[20 Cellune 1100] La voie de Kamaâl

Après avoir quitté la Demoiselle rousse, je m'étais fait discret, j'avais longé la rivière, le filet comme on l'appele. J'en avais profité pour me ressourcer quelques jours avant de rejoindre le point indiqué sur la carte par Skadi.. Ma vie d'artiste est déjà loin derrière moi, après avoir franchi certaines lignes, je ne pouvais plus faire marche arrière. Faire confiance à une inconnue n'est pas dans mes habitudes, mais malgré cette folie, elle semblait sincère.  

Tant bien que mal, me voilà enfin arrivé au lieu indiqué sur la carte, que j'avais précieusement gardé dans ma sacoche. L'endroit semble si paisible, finalement, mon idée de longer la rivière pour arriver face au moulin n'avait pas été une mauvaise idée.

Que faire maintenant ? Mise à part un lieu, la jeune fille ne m'avait rien dit d'autre.., après tout c'est en partie ma faute, j'aurais du être plus loquace.

Près du moulin, je vis un homme peu fréquentable, si c'est bien à lui que je dois m'adresser, peut-être devrais-je me mettre à son niveau. Pour être propriétaire d'un moulin, il ne faut pas être bien futé.

Bien le bonjour Monsieur, êtes-vous le propriétaire de ces lieux ?

Pour être sûr qu'il comprenne à qui il à faire, je n'hésite pas à froncer légèrement les sourcils et à rendre ma voix un peu plus grave qu'elle ne l'est.

Quand le gars a ouvert la bouche, j'ai cru que j'allais rire, mais j'ai du me contenir pour ne pas le faire. Ippo Venlupin, il porte bien son nom celui-là.

Je crois qu'il va falloir que je lui parle lentement et que je n'emploie pas des mots trop complexes pour qu'il parvienne à me comprendre.

D'après vous, ai-je une tête à vouloir vous acheter du grain ? Une jeune fille rousse que j'ai rencontré m'a dit de me rendre à cet endroit bien précis. Elle m'a remis une carte, je peux vous la montrer si vous voulez..

ça ne peut être qu'ici.. il doit bien savoir où se trouve l'entrée. Le temps presse, je ne peux rester à découvert trop longtemps tout en sachant que je suis possiblement toujours recherché.

Dans l'attente de sa réponse, je deviens de plus en plus nerveux, au point de taper mes pieds sur le sol, qui a eu pour effet de soulever de la poussière.

A mieux y réfléchir, il n'est pas bon de le provoquer, je vais tâcher d'être plus sympathique avec ce Venlupin. Pense-t-il sérieusement me faire peur en haussant le ton de sa voix ? Il a l'air tellement ridicule.

Au vue de sa réponse, il a l'air de connaitre cette jeune-fille, j'ai probablement fait mouche.

-Attend voir ... Marmonne-t-il.

-Dis-moi... Quel est ton dieu ? Demande-t-il dans un souffle, à peine plus fort qu'une brise.

Il y a encore quelques temps j'aurais répondu Naâme, mais il est maintenant trop tard pour faire marche arrière. Je ne veux plus être l'homme que j'étais autrefois.

Kamâal ... lui réponds-je tout le plus naturellement du monde.

Initule de tergiversser, nous avons déjà perdu assez de temps comme ça. Qu'il me laisse entrer, je ne peux rester trop longtemps à découvert.

La brise accompagnant son souffle, je ressentis un léger frissonnement qui me parcourait l'échine, prononcé le nom de mon Dieu me procure un regain d'énergie.

Est-ce que je suis bien au bon endroit ? Avouez, vous êtes un genre de gardien. Vous gardez quelque chose de secret pour les gens comme moi.

Après lui avoir prononcé le mot "magique", j'ai constaté un changement d’attique par rapport à notre première rencontre. Les instructions qu'il m'a donné sont bien précises, je ne dois pas être le premier à venir.. et certainement pas le dernier. Combien sont-ils à s'être rendu dans cette chambre ?

Des armes ? Les seules armes que j'ai ce sont mes poings, mais je suis incapable de m'en servir.. j'espère que ces Masques ne font pas me passer une épreuve de combat.. au quel cas je risque d'échouer.

