider à aborder cette "épreuve"... Après tout, trois jours, ce n'était pas grand chose. Elle pourrait, après ça, retourner au calme des pièces désertées du château. C'était l'idée à laquelle elle se raccrochait alors que sa servante, Ishane, s'affairait à la maquiller.

-Ma dame, Vous souhaitez que le poisson prenne toute votre joue ? demanda Ishane en trempant son pinceau dans une teinture bleue creux-lac.

-Oui, Ishane. Répondit Dala de sa voix fluette. La naine adorait avoir des maquillages extravagants et voyants. Cela détournait, parfois, l'attention des gens de son minuscule mètre vingt-deux. Pour sa tenue, elle porterait une tunique bleue, décorée de bordure d'or, sur un pantalon bouffant dans les mêmes teintes. Les robes ne convenaient pas à sa petite taille et à sa démarche chaloupée. Elles lui donnaient un air clownesque qui risquait bien trop de la confondre parmi les bouffons qui se produiraient bientôt dans les rues.

L'apparition de la famille ducale à la fête du lac était toujours un grand moment, surtout que Aymeric ne perdait pas une occasion pour se mêler à la foule et danser avec toutes les personnes volontaires - autant vous dire que la liste pouvait être très longue...

Einold Tendrion, le duc, lui était toujours plus réservé dans ses apparitions. Il s'amusait, bien entendu, mais avec plus de retenu que son fils.

Dala... Dala quand à elle, ne dansait pas. Elle préférait regarder les spectacles et les artistes en attendant que cela passe, souvent occupée à se retenir de bailler.

Cette année cependant, elle aurait une compagne dans cette épreuve : Mala, sa jeune veilleuse borgne.
Le duc avait accepté que la bête l’accompagne à la condition que la bête soit muselée et tenue en harnais par l'un des gardes de sa fille. Ce manque de confiance en la bonne tenue de Mala avait fâchée Dala, mais son père avait eu le dernier mot et il avait raison... Avec la foule, qui pouvait prévoir les réactions d'une jeune veilleuse qui venait à peine d'atteindre sa taille adulte depuis peu ?

L'ouverture de cette édition, comme les autres, se fit avec sur un discours d'Einold et très rapidement, Aymeric s’éclipsa pour trouver les rues où on danser le plus. Aux côtés du duc qui était en pleine discussion, Dala, s'ennuyait ferme, bien qu'autour d'elle milles personnes discutaient ou chantaient.

Profitant d'un regard que son père lui adressa, elle lui glissa un :

-Père... Puis-je aller me rendre dans les ruelles du sud ? J'aimerais vois si le dresseur de poneys de l'année dernière y donne toujours son spectacle.
Elle vit son père hésiter, puis il fit signe à plusieurs gardes qu'ils pouvaient escorter sa fille.

C'est ainsi qu’accompagner de trois gardes, dont celui qui tenait Mala en laisse, que Dala s'éloigna de la place centrale de Lackness pour se rendre vers les rues de la ville à la recherche de son dresseur de Poney.


   

Nohan était assis au croisement de deux petites rues, et chantait des comptines pour amuser de petits enfants autour de lui.

C'est au milieu d'une de ses chansons qu'il vit arriver l'étrange procession. Un veilleur, pas quelque chose qu'on voit tous les jours ! Et qu'avait fait celui-là pour être ainsi entouré de gardes ?! Il devait être vraiment dangereux pour qu'on l'escorte ainsi. Ou peut-être l'animal était-il si riche et important qu'il avait ordonné à des gardes de le promener dans la ville. Nohan fit une pause entre deux couplets le temps de pouffer à cette idée. Une enfant richement habillée clôturait cette procession. Elle avait l'air bien en chaire pour son âge, peut-être à cause de ses habits.

Lorsqu'après quelques pas elle arriva au croisement, le ménestrel prit conscience que non, ses habits n'y étaient pour rien. "L'enfant" qui passait devant lui dans cette petite ruelle était la jeune et jolie princesse de Creux-Lac, Dala Tendrion.

