[24 Dollune 1100] Entre ombre et lumière

Ce jour-là, je devais faire une livraison au Creux-Lac. Un client de Darion attendait une somptueuse lame à Lackness. Sa beauté ne valait pas celle d’Auguste, néanmoins, elle était réputée pour sa solidité.

Mon hébergeur aurait préféré y aller de lui-même, seulement, la forge ne pouvait pas tourner toute seule, comme il le disait. Il m’était assez rare d’effectuer une livraison aussi lointaine, mais cette fois-ci je m’étais souvenue qu’au mois de Dollune, Nicolas, un vieil ami, s’y trouvait. C’est pourquoi, j’avais accepté cette offre plutôt que de faire appel à un messager.

En revanche, Darion avait insisté pour me payer un guide. Il souhaitait que le chemin soit sûr pour moi.

Le voyage fut assez calme et plus long que dans mes souvenirs enfouis. Après tout, mon guide nous avait mené à travers les voies les plus communément empruntées. Nous étions toutefois arrivés sans encombres à Lackness au matin du 24 de Dollune. Le guide s’arrêta ensuite à une auberge excentrée de la capitale du Duché pour la nuit. Il paya deux chambres et me laissa quartier libre dans la ville. Il me pria cependant de revenir le lendemain matin dans cette même auberge afin de pouvoir effectuer le chemin du retour.

Cette liberté me permit de livrer le client de Darion comme il se devait.

Je décidai de prendre de mon temps et d’utiliser l’argent fraîchement gagné à Lackness afin d’acheter quelques provisions. Pour moi, mais aussi pour Nicolas, en pensant avoir peut-être une chance de le croiser.

Je me baladais assez mélancoliquement dans la ville. Cela devait faire bien longtemps que je n’y étais plus retournée.. En réalité… C’était bien avant l’évènement. Je me remémorais les Fêtes du Lac des Illune de mon enfance. Je me rappelais comme j’étais heureuse et insouciante. Je revoyais encore le sourire de ma mère… Et les rires de mon beau-père.

Je me rendis machinalement vers la place des mille spectacles. Je me souvins que Nicolas y faisait parfois quelques représentations.

Puis j’attendis, observant silencieusement les artistes qui y étaient présents.

Entre ombre et lumière - 24 Dollune 1100, Le creux-Lac : ville de Lackness

Comme par habitude, je vagabondais d'une ville à l'autre en me faisant le plus discret possible. Mon costume, cela fait bien longtemps que je l'avais rangé dans ma sacoche craignant de plus jamais le ressortir surtout après tout ces événements. Des rumeurs, il y en a eu beaucoup.. je crois être une personne toujours tant recherchée.

Un pas après l'autre, le long du chemin qui mène à la Ville de Lackness, je scrutais chaque personne que je rencontrais pour tenter de vérifier si ils me reconnaissaient... mais discrètement sans éveiller des soupçons.

Au plus j'avançais, et au plus je remarquais qu'il était temps de refaire ma garde-robe et au vue de ma maigreur, il était grand temps de me nourrir.

En arrivant dans la Ville, cela me rappelait tant de souvenirs.. il s'agissant de l'une de mes villes préférées, chose que je n'ai jamais bien compris, sans doute par l'hospitalité des habitants. Cette place, la place des mille spectacles était bien bondée me souvenais-je, mais suite aux événements les gens ont pris peur, je doute encore qu'il se passe quelque chose ici.

Au loin j'aperçu une silhouette qui m'est familière ! Mais oui, c'est bien elle, ma chère Syrielle. Je n'ai jamais eu de fille, mais je la considère en tant que telle.

C'est une belle femme maintenant et qui plus bien formée, elle a vécu des événements tragiques, elle a bien besoin de soutien.. tout comme moi, je n'ai pas eu beaucoup de monde sur qui compter, heureusement qu'elle est là pour me ravitailler sans quoi j'aurais beaucoup de difficultés pour m’approvisionner.

Bonjour ma chère Syrielle, comment vas-tu après tout ce temps ? J'espère que l'on ne te fait pas mener la vie dure en ce moment ?

Je n'avais pas pour habitude d'être si protecteur avec les gens, mais elle est l'exception qui confirme la règle, malgré toute la noirceur de ce monde, elle parvient à le rendre plus lumineux.