D'un hochement de tête j'avais acquiescé, et bien mémorisé toutes les étapes, et cela avec une facilité déconcertante. J'ignore comment la suite va se passer, j'espère qu'il ne s'agit pas d'un piège..

Je vous remercie pour vos explications. Pensez-vous que nous allons nous revoir ?

Faisant bouger mes bras le long de mon corps, je me déplaçais lentement vers le lieu indiqué par l'homme. Malgré cette confiance que j'essayais de faire paraître, je n'étais pas à l'aise avec les échelles.. et cela se faisait se ressentir lorsque je posais mon pied sur la première marche, je ne pu m'empêcher de trembler.

Arrivé dans la chambre, je fus surpris par l'ensemble des décorations qui y étaient déposées, tout avait été placé pour sentir le plus confortable possible, face à moi, un canapé et juste à côté un très grand lit. On aurait même pu y installer plus de deux personnes. En attendant qu'on vienne me chercher, je me mis à contempler le sol en me remémorant les raisons qui m'ont poussé à venir ici.. des gens si imbus de leur personne, des riches qui ne partagent pas leur richesse et qui m'ont traqué jusque dans l'auberge. L'homme sur le ring qui est mort devant mes yeux, et dont l'advictame ne s'est pas déclenché. La jeune fille rousse m'a inspiré confiance, elle a réussi à me convaincre de poursuivre mon chemin.

Je continue de rêvasser.. quand soudain j'entends un bruit au loin, il viennent sans doute pour moi..tout en supposant qu'ils sont plusieurs.

Durant ces longues minutes de marches, je repensais à la façon dont ils sont venus me retrouver dans cette chambre : écoutant plus attentivement, j'entendis des pas se rapprocher, des respirations intenses se faisait entendre. Je ne pu m'empêcher de tressaillir à l'idée de penser qu'il s'agissait peut-être de ma dernière heure.

Quand ils m'ont demandé de retirer mes vêtements, j'avais cru à une blague... et puis quand on a des vêtements déchirés, c'est bien plus simple à les ôter. Les indications qu'ils m'avaient données étaient si précises, comme si cela avait été répété à des maintes reprises, mais il ne s'agissait pas là d'un sketch, loin de là.

Soudain, je sentis un vent frais me frapper le visage, et une odeur d'humidité, nous étions probablement en train de nous rendre dans un endroit sous-terre, dans mes souvenirs, il ne semble pas qu'il y a un endroit pareil dans la zone.

L'endroit que je vis était vraiment ce que je m'imaginais, un endroit sombre, peu éclairé. Je n'avais jamais vu un tel accoutrement... Rien que par sa tenue et ses paroles, elle impose le respect. Mon attention se portait sur le masque de la prêtresse, si finement sculpté et orné d'or, j'en étais presque jaloux, le masque je portais auparavant n'avait pas été si soigneusement ouvragé.

Tout en réfléchissant je me gratte le crane.

Ce que je cherche, c'est de pouvoir vous rejoindre, je ne souhaite plus vénérer un Dieu qui n'est pas en mesure de protéger son porteur.. marre de tous les mensonges que l'on m'a raconté.

Je fais une petite pause avant d’enchaîner.

Oui, je sais qui vous êtes, vous êtes les Masques Maâlistes, pensiez-vous que je viens ici sans savoir qui vous êtes ? Je suis peut-être fou, mais pas à ce point-là.
Laissez-moi vous pouvoir que j'ai foi au Dieu Kamâal, je suis prêt à faire ce que vous voulez.


Je fus soudainement pris de frissons à l'idée qu'il s'agit peut-être mes derniers instants si je ne fais pas ce qu'ils me demandant, j'avais bien conscience que je serais peut-être amené à sacrifier des humains pour le Dieu Kamaâl.

De la compassion, j'ignorais que ces gens pouvaient en avoir, avant la rencontre, je les pensais imbus de leur personne et sans coeur, mais il n'en est rien. Ils sont bien plus humains que certaines personnes Naâmistes que j'ai eu l'occasion de rencontrer.

