[12 Ellune 1100] Gloire à Naâme

Une fête en l’honneur de Naâme… Si Rose n’avait pas été nommée responsable d’une escouade de sécurité du festival, elle n’y aurait même pas mis un orteil… Mais voilà, le chef de la caserne de Borderoc lui avait demandé d’envoyer un de ses gars et leur morgg par brigade et elle-même avait du se résoudre à prendre le commandement de quatre cadets et d’un patrouilleur.

Leur mission restait simple : se balader en uniforme et en rang serré dans la foule, épée au fourreau, et surveiller que tout se déroule dans le calme. « La dame du Gavorn ne tolèrera aucune incartade en ce jour de gloire ! » avait sermonné son chef…

La jeune femme avait tempêté et bougonné tant et plus, tentant de négocier en proposant d’aller rendre service aux brigades toujours sur les lieux du tremblement de terre, prétextant que son morgg ferait aussi bien le job qu’un chien flaireur… Mais son supérieur n’avait pas été dupe et avait presque du la menacer si elle n’obtempérait pas. C’est donc en trainant des pieds qu’elle avait embarqué ses gars et son morgg sur les lieux des festivités.

Les lieux… LE lieu devrait-on dire. Celui où l’absurde massacre c’était déroulé. Rose était une maâliste convaincu – et personne ne pourrait la faire changer d’avis – mais elle n’en trouvait pas moins les masques maâlistes extrémistes. Certes, Naâme avait contrecarré les plans de son frère en offrant la pierre de vie aux humains mais Kamaâl n’en était pas sans reste… Il y avait encore des gens pour l’adouber en secret et lui offrir leur vie. D’ailleurs lorsque le jour viendra Rose brisera elle aussi sa pierre. Mais massacrer des innocents n’était en rien bénéfique à Kamaâl alors que la plus part de ces personnes étaient mortes en portant leur pierre. C’était Naâme qui avait récupéré leur âme en Terres Célestes, pas son frère…

D’humeur pour ainsi dire massacrante, elle avait beuglé – plus que demandé – un silence absolu à ses troupes qui la suivirent donc en rang d’oignon sans faire un seul pas de côté. Tandis qu’elle faisait sa ronde, un éclat de voix retînt son attention et elle s’y dirigea donc, Corbac en tête qui tirait déjà sur sa chaîne.

- Ne tire pas ! l’avait-elle sommé, tout en lui fouettant rudement l’échine avec la dite chaine

L’animal avait ralenti et toute la troupe était arrivée à l’endroit de l’esclandre.

Devant eux se tenait – fier comme un paon – un homme dont les attributs de bouc firent à peine sourciller la jeune patrouilleuse en chef. Elle n’était pas du genre à s’émouvoir des dons fait par Naâme. Par contre, elle fut un peu plus intéressée par le petit bout de femme au bandeau noir qui semblait tenter un apaisement. A coté se trouvait une mère et son fils, la femme avait un poignard dans la main.

- Ta gueule Corbac ! lâcha-t-elle fortement à son morgg qui s’était mit à grogner farouchement en direction de la femme au couteau Assit ! elle lui fouetta de nouveau l’échine et l’animal plia Peut-on me dire ce qu’il se passe ici bordel ?! lança-t-elle à la cantonade Vous là-bas, revenez par ici ! beugla-t-elle plus fort en direction de la jeune fille et sa clique qui s’éloignaient du groupe Et vous rangez immédiatement cette dague, pauvre folle ! à l’autre femme

Codage par Libella sur Graphiorum

La jeune Saphir porta sa main au pommeau de son épée lorsque le gamin se plaça devant sa mère – un réflexe qui lui avait sauvé la vie quelques fois – mais n’eut pas besoin de la tirer de son fourreau. Par contre elle ne put retenir un rire jaune à l’explication du gamin.

- Tu aurais dû être plus malin et te faufiler en douce si tu ne voulais pas qu’elle fasse d’esclandre ! assena-t-elle sèchement et sans aucune empathie au malheur de cette famille

Elle allait ajouter quelque chose à l’intention de la mère mais une voix qu’elle ne connaissait que trop bien surplomba le brouhaha qui commençait à se répandre. Se redressant alors – droit comme un i et le port haut – elle salua sa duchesse comme on salue une reine – et claqua sa chaine sur le dos de son morgg pour qu’il ploie l’échine lui aussi. Et ses hommes firent de même sans qu’elle n’ait un mot à dire.

Gardant alors le silence – la duchesse faisant autorité suprême – elle ne put cependant pas se contenir lorsque les gardes de la Rochefer vinrent désarmer la femme.

- Je maitrisais parfaitement la situation ! Merci ! leur dit-elle sèchement tout en arrachant le dit-couteau des mains de l’un d’eux

Un simple regard noir et un grognement encouragé de son morgg suffirent à les faire repartir derrière la duchesse. Reposant alors ses yeux sur la peau d’ébène, Rose se rendit alors compte de l’échange verbal qui était en train de se produire entre la duchesse et le sot-à-cornes. Apparemment, ces deux là se connaissaient, c’était assez inopportun et étrange.