Dans l'attente d'une réponse, je me tins prostré face à elle.. la douleur ressentie dans mes jambes me donnaient l'envie d'aller m'asseoir sur le banc me faisant face.

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La place se remplissait bien vite de monde. Telle était la particularité de ce lieu animé et coloré. Les estrades présentes étaient surmontées par des jongleurs aux costumes bariolés. Certains artistes aux pierres bleues se métamorphosaient en animaux ou en créatures extraordinaires afin de mettre en scène leur don de façon originale !

Je revis également un artiste de mon enfance. L’homme aux milles jumeaux, comme on l’appelait. Il faisait toujours le même spectacle mais il n’en restait pas moins impressionnant. Par le pouvoir de sa pierre de vie, il faisait apparaître un jumeau afin de danser avec lui. Ce jumeau faisait apparaître un autre jumeau qui jouait d’un instrument de musique. Au fur et à mesure du morceau joué, des jumeaux apparaissaient et disparaissaient afin de donner l’illusion d’une ritournelle éternelle.

D’autres artistes qui ne m’étaient pas inconnus apparurent dans mon champ de vision. Mon esprit se mit alors à vagabonder parmi mes souvenirs heureux. J’étais après tout revenue dans le pays de mon enfance. Ce pays si joyeux. Je me mis alors à avoir des pensées pour mes anciens amis de mon village natal, lorsque j’entendis une voix familière derrière moi.

C’était bien Nicolas !

Je le reconnus de suite malgré ses cernes sous ses yeux. Depuis toute petite j’étais en effet hypnotisée par ses yeux très clairs. Lorsque mon regard émeraude se posa sur lui, je ne pus m’empêcher de lui adresser un grand sourire. Un sourire sincère, et non un sourire de politesse que j’adressais à mes clients.

« Nicolas ! »

Je m’approchai doucement de lui. Par habitude, je baissai légèrement les yeux avant lui répondre quelque peu hésitante.

« Je.. Je survis… Non non… A part de rares clients peu sympathiques, Darion est très gentil avec moi… Même si je ne l’aide pas beaucoup dans la forge… Enfin… Il sait que… Ce n’est pas facile pour moi… Mais… Disons que… J’ai plus de clients qu’avant et… J’arrive de plus en plus à sortir dehors… Malgré… Le tremblement de terre… »

Je me coupai en repensant aux dégâts qu’avaient causés cette catastrophe. Une punition divine qui m’avait longuement fait réfléchir.

« Par chance, la forge de Darion ne s’est pas écroulée ... »

En relevant les yeux, je vis que mon ami semblait plus fatigué. Je remarquai le banc non loin de nous.

« Et toi? Comment vas-tu ? Tu as fait de beaux et bons voyages ? Tu souhaites peut-être… Que l’on s’assoie? »

Je me rendis compte de sa maigreur, ce qui m’inquiéta.

« Et… Manges-tu à ta faim? »

Son métier d’artiste ne lui permettait pas d’avoir des revenus réguliers, surtout en ces temps peu sûrs. J’espérais alors qu’il avait une situation pas trop instable. En fonction de sa réponse, je songeais à lui donner de mes provisions personnelles en plus de celles que j’avais prévues pour lui. Je n’avais pas envie de perdre cet ami… Il me rappelait vraiment Auguste sur certains points. Et j’avais tant espéré le revoir.

Je pris une grande inspiration. En plus de ces retrouvailles, je me devais de lui avouer mon projet. Peut-être le désapprouverait-il... Seulement, il devait comprendre pourquoi je n’avais pas réussi à faire le deuil de mes parents.

« Nicolas… Il y a quelque chose que j’aimerais te dire… C’est une chose à laquelle je pense depuis quelques années mais… Je ne te l’ai jamais confié... »

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Malgré sa présence, je ne pu m'empêcher d'admirer les artistes tout autour de nous.. cela faisait bien longtemps que je ne m'étais plus produit en spectacle et cela me manquait. Mais la vie que j'ai choisi est tellement différente et n'est plus compatible avec mon ancien métier.

Lorsqu'elle posa ses beaux yeux sur moi, j'avais pris le soin de baisser légèrement les yeux pour éviter de trop croiser son regard. Même si elle avait bien changé, je voulais toujours la voir comme une enfant et non comme une jeune femme.