De superbes dessins bleutés enjolivaient son visage aux traits chaleureux. Les chansons parlaient beaucoup de sa taille, pourtant sa beauté aussi avait bien matière à ce qu'on lui rende hommage. Il était étonnamment rare de la voir, elle qui d'ordinaire ne semblait pas trop se mêler aux festivités. Son apparition avait quelque chose de si surprenant quelle captiva Nohan. Et comme un enfant attiré innocemment par l'inconnu, ce qu'il voulait à cet instant c'était l'inviter à danser. Ah, mais la situation ne le permettait peut-être pas. Il prit lentement conscience qu'il s'était arrêté en plein milieu de la chanson. Le groupe d'enfants le regardait avec des yeux de poissons, et le plus petit d'entre eux qui était sur ses genoux levait la tête vers lui avec un air interrogateur. Le silence qui s'était subitement installé devait vraiment avoir l'air inattendu puisque même la petite princesse et son cortège s'étaient arrêtés un instant pour voir ce qui se passait. Empêtré dans la tournure de la scène, le ménestrel s'élança sans réfléchir dans une autre chanson.

Les premières phrases sortirent avant qu'il ne se rende compte, plein d'effroi, que la chanson qu'il venait d'entamer parlait justement de Dala! Elle n'était pas très flatteuse à son égard, et il était trop tard pour s'arrêter de la chanter. Pouvait-il espérer qu'elle s'en aille maintenant, très très vite ? Aucune chance.

Il chantait donc. Se rapprochant fatalement du refrain comme s'il était à bord d'une une barque incontrôlable aspirée par les rapides d’une chute vertigineuse. Son esprit ramait de toute ses forces, mais tout ce qu'il pouvait faire à cet instant c'était tenter d'altérer à l'improviste les paroles de la chanson pour ne pas vexer la concernée.

Le moment sensible arrivait .. et de doux mots sortirent comme par magie. On aurait dit des papillons, délicats, colorés ! Leur grâce était telle qu'il en fut lui-même étonné. Ce qui était une comptine bonne à faire rire les enfants se transformait en une véritable ode à la princesse. Quand il eut terminé, c'était de l'émerveillement qui recouvrait son visage. Les enfants l’applaudissaient avec force, mais pas autant qu’il ne s’applaudissait intérieurement !

   
 
La foule était désagréablement dense... Même escortée par ses gardes, Dala se sentait un peu étouffé... Elle tâchait de regarder droit devant elle, essayant au mieux de ne pas croiser le regard des Lacquois quand, déjà, entendre leurs murmures à son passage lui suffisait amplement. Heureusement, en ce jour de fête, les gens avaient mieux à faire que de la regarder, elle, et pour cela, elle pouvait remercier les artistes comme ce ménestrel entouré d'enfants qui semblait chercher les paroles de sa chanson.

Intriguée, elle s'était arrêtée, et ses gardes en avaient fait de même. Le ménestrel, lui, avait repris son répertoire. Dala en avait presque oublié son dresseur de poney, tant la voix de l'homme était mélodieuse. L'ombre d'un sourire caressa son visage, mais il se brisa quand il attaqua une nouvelle chanson qu'elle reconnaissait, avec horreur. Jamais elle ne l'avait entendu chanté, car aucun ménestrel n'aurait eu la folie de la fredonner au château devant l'héritière ou son père, le duc... Mais il existait des ouvrages dans lesquelles certaines chansons étaient gardées en mémoire, et un jour, en parcourant une récente acquisition de son père, elle l'avait vu dans un livre. Elle était sûre que duc, lui, n'avait pas lu l'ouvrage. Mais elle, jamais ne pourrait oublier qu'à la trente-deuxième page de ce recueil de chanson, était couché une comptine qui parlait de sa petite taille, de ses tâches de rousseur et de ses rondeurs.