Les iris roses allant de l’un à l’autre, la Saphir sentit son sourcil gauche se arquer de plus en plus. Après un sermon, la duchesse semblait se détourner du faune mais le dit-faune lui n’en avait pas terminé. Après avoir plus que léché les bottes de la duchesse – bien qu’une part de son discours semblait réellement authentique – ce dernier se mit à s’en prendre directement au Lames de Saphir. A sa brigade morgienne.  A son morgg. A elle. Le sang qui commençait à lui battre aux tempes ne fit alors qu’un tour.

- M’est avis qu’il est suffisamment bien dressé pour ne t’arracher qu’une seule corne ! répliqua-t-elle, son sang vornois ne pouvant rester coi à ce genre d’insulte Et il te bouffera aussi les couilles si l’envie m’en prend ! Il n’est pas né le masque maâliste qui pourra s’approcher d’un seul de mes gars tant que son morgg est en vie ! Mais vas-y si ça t’amuse, met nous au défi, j’espère que ton don de Naâme permettra la repousse du membre qu’ils te boufferons…

Elle avait gardé un ton calme. Féroce, glacial, mais sans jamais crier. A ses pieds elle avait fait se redresser Corbac qui assit sur son arrière train dardait des crocs acérés – là aussi sous l’ordre chaînal de Rose – vers l’homme à corne. Puis, elle détourna simplement son regard – voulant mettre fin à ce stupide jeu – pour le poser sur sa duchesse.

- Dois-je le bouter hors de l’arène, ma Dame ? demanda-t-elle avec déférence

C’est à ce moment là qu’une voix fluette tinta à ses oreilles, une voix dont les paroles venaient de soulever un point auquel Rose n’avait jamais pensé et qui prenait sens tout à coup. Elle tourna alors vivement la tête vers la jeune aveugle.

- Donne-moi des noms… ! lança-t-elle tout de go tandis qu’elle s’approchait vivement de l’enfant, tirant son morgg à ses pieds

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La jeune femme balbutia en guise de réponse, mais sa frêle voix fut bien vite supplantée par celle de la duchesse qui s’était mise à hurler soudainement. Rose se senti perdue tout à coup. Elle ne comprenait pas ce qu’il se passait, pourquoi ces cris, ces ordres de se taire, et son regard se tourna alors instinctivement vers la dame du Garvorn, espérant y voir plus clair.

La jeune Saphir eut à peine le temps de comprendre en voyant pierre de la duchesse rougeoyer que le sentiment d’incompréhension s’intensifia. Il en était devenu physique, là, dans son ventre, au plus profond de ses entrailles, comme si quelques chose y gigottait, comme si ça voulait sortir… Ca grouillait, restant cantonné dans son estomac et pourtant se diffusant aussi dans le reste de son corps. Une impression d’oppression la submergea soudainement et un grognement rauque et étouffé s’échappa instinctivement de ses lèvres. Résistant à l’envie de ployer les genoux pour tomber à terre – et y retrouver l’équilibre qu’elle était en train de perdre – elle trouva comme solution de tirer ton épée et de la planter dans la terre, se servant du pommeau comme d’une canne. Les paupières soudainement crispées sur ses yeux, elle ne put empêcher la vague intérieure de la submerger.

Jamais auparavant elle n’avait ressenti pareille sensation. Jamais auparavant elle n’avait été emportée par une telle angoisse. Jamais, même dans ses pires cauchemars, même lorsqu’elle courait les forêts à la recherche d’un morggon, n’avait-elle eut aussi peur… Lorsqu’elle repris contenance, elle se redressa aussi vite qu’elle le put. Son cœur tambourinant plus vite qu’un cheval au triple galop, ses instincts de protectrice revinrent dans la seconde et son premier geste fut de calmer Corbac. L’animal s’était mit à glapir comme un renard acculé mais avec ses propres instincts que ceux d’un animal plus féroce d’un ours : il pouvait attaquer n’importe qui à tout moment et donnerait raison au cornu et ça il n’en était absolument hors de question… Fouettant rudement le dos du morgg avec sa chaine, elle bénit Kamaâl à qui elle attribuait l’idée qu’elle avait eut de munir chaque maitre morgg d’un attelage spécifique qui empêchait leur animal de s’éloigner sans ordre directe. C’était une simple ceinture – mais extrêmement solide – où était arrimée – tout aussi solidement – la laisse faite de maillons d’un alliage – là aussi extrêmement résistant – qui retenait l’animal par son collier – ou harnais, au bon vouloir du Saphir à qui il devait obéissance. Corbac reconnaissant l’autorité de Rose se tut rapidement et redevint lui-même à l’instant. La jeune Lame put alors réaliser son deuxième instinct : scruter rapidement la foule autour d’elle. Ses pupilles noires se mirent à refléter le rouge.

Une, puis deux, puis trois, quatre ! Pas loin de huit Advictâme étaient en train de s’activer autour d’elle. Sa main tenant déjà son épée, elle la brandit instinctivement, en garde, prête à parer toutes possibilités advictamiennes… Autour d’elle, c’était la débandade. Un groupe de personnes avaient été projetées avec force à plusieurs mètres de là, une autre était entourée de ce qui semblait être une bulle de protection où elle lévitait à l’intérieur en s’agitant dans tous les sens, et puis elle vit un taureau de vapeur – rougeoyant comme un rubis –  fendre la foule. Le suivant des yeux, ses jambes s’activèrent d’elles même lorsqu’elle vit qu’il fonçait droit vers la duchesse. Mais elle n’eut pas le temps de ne serait-ce que regarder sa dame que le taureau rencontrait un obstacle et s’évaporait. Rose se stoppa net – à la limite d’éclater de rire – lorsqu’elle vit que c’était le cornu qui s’était fait encorner – amusante coïncidence. Puis senti son cœur louper un battement lorsqu’elle le vit être soulevé de terre. A peine vit-elle que la jeune femme aveugle était elle aussi dans les airs qu’un cri strident lui fit instinctivement porter ses mains à ses oreilles.

Quelque part sur sa droite, l’Advictâme d’une personne avait activé un don qui semblait être la capacité à produire un son si perçant qu’il en assourdissait toute personne aux alentours. Rose en vit vaciller certains – mains sur les oreilles – d’autre tomber à terre et d’autres même semblaient s’évanouir… Le cœur battant de plus en plus la chamade, une peur – mais moins puissante que celle provoquée par la duchesse – commença à s’emparer de nouveau d’elle. C’est alors qu’elle s’aperçu – en regardant enfin Dame Rochefer – que sa duchesse était en proie à l’Advictame de son propre garde : des lianes puissantes et épaisses fouettaient avec force l’air autour de leur porteur. Elle les entendaient claquer sur les peaux et voyait des lambeaux de tissu et des vêtements déchirés. Son sang ne fit qu’un tour alors qu’elle commençait elle aussi à vaciller sous l’effet du cri.

Une puissance phénoménale s’empara alors d’elle soudainement. Elle n’eut pas besoin de regarder le cristal qui pendait sur sa poitrine pour comprendre qu’il était devenu incandescent, ni de regarder ses jambes et ses bras qui s’étaient entourées d’un halo lumineux. Un seul bond lui suffit pour atterrir à côté de sa duchesse et pour planter sa lame jusqu’à la hampe dans l’épaule du garde – réduisant en miette son articulation – dont l’Advictame s’amusait à fouetter les airs et les gens alentour.

Arrêter plutôt que tuer, telle était la devise des Lame de Saphir… Pourtant en cet instant elle aurait pu planter son épée dans la carotide pulsante alors que Kamaâl – oui, même si c’était Naâme qui avait offert la pierre aux humains, elle attribuait les manifestations de ses dons à celui qu’elle avait choisi pour dieu – lui avait donné la force de briser à tout jamais la carrière de cet homme qui avait fait vœu de protéger Vitala Rochefer.

Mais l’idée qu’elle avait eut n’avait pas été assez réfléchie. Alors qu’elle-même était en proie aux affres du cris strident mais aussi des lianes qui ondulaient avec vigueur contre son visage et les parties de son corps non protégées par son armure, son geste – plutôt que d’arrêter les lianes – n’avaient fait qu’amplifier leur vigueur. Étant de rechef agressé, le garde – à présent au sol, hurlant et se tordant de douleur – qui n’avait aucun contrôle sur ses dons, ne pouvait empêcher son Advictâme de continuer de perpétuer sa fonction originelle : le protéger.

A peine cinq secondes s’étaient écoulées et, les quatre membres de Rose étant toujours lumineux, Rose dont l’esprit allait tout de même très vite, réagit de nouveau. D’un puissant mouvement de bras, elle attrapa le garde par les col – après avoir retiré sa lame de son épaule – et le fit valdinguer le plus loin qu’elle le put sur le côté sans regarder si quelqu’un était sur sa trajectoire. L’urgence était la duchesse, la personne la plus importante à protéger en cet instant… Peu importait que son visage pisse le sang.

Des cicatrices ? Elle en avait déjà, un peu plus ou un peu moins, peu lui importait… La douleur ? Elle avait subit pire…

Les halos de lumière disparurent et Rose se remit en garde, dos à la duchesse. Corbac qui avait été entrainé à sa suite lorsqu’elle avait sauté se remettait du choc qu’il avait subi en retombant lourdement à terre, s’ébrouant et grognant de mécontentement… Mais Rose savait qu’il n’y avait rien à craindre de l’animal, sa propre colère était bien plus redoutable…

Codage par Libella sur Graphiorum