Elle semblait tellement innocente et toujours aussi gentille. Le monde est devenu trop cruel pour des personnes comme Syrielle. Je dois la protéger, c'est qu'Auguste aurait souhaité j'en suis sûr.

« Par chance, la forge de Darion ne s’est pas écroulée ... »

Je fus rassuré de savoir que la forge avait bien tenue malgré les secousses du tremblement de terre.. mais même si elle avait été détruite, nous n'aurions rien pu faire car il s'agissait de la volonté de Kamâal.

Pour te répondre ma chère Syrielle, je te remercie de t'inquiéter pour moi mais je t'avoue que je ne voyage plus pour le plaisir comme avant, j'ai arrêté ma carrière d'artiste, je sers une cause plus noble désormais. Je suis content de savoir que tu ne sois pas blessé suite au tremblement de terre.

J'hésitais à lui en dire d'avantage, je ne tiens pas à ce qu'elle fuit surtout après tout ce temps sans avoir des ces nouvelles. Lui dire la foi que j'ai pour Kamâal peut faire peur mais il m'a changé, je ne suis plus le même homme.

Qu'as-tu à me dire ? je t'écoute ?

Je crains le pire.. son visage si souriant changea subitement lorsqu'elle prononça ses quelques mots comme si elle allait m'annoncer quelque chose qui allait changer radicalement notre relation.

Moi aussi j'ai des secrets que je dois lui avouer, mais je vais d'abord écouter ce qu'elle à me dire avant d'en dire d'avantage, je ne voudrais pas la faire fuir.

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La musique autour de nous semblait se fondre dans la discussion tant j’étais absorbée par ses paroles et mes pensées.
Nicolas n’avait vraiment pas changé. Il se souciait tellement de moi, surtout depuis qu’il eut appris la mort de mon beau-père. Je le sentis vraiment soulagé de me savoir épargnée du tremblement de terre.

Je lui souris à nouveau doucement.

« C’est normal de m’inquiéter… Tu es comme… Un membre de ma famille pour moi. Alors j’espère tous les jours qu’il ne t’arrive rien. »

Nicolas m’indiqua avoir arrêter son métier d’artiste... Ce qui me fit un pincement au cœur

« Tu as arrêté de jongler? Pourquoi? Tu étais si doué pourtant… »

Mon cœur semblait s’arrêter, comme si j’étais en train de perdre le Nicolas de mon enfance… Néanmoins, je repris mes esprits assez vite avec la surprise d’entendre que son changement de carrière était due à une raison précise.

« Une cause plus Noble..? Que veux-tu dire par là ? Quel genre de métier fais-tu? »

Sa formulation me parut très étrange. Normalement, lorsqu’on change de profession, on indique immédiatement son nouveau métier. Là, il me parlait de servir une cause. J’eus un bref instant, l’impression que l’homme devant moi était un inconnu déguisé en mon ami. Le Nicolas que je connaissais, ne se souciait pas des autres. Alors de quelle cause pouvait-il s’agir si elle n’était pas bienveillante ou humanitaire ?

Lorsqu’il m’indiqua être à mon écoute, je pris une profonde inspiration et m’assis sur le banc.

« Moi aussi j’ai renoncé à mon rêve d’être forgeronne… Ou épéiste… Parce que je veux servir un autre projet… Pas très noble par contre…. »

Je me coupai dans mon élan, prise de légers tremblements, j’avais l’impression de commettre un acte de trahison. Néanmoins je devais le faire. Je me ressaisis, empêchant intérieurement mes peurs profondes de refaire surface. Puis je choisis mes mots distinctement.

« Je sais qui a tué ma mère… Enfin, je ne connais pas son nom… Tout ce que je sais c’est… Qu’il est mon vrai père. Et que c’est un Noble du Gravorn. »

Étrangement, je me sentis plus calme, et mon regard fut plus assassin en imaginant mon géniteur égorgé par mon épée.
Je continuai, mais avec une voix plus douce pour ne pas être entendue.