Blêmissante, elle eut au moins le soulagement de voir que les gens autours d'elles ne reprenaient pas la chanson en coeur. Mais, dangereusement, le refrain approchait, et elle serrait les poings à la fois honteuse et pétrifiée... Un bruit de chaine lui rappela la présence de Mala à ses côtés, un vrai réconfort.  Pourtant, alors qu'elle sentait presque les larmes lui monter aux yeux, quelle ne fut pas sa surprise d'entendre, qu'arrivé à la partie la plus critique de la chanson, le ménestrel avait changé les paroles ! Elle ouvrit rond les yeux avant de se reprendre. On acclamait le chanteur, mais l'héritière, elle, avait gardé les mains serrées devant elle. Ses gardes, à en juger par les regards qu'ils s'échangeaient, avaient remarqué son émoi, mais ils ne connaissaient apparemment pas la chanson d'origine ainsi les détails de la situation leur échappaient.

Inspirant pour calmer ses tremblements, Dala fit un pas en avant, vers l'homme. Elle tâchait de garder l'attitude la plus noble possible et pour cela, elle gardait une distance avec le groupe d'enfant qui entourait l'homme. Beaucoup trop étaient déjà plus grands qu'elle malgré leur jeune age...

-Ménestrel. L'interpella-t-elle sur un ton qu'elle parvenait à garder neutre et ferme. L'apostrophe fit tomber le silence autour d'eux et l'attention du public était tout à l'échange qui se jouait. Y avait-il, dans cette foule des gens qui connaissaient la comptine d’origine et qui avaient applaudit de soulagement à la version que l'homme avait imaginé ?

-Êtes vous l'auteur de cette chanson ? Questionna-t-elle.

-Car, je le sais, la vraie chanson n'a pas les mêmes paroles. En êtes-vous l'auteur d'origine pour vous autoriser une telle modification ? Fit-elle remarquer alors qu'elle parvenait à ne pas trahir, par sa voix, ses véritables sentiments sur la question. Mala, pourtant avait dû sentir la tension dans son attitude, car elle venait de se dresser à côté de Dala, pour planter son oeil unique sur le ménestrel.  
       

   

La jeune princesse avait fait un pas dans sa direction d'un air décidé. Une poignée d'enfants faisaient déjà sa taille, mais aucun n'avait cette aura, cette force étrange indescriptible. Elle semblait agacée, en proie à quelques tensions qui n’étaient pas difficile à discerner. Elle se tenait la tête haute malgré ça, le regard appuyé sur le petit chanteur. Quelque chose n’allait pas. Tiens, elle n'applaudissait pas d'ailleurs. La chanson était superbe pourtant ! Était-ce autre chose qui la contrariait ?

Nohan passa en revue ses vêtements à la recherche de ce qui n'allait pas. Tout était correcte pourtant. Il portait une chemise bleu clair juste un peu plus sombre aux extrémités de ses manches, et une grande cape du bleu épais et chaleureux de Creux-Lac. Tout semblait en ordre ! Il jeta alors un regard interrogateur à l'enfant sur ses genoux, tentant de savoir si c'était à lui que la duchesse pouvait en vouloir. Tout son corps se raidit quand elle l'interpella. Quelle force dans sa voix, alors qu'elle ne criait même pas! Elle était impressionnante pour sûr.

« .. oui ? »

L'auteur de cette chanson ? Bien sûr que non ! Oh mais, c'était pour ça ! Elle pensait que c'était lui qui était à l'origine de la première version !

Un grand sourire refit surface sur ses lèvres. « Non, il ne me viendrait pas idée d'écrire de telles choses. Son sourire s'élargit encore, et dans un élan de fierté non feinte il annonça triomphalement. Mais cette version est de moi. Elle est unique et c'est votre beauté qui me l'a inspiré ! »

Puis elle lui demanda ce qui l'autorisait à la modifier. C'était bizarre comme reproche, qu'est-ce qui lui interdisait plutôt ? N'était-ce pas normal de reprendre les chansons populaires ? En plus vu les changements qu'il y avait apporté, c'était incompréhensible qu'elle s'en plaigne ! Y être autorisé ...

