[7 - ??? Ellune 1100] - Sex, drugs and rock'n'roll

 
La souveraine des Trois-Lieux clôtura une lettre assez pimentée, où elle apposa son sceau, avant de la confier à un messager qu'elle savait digne de confiance puisqu'il relayait ses missives depuis plus d'une semaine avec une grande efficacité, jusqu'à Odion et par extension, son fils.

Les choses à Borderoc commençaient à se tasser, avec lenteur. La duchesse vaquait à ses occupations, trop occupée à organiser ses joyeusetés en l'honneur de Naâme. Même concernant l'éboulement, elle n'avait plus eu de nouvelles alarmantes. Plus de nouvelles, bonne nouvelle comme elle se le disait si souvent.
Ce qui l'intriguait bien plus, c'était ce courrier reçu la semaine dernière. Un courrier qui l'avait invitée vivement à rentrer au bercail, au château d'Albatra. Il avait bien semblé que des affaires courantes l'attendaient, concernant diverses choses usuelles, comme la gestion de l'Ordre du Savoir, dont elle était la Grande Doyenne.

Le plus désagréable, en revanche, c'était qu'il lui avait fallu effectuer plusieurs jours de route en calèche, et qu'elle n'avait pas pu compter sur le bras armé d'Odion, maintenant qu'il était à l'extérieur, en mission, à surveiller de près le prince. Depuis bien trop d'années elle s'était reposée sur lui, si bien que maintenant, il lui semblait difficile à remplacer.
Avec toutes les Lames déployées ci et là, et tous les gardes vornois qui allaient être réquisitionnés pour les festivités, il lui avait été impossible d'exiger un haut gradé pour l'escorter jusqu'à son domaine, aussi, elle était rentrée à Albatra seule, non sans une certaine angoisse.

Le soir où elle avait retrouvé son domaine, elle ne trouva pas le sommeil, aussi, une fois de plus, elle décida de quitter son lit en pleine nuit. Elle alluma quelques cierges pour éclairer sa chambre, et s'installa à sa coiffeuse pour mirer son reflet. Avec la faible luminosité, ses cernes et ses rides de l'âge se marquaient bien plus encore. Elle aurait pu se faire peur, si elle s'était croisée seule dans les couloirs.
Elle le savait déjà d'avance, jamais elle ne parviendrait à fermer l’œil, et pourtant, elle avait cruellement besoin de se reposer pour la journée des dernières paperasses qu'il lui restait à clôturer.

Il était inutile de songer à se rendre dans les cuisines pour du lait chaud, elle ne trouverait personne. Aussi, ce fut décidé. Elle enfila une robe sans prendre la peine de la lacer, et s'enveloppa dans son manteau de voyage, celui qu'elle prenait régulièrement lorsqu'elle se devait de se déplacer en toute discrétion.
En lançant quelques regards mauvais aux gardes du domaine royal, elle s'assura de leur silence sur son passage, et en quelques instants, elle respira la fraîcheur nocturne.

Elle connaissait exactement l'endroit où elle pouvait se rendre, c'était son duché après tout. Un physicien du même âge qu'elle, dont elle s'était assuré depuis des années de sa loyauté et de son silence, avait une boutique dans le quartier le plus populaire de la capitale marloise, si l'on pouvait dire. Ariane n'eut aucun scrupule à le réveiller si tardivement, et le vieil homme l'accueillit comme s'il retrouvait une amie de toujours.

La souveraine ne resta guère longtemps dans l'échoppe, juste de quoi lui demander un décontractant qu'elle paya grassement pour la peine et le dérangement, avant de ressortir avec sa précieuse fiole.
Ariane jeta un coup d’œil dans la rue déserte, mais où pourtant s'élevait l'écho d'une agitation enfiévrée. Elle n'en fut pas étonnée, elle savait qu'à quelques enjambées se trouvaient respectivement une petite taverne de mauvaise réputation, et un bordel.
Rabattant son capuchon pour ne pas être reconnue - bien qu'avec cet accoutrement, elle était très certainement méconnaissable -, elle reprit le chemin du domaine telle une ombre se faufilant dans la nuit.

Elle n'eut pas le temps de faire quelques pas qu'elle heurta de plein fouet quelqu'un qui l'agrippa par les épaules, sans doute par politesse, pour l'empêcher de chanceler, c'est du moins ce qu'elle crut. Quand le contact s'éternisa, elle eut pour réflexe pour le moins humain de se dégager, mais c'était impossible. Une main ferme et assurée s'accrocha à sa ceinture, d'où pendouillait sa bourse de lieutons, et dans un nouveau réflexe téméraire, elle s'y accrocha comme à sa vie. Le malotrus chercha aussitôt à s'en emparer.

Ariane se bagarra plusieurs longues minutes avec lui, avant de céder et de voir le voleur s'enfuir avec son butin.
 

 
Même si elle n'était que peu intervenue dans les débats de la veille, Ariane avait tout écouté des suggestions et des vives réactions de ses quelques conseillers. Tous n'étaient pas d'accords, et il ne lui avait pas plus de les interrompre. Après tout, les meilleures idées provenaient des grandes effusions intellectuelles. C'était alors tout naturellement qu'elle avait résumé tout ce qui avait été majoritairement dit à Lucien, et qu'elle lui avait demandé son opinion. Il aurait été bien plus efficace qu'il fusse présent à l'assemblée, mais elle lui avait donné le reste de la journée d'hier pour mettre en ordre ses affaires. Elle avait tenu parole.
Coupant soigneusement et de manière oblique une tige de rose, elle attendit sans regarder la Lame qu'il prenne position.

Dans un premier temps, elle put au moins se réjouir de voir son avis être partagé. Une célébration à la gloire de Naâme n'était pas ce qui était le plus intelligent à faire. Cependant, et elle le savait, en temps aussi troublé, il fallait maintenir le peuple uni face à l'adversité, et Lucien également l'avait compris. Il lui