Dans cet endroit, je perdais toute notion du temps, tout est fait pour se sentir en déphasage avec la réalité, c'est la première fois que je me sentais aussi vulnérable, à genoux devant cette femme dont je ne connais pas l'identité.. ses disciples ont l'air de la craindre.

C'est tout ? Il suffit de se confesser pour devenir un masque ? J'avais imaginé autre chose. Par exemple, une cérémonie dans laquelle on sacrifie une pauvre victime innocente.. mais il n'en était rien et puis me confesser à eux ? Je ne les connais pas ! Ils pourraient très bien me dénoncer, il s'agit peut-être même d'une piège de la fille albinos qui sait. C'est pratiquement impossible, elle n'aurait pu monter toute cette mise en scène, elle semble avoir le bras long mais pas à ce point.

Je ne suis pas en mesure de négocier ni de fuir, il va donc falloir que j'obéisse à cette charmante Dame.. sans plus attendre, je pliais un genoux puis l'autre sans détourner mon regard de la prêtresse.


Mhhh, par où commencer ?

Auparavant, je l'aimais ma vie, je voyageais d'un ville à l'autre en faisant mes représentations, en donnant de la joie aux gens, mais je n'étais pas heureux, plus heureux, le peuple me considérait comme un bouffon.. je le voyais au fond de leurs yeux, je n'avais aucune reconnaissance.. lors de mes derniers spectacles je ne recevais plus d'argent de leur part... certains se moquaient de moi, ils me jetaient des tomates, des pierres et parfois même me crachaient dessus. J'ai tellement été humilié, je ne pouvais plus continuer ainsi. J'ai voulu me venger en les volants, en leur reprenant tout ce qu'ils m'ont pris.

j'ai également volé une pierre de vie à un quidam... cela a été une chasse effrénée.. pour me retrouver il a eu recours à une chasseuse de prime, ils ont fini par me retrouver mais la Demoiselle ne pas emmené auprès des lames, elle a eu pité de moi.. mais depuis lors, elle me fait du chantage. Ce vol de pierre était dans l'unique but de la revendre pour gagner un peu d'argent... je ne voulais pas sa mort au début mais à la fin je l'a voulais tant il m'avait manqué de respect.

J'ai également volé un bijoux à des riches... ils m'ont presque retrouvé et on voulu me faire la peau. Heureusement pour moi, j'ai fait la rencontre d'une guerrière et d'un autre type qui était tout aussi doué aux combats que moi.

Je n'hésite pas à voler pour me nourrir, les gens ne me laissent pas le choix.. je ne suis pas plus aussi populaire qu'avant et vous savez bien qu'il faut manger pour vivre.



J'espère que cela sera suffisant pour la convaincre, si je ne parviens pas à y entrer tant pis... mais au moins j'aurais essayé. Après ces belles paroles, je ne pu m'empêcher de verser une larme tellement ma vie est triste.

Le discours de la prêtresse m'avait donné le sourire, lorsqu'elle prononça ces quelques mots, ils vont m'apporter tout ce dont j'ai besoin pour vivre. Après l'avoir terminé, je n'ai pu m'empêcher de baisser les yeux et relever douloureusement un genoux après l'autre.

Enfin, lorsqu'elle me guida dans cet étrange endroit, une sorte de caverne sombre et sinueuse, mes yeux se tournaient machinalement vers ses belles formes..

Arrivé devant la porte, un grincement sonore m'avait fait sortir de mes pensées. Elle lisait la phrase inscrite sur le mur et me demanda si je savais lire.. bien sûr que oui, mais je n'eu pas le temps de répondre qu'elle m'ordonna de lui donner ma pierre de vie et de m'agenouiller. Sans ma pierre de vie, je vais mourrir ! sont-ils vraiment sérieux ? je repensais soudainement à l'homme à qui j'avais volé la pierre... et surtout à l'état dans lequel il m'avait retrouvé.. je ne tenais pas à lui ressembler, certainement pas.

Comme hypnotisé, je lui tendis de ma pierre de vie, prêt à faire tout ce qui est possible pour ne pas les décevoir, à peine enlevée, je ressentais une certaine vulnérabilité et angoisse.