« Pourquoi aurais-je besoin d'une autorisation ? C'est ce que font tous les chanteurs avec toutes les chansons. D'ailleurs j'ignore qui vous a renseigné, mais rien ne dit que la chanson était bien de lui. C'est dur de retrouver les auteurs d'origine, surtout quand ceux-ci ne sont pas déjà connus ! »

Pensait-elle que c'était une forme de vol ? Qu'il était illégitime de chanter une chanson qu’on n’a pas écrite, ou de la modifier ?

« Vous vous dîtes que c'est un peu du vol c'est ça ? Mais ça ne se vole pas la musique ! Enfin, imaginez que vous ayez un poulet, que je vous le vole, et que pourtant vous l'ayez encore … ne puis-je pas disposer du mien comme je l’entends ? » Cette question suscitait vraiment beaucoup d'incompréhension chez le ménestrel. Pourquoi était-ce important pour elle ? En tout cas ce n'est pas ça du tout qui était important pour lui.

« L'avez-vous aimé au moins? » Demanda-t-il d'une voix qui se faisait plus hésitante. Si vraiment il l'avait froissé il pourrait peut-être échapper aux gardes, mais ce veilleur lui donnait la chair de poule avec son regard. On aurait dit qu'il sortait tout droit d'une terrifiante histoire.

Nohan attrapa délicatement le petit sur ses jambes et le déposa à côté de lui. Ça devait être évident qu'il était devenu mal à l'aise.
« .. Sinon puis-je faire quelque chose pour vous? Est-ce que vous cherchez quelque chose ? Je connais pas mal ce quartier et je sais un peu ce qui s'y fait chaque année, peut-être pourrais-je vous montrer quelques représentations singulières ? »

Le veilleur ne s’était pas rapproché n'est-ce pas ? Pourquoi avait-il l'air encore plus gros maintenant ?!

« .. euh euh ou vous apporter à manger! Je connais aussi des endroits sympas ou- »

Mais quel idiot il faisait ! Est-ce que c'est comme ça qu'on parle à une duchesse ?! Il se leva d'un bond, et exécuta une salutation légèrement moins théâtrale que lorsqu'il était sur scène, mais néanmoins tout aussi respectueuse. La sueur remontait sur sa joue quand sa tête était au plus bas, mais il n'osait pas se relever trop vite. Après quelques secondes il se redressa, et termina tout aussi hasardeusement qu'il avait commencé.

« Enfin voilà, je .. je suis à votre service! »

Par Naäme, faites qu'elle ne lui en veuille pas trop ...

 
 
Les épaules de Dala ne s'étaient toujours pas dénouées alors que le ménestrel lui répondit. Il n'était pas l'auteur de la chanson d'origine... La réponse causa, dans le creux de l'estomac de l'héritière, une légère contraction : ainsi, l'auteur de la version première restait inconnu.
Elle avait caressé l'espoir de percer ce mystère...

Au lieu de cela, elle venait d'en dénicher un nouveau. Oui, un tout nouveau mystère, qui n'était autre que ce chanteur aux boucles élégantes, ce composeur insolite, qui le temps d'une mélodie, avait fait d'elle, la naine, une source surprenante d'inspiration.

Ne sachant comment réagir à l'honneur, Dala coula un regard vers l'un de ces gardes, espérant que celui-ci lui indique si le ménestrel se riait, ou non, d'elle. Le haussement, d'épaule de l'homme d'arme lui fit comprendre que, si le compositeur, avec ce petit air candide, l'abusait, il abusait autant les autres.

Incertaine et prudente, Dala répondit à sa question d'un neutre :
-Si fait, j’apprécie votre version... D'avantage qui celle que je connaissais déjà.

Qu'elle ponctua d'un sourire crispé, mal à l'aise par les regards que leurs échanges attiraient.
Quand à la question du droit à la modification de la chanson, elle devait s'avouer bien inculte là-dessus... Elle avait simplement espéré que le ménestrel puise la renseigner.

Mala restait tendue, car Dala l'était aussi et anxiété du ménestrel fut tout à fait palpable. Il fallait pourtant saluer le courage -ou le désespoir- avec lequel, il proposa ses services.  

-Hé bien... Hésita-t-elle.

-Je recherchais Maître Virevolte. Le dresseur de chevaux et de poneys... Il se produisait non loin d'ici l'année dernière... Avoua-t-elle, brisant quelque peu son attitude guidée en fouillant les rues de son regard où régnait un espoir presque enfantin. Ce qu'elle ignorait en fait, était que le Maître dresseur était mort en cours d'année dernière...

-Je vous serez reconnaissante si vous pouviez m'indiquer où le trouver.... Ménestrel..? Quel est votre nom déjà ? Je ne pense pas vous avoir entendu vous présenter.  

 

Ouf .. elle l’avait aimé. En même temps, encore heureux. Aussi objectivement qu’il pouvait l’être, Nohan trouvait son adaptation remarquable et il en aurait sûrement plus voulu à la duchesse qu’à lui-même si elle n’avait pas su l’apprécier à sa juste valeur ! Il aurait sans doute même pu espérer plus de joie de sa part, elle qui semblait troublée malgré la somptueuse musique. Si peu d’entrain de sa part contrastait singulièrement avec l’ambiance de la soirée, et avec la place qu’elle y tenait.

Il poussa un doux soupir de soulagement, il avait réussi à échapper -et cette fois sans même avoir à courir- au cachot et aux crocs de la bête. Pour l’instant en tout cas, mais de toute manière maintenant il n’avait plus qu’à la conduire où elle désirait être, et à s’en aller avant de dire quelque chose de travers. Pff, un jeu d’enfant !

« Maître Virevolte, avec plaisir ! Laissez-moi vous y conduire ! »

Il s’inclina vers elle en signe d’acquiescement, puis de manière exagérée vers la troupe d’enfants qui rigolèrent en cœur et l’applaudirent en guise d’au revoir.
« Et je suis Nohan » dit-il en souriant, « Nohan Belluvial »

Sur ces mots il entama sa descente dans les rues de Lackness. En réalité non, il ne savait pas qui était ce maître Virevolte, mais il savait à qui demander. Il gambadait joyeusement dans les rues, vidé de toute la peur qu’il avait il y a encore quelques instants. L’excitation faisait rayonner son sourire. La situation était beaucoup trop réjouissante pour qu’il arrive à planifier ses actions. Il laissait l’euphorie l’entraîner dans le cœur de la ville en fête, et lui-même entraînait la duchesse à travers les rues colorées. Il folâtrait quelques mètres devant elle, s’arrêtant chaque fois qu’il le pouvait, échangeant des salutations et des révérences avec les artistes, les commerçants et les jolies dames qu’il croisait. Une seule chose égratignait son moral, c’était de voir la princesse aussi détachée du reste. Aussi récupérait-il parfois une petite assiette de fruits ou de confiseries qu’il lui apportait tout heureux avant de la partager aux gardes. Enthousiaste comme il l’était, il en oubliait jusqu’à sa peur du veilleur, et finalement s’il avait pu il l’aurait bien nourri lui aussi.

Puis vint un moment où il arriva au lieu qu’on lui avait indiqué. C’était une grande place sur laquelle semblait se dérouler un numéro de cirque. Il n’y avait pas beaucoup d’autres prestations, mais le ménestrel en était sûr, c’était là qu’il trouverait le dresseur de poneys. Avec sa connaissance des rues il n’avait eu besoin que de très peu d’indications pour trouver cet endroit. Il demanda pour s’en assurer à la première personne qu’il croisa, désireux de vite prévenir la princesse qu’ils étaient arrivés.

Puis il demanda à quelqu’un d’autre, dégoûté par la première réponse.

« Mort il y a quelques mois » lui dit-on encore.

Nohan souffla un « Merci … » qui emportait les dernières miettes de son entrain. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, le regard emplit d’hésitation. Elle devait sans doute ignorer cela. Et que faire maintenant… Il était trop tard pour lui dire qu’en réalité il s’était montré un peu plus assuré qu’il ne l’aurait dû. Il était responsable des espoirs qu’avait la duchesse de voir ce numéro, responsable de ses attentes, et prochainement de sa déception.
Il marcha timidement jusqu’à elle, réfléchissant comme il en avait peu l’habitude à la manière dont il allait tourner les choses.

« J-je crois que Maître Virevolte, le dresseur de poney, ne se montrera pas ce soir. »

Sa voix était inhabituellement grave et son timbre restait sobre et solennel, mais son visage affichait une tristesse mêlée de peur. Il se décomposait, cherchant d’autres mots sans parvenir à en saisir un seul. Il se courba après quelques instants devant la haute dame vêtue de bleue. Ses lèvres se pinçaient, et ses mèches bouclées tombaient devant ses yeux. Tant mieux, il n’avait pas envie de savoir quels lourds regards se posaient sur lui.

 
Alors qu'elle suivait Nohan, Dala commençait à comprendre que l'homme n'avait sûrement rien de l'être manipulateur qu'elle avait craint qu'il soit. En effet, sautillant comme une pie, le voilà qui se mettait à saluer la populace.

Il saluait beaucoup de monde : femme ou enfant, artiste ou commerçant, et la jeune naine découvrait qu'ici, à Lackness, Nohan semblait avoir une certaine réputation.

La joie de l'homme répondait à celle des fêtards et Dala observait cela de loin, timidement amusée par la situation. Du moins c'est ce qu'elle aurait voulu, car le ménestrel ne semblait pas le voir sous cet angle... Et alors qu'elle le suivait sans un mot, le voilà qui revient vers elle avec une petite assiette de fruits et confiseries, lui tendant l'offrande, un sourire lumineux sur le visage.

Surprise par cette attention, Dala se sentit rougir, avant de picorer une petite cerise.

L'homme, si il avait vu son malaise, ne le releva pas et s'en allait déjà plus en avant pour ouvrir la voie. L'héritière, glissa un oeil paniqué, vers l'une de ces gardes qui sembla s'amuser pendant une seconde de sa détresse, avant de lui lancer un anodin :

-Que pensez-vous de ce ménestrel ? Il a tout l'air d'un homme charmant...

Regardant ses pieds, en prétextant ne pas devoir trébucher sur un pavé, Dala marmonna un hésitant :

-oh.. Il me semble très bien... Éduqué.

En s'entendant, elle savait qu'elle n'aurait pas dû dire une chose pareille... "Éduqué"... On aurait dit qu'elle parlait d'un chien sachant correctement faire ses besoins ! Personne ne disait ça ! Encore moins une femme qui qualifiait un homme... Heureusement, par Naâme, le ménestrel n'avait rien entendu de ce commentaire boiteux. Qu'aurait-il pensé d'elle sinon ?

Alors qu'elle commençait à se sentir essoufflée par cette traversée et que ses jambes commençaient à la faire souffrir, Dala qui espérait être bientôt arrivée croisa le regard du ménestrel qui revenait vers eux. Elle n'eut pas besoin qu'il ouvre la bouche pour comprendre, car dans les yeux de l'homme, tout éclat joyeux avait disparu. Immédiatement, elle comprit que quelque chose venait de se passer, qu'il était porteur d'une nouvelle grave... Son coeur chuta dans sa poitrine alors que l'homme posait un genou au sol en courbant l'échine pour se soustraire à son regard.

-Maitre Virevole... S'entendit-elle murmurer d'une voix blanche, une main posée sur le coeur, alors qu'elle réalisait le sens des non-dits rapportés.

Des larmes perlèrent aux coins de ses yeux...

-Par Naâme... Il est mort-n'est-ce pas ? Annonça-t-elle, prononçant les morts que le Ménestrel peinait à formuler.

 

Le ménestrel peinait à maintenir sa posture tant ses jambes tremblaient. Elles menaçaient de le lâcher chaque seconde qu'il passait ainsi courbé devant la duchesse du Creux-Lac. Son regard qu'il n'osait affronter devait être aussi dur et froid que l'acier qui parait ses gardes. Pourtant, lorsqu'elle prononça le nom du maître qu'elle était venue voir, une brèche s'ouvrit dans l'image glaciale que Nohan venait de concevoir. À sa voix manquait toute l'agressivité qu'il avait imaginé.

Elle était empreinte d'une grande douceur, et portait avec elle les échos d'une stupeur et d'une tristesse non feinte. Ses mots dénouèrent les chaînes invisibles autour de la gorge du chanteur qui releva lentement la tête. Quand son regard rencontra le visage de la jeune Dala, il fût parcouru d'un soulagement qui lui serra la poitrine. Elle était si attendrissante avec sa main sur le cœur, ses yeux brillants et son air si troublé. Il aurait milles fois fait un pas vers elle ... s'il n'était pas responsable de son état.

Au lieu de cela, ce fût le veilleur qui s'approcha d'elle. Comme il devait sentir le désarroi de sa maîtresse, il commença à grogner en s’appuyant contre sa jambe d’une manière intimidante. Les gardes s'approchèrent afin de savoir ce qu'il se passait. Ou peut-être qu’ils venaient pour saisir le tourmenteur. Leur arrivée terrifia Nohan, mais pire que tout ce fût le regard de la duchesse lorsqu'elle lui demanda de confirmer la mort du maître. Il était chargé d'émotions. L’air était lourd, et la pression entière de cette situation était subitement devenue bien trop intense pour que Nohan puisse le supporter.

Il regarda vaguement ailleurs, mimant de s’intéresser à autre chose, puis sans aucune forme de salutations, il se retourna et s’engouffra dans la foule derrière lui. Il disparu si vite que seul un des gardes eu le temps de réagir. Celui-ci avait tout juste pu attraper l’extrémité du tissu bleuté qui flottait derrière le ménestrel avant son évasion, dont un lambeau restait maintenant dans la main de métal.

Dala attendait une réponse. Une confirmation. Elle en avait... Besoin. Elle devait l'entendre pour que la réalité se dessine dans son esprit. Pour que la nouvelle, aussi terrible soit-elle, devienne palpable... Mais le ménestrel restait sans voix alors même qu'elle suspendait toute son attention à ses lèvres... Elle n'attendait qu'un "oui". Un simple oui. Comme celui que l'on espère quand on demande la main de son aimée... Trois lettres attendues mais un silence qui s'enlise.

-Monsieur Belluvial ? appela-t-elle d'une voix tremblante et émue, espérant le rappeler à elle et à sa question.

Est-ce à ce moment là qu'elle décela, dans le creux de ses yeux noisettes, la lueur dansante de la peur ? Mais de quoi, au juste, avait-il peur ? Ne comprenait-il pas qu'elle avait besoin qu'il le dise ? Pourquoi se taisait-il ? Lui qui avait montré son talent d'orateur, pourquoi ne parlait-il plus ?

S'en était trop. Dala n'y tenait plus. Puisqu'il se taisait, elle allait ordonner. C'était du moins ce qu'elle s’apprêtait à faire quand, brusquement, il tourna les talons et s'en alla en courant.

-Monsieur Belluvial ! Jappa-t-elle, estomaquée par ce culot. Mais qu'importe qu'elle l'appelle, il ne se retourna pas. Pas même quand un garde manquant de l'attraper par la cape... Elle n'en revenait pas ! Il l'avait planté là et voilà qu'elle sentait les larmes lui dégringoler sur les joues d'impuissance et de détresse offrant un spectacle pitoyable au badaud qui avaient observé la scène.


-Je veux rentrer au domaine ! Ordonna-t-elle aux gardes. Raccompagnez-moi immédiatement ! Exigea-t-elle à ses gardes qui ignoraient s'ils devaient poursuivre l'homme où s'occuper d'elle.

Il fallut un moment de flottement, infiniment long au yeux de la naine, avant que ses gardes ne se décident à reformer l'escorte qui la ramènerait chez elle.

Et, pour l'une des rare fois de sa vie, Dala remercia Naâme de lui avoir donné une petite taille... Car, aujourd'hui, elle lui permettait de pleurer en pleine rue tout en restant dissimulée dans les grandeurs de ses protecteurs.