« Et je veux me venger de ce qu’il a fait. D’avoir détruit ma vie, d’avoir tué ma mère et Auguste. Je veux rester dans le Gravorn jusqu’à ce que je retrouve ce… Fumier ! Pour le tuer de mes propres mains. Qu’importe les conséquences ! »

Je soupirai, libérée enfin du poids de cette confession puis le regardai à nouveau, avec un regard plus doux mais plus craintif. J’eus l’impression d’avoir annoncé quelque chose de grave et d’interdit… Quelque chose qui changerait notre relation à jamais.

« Est-ce que… Je te fais peur en disant ça..? Et.... Veux-tu m’empêcher d’accomplir ce but..? »

Je crispa mes poings sur mon pantalon. Je me retenais de pleurer en attendant sa réponse, car j’avais si peur de perdre mon ami si cher à mon cœur. Je ne voulais pas perdre Nicolas...

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Son sourire m’avait manqué, il s’agissait d’un vrai rayon de soleil depuis tous ces terrifiants événements.

Cette foutue musique me tapait sur le système, mes oreilles bourdonnaient, mais il me fallait me concentrer sur les paroles de Syrielle.

« C’est normal de m’inquiéter… Tu es comme… Un membre de ma famille pour moi. Alors j’espère tous les jours qu’il ne t’arrive rien. »

Entendre ces paroles venant d’elle m’avait fait sourire, enfin quelqu’un qui s’inquiète pour moi. Après tout ce que j’ai vécu, il est plaisant d’avoir un peu d’amour.

Je fuyais son regard et mis du temps avant de lui répondre faisant semblant de réfléchir.

Tu as raison chère Syrielle, il y a encore quelques années j’aimais tant ce métier, mais j’ai été ridiculisé et moqué. Certains me lançaient des tomates à la fin de ma représentation.. a vrai dire je pleurais chaque soir tellement cela me faisait souffrir.

Le temps de reprendre mes esprits et d’essuyer mes yeux humides, je pris une grande inspiration avant de répondre à ses autres questions.

Je… je ne devrais peut-être pas t’en parler mais je sais que je peux te faire confiance. En réalité, je suis devenu un informateur pour une chasseuse de prime, si je lui apporte de l’aide ou si je parviens à la renseigner à propos d’une personne ou l’autre, elle me paiera en conséquence.. et tu sais comme les temps sont durs.

J’hésitai à lui raconter la raison pour laquelle elle m’avait embauché, mais j’avais peur qu’elle ne me reconnaisse plus ou pire, qu’elle ait peur de moi.. non il fallait que je la protège, je lui en parlerai le moment venu.

« Moi aussi j’ai renoncé à mon rêve d’être forgeronne… Ou épéiste… Parce que je veux servir un autre projet… Pas très noble par contre…. »

Comme tout bon ami, je l’accompagna et m’assis à côté d’elle sur le banc pour l’écouter, le ton grave qu’elle employait m’avait fait prendre conscience qu’elle n’était plus une enfant désormais.

A cette annonce, mon coeur se mit à battre la chamade, est-elle en train de me dire qu’elle a pour mission de tuer quelqu’un ? Je n’aurais jamais cru qu’elle emprunterait cette voie. De tout façon, qui suis-je pour juger ? J’ai fait des choses abominables, mais je suis maintenant pardonné par Kamaâl.

La vengeance… c’est donc cela ses motivations, mais je comprends son besoin de se venger, encore un Noble ! Je les déteste tellement, ils ont tant de richesses et de pouvoir, pourquoi ont-ils fait ça à Syrielle ?

Je lui pris la main, et la caressa légèrement pour lui faire comprendre que je compatissais à sa douleur… cette douleur, je voulais la partager avec elle.

Ta réaction est normale ma chère Syrielle. Non tu ne me fais pas peur, mais tu ne dois pas te précipiter si rapidement pour assouvir ta vengeance... il te faut d’abord y réfléchir. Comme je le disais plus haut, je suis sous les ordres d’une chasseuse de prime, elle se prénomme le Limier Blanc, elle pourra certainement t’être utile car elle connait du monde et à un grand réseau. Si elle a entendu quelqu'un chose, elle pourra certainement te renseigner. Mais j’espère que tu as de l’argent, car ses services ne sont pas gratuit.

Je voulais tellement lui dire que je fais partie des masques Maâlistes, mais lui livrer cette information pourrait la mettre en danger. La seule aide que je peux lui apporter pour l'instant, c’est la conduire auprès de la chasseuse.

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