Merci prêtresse, je tâcherai de résister, de prier au nom de Kamaâl.. je sais qu'il me sauvera si je viens à périr, Kamâal est bon, bien meilleur que Naâme.


Tel un esclave, je me rendais à l'intérieur de la cellule en contemplant ce mur qui illuminera mes pensées dans cet endroit si sombre. La puanteur qui se dégageait des cellules me donnait des nausées.. mais cela devait faire partie de cette mise en scène.. je suis fort, je vais survivre et leur montrer que je peux faire partie de leur clan.

Après quelques minutes de silence, je continuais à contempler le mur et à relire la prière à haute voix.. comme elle me l'avait demandé.. mais je fus vite interrompue par la présence de rats et autres rongeurs qui venaient déchirer mes vêtements. Je pouvais entendre les grains du sablier s'écouler. La concentration était de plus en plus difficile au fur et à mesure que les heures défilèrent, le manque de ma pierre de vie se faisait ressentir, mes mains et mes jambes tremblèrent sans que je ne puisse reprendre le contrôle.

De temps en temps des ombres passaient près de la porte, celle-ci s'ouvrit, une silhouette encapuchonnée venait surveiller le sablier pour le retourner dès que les grains avaient fini leur course.. j'ignorais comment ils pouvaient le savoir mais ils arrivaient presque au moment où le sablier devait être retourné.

Je lisais encore et encore la prière jusqu'au point à ne plus entendre que ma voix et rien que ma voix.. les bruits environnants devenaient inaudible. L'humidité rongeait mes os, une douleur insoutenable se faisait ressentir dans mon corps.. pitié Kamaâl, faites que cela s'arrête.. je n'en peux plus, la douleur était tellement forte que je ne pu me contenir et mes yeux se mirent à déverser des larmes.

Deux jours seulement, mais cela semblait être une éternité, je commençais à crier, à frapper ma tête sur la porte tellement cela devenait un supplice... quelques mots à peine audible sortirent de ma bouche, mais je ne pu faire mieux.

Je dois être fort, la fatigue se faisait également ressentir, dormir aurait été libérateur, mais je ne devais pas succomber, il fallait que je leur prouve que je peux faire partie des leurs..

Derrière la porte, je pouvais entendre des chuchotements, ils essaient de me distraire en me parlant, en me disant que j'étais faible et incapable de rejoindre leur rang. Ils m'insultaient : artiste raté, clown, déchet de la société. Ces mots me donnaient envie de les faire taire à coup de poing, mais je devais résister.

De temps en temps, ils venaient m'apporter de la nourriture, étrangement, ils visaient juste en me donnant ce que j'aimais le plus, un plat avec du riz et du poisson.

Mon corps me trahissait, mes sens aussi, ils voulaient que je succombe, mais mon esprit était bien plus fort. Rien n'y personne ne pouvait me faire détourner mon regard de ces prières et de la foi que j'ai pour Kamaâl.

Des lieutons pleuvaient dans ma cellule, ils étaient lancés sur ma tête et retombaient sur mes mains, la tentation était forte, avec tout cet argent, je pourrais mener une meilleure vie, sans devoir voler les autres pour me nourrir.

Je continuais à répéter sans cesse ces paroles : "Kamaâl, Dieu de force et de lumière, donne moi la puissance pour lutter contre ma noirceur, que ta voix céleste me guide. Par mon amour je chasserai les vers qui rongent mon âme. Par ta purge je renaîtrai, meilleur que ce que ma chaire fût"

Pour détourner de ma prière, ils chantaient des berceuses, ils espéraient que je m'endorme, mes yeux se fermaient, mais je me tapotais les joues pour me maintenir éveillé.

Les mots que je voulais leur signifier ne pouvaient s'échapper de mes lèvres, mes pensées parlaient pour moi.

LA FERME !! Inutile de me distraire, vous ne parviendrez pas à me détourner de mes prières et de Kamaâl... par pitié, je fais partie des vôtres, j'ai foi en Kamaâl.. arrêtez ce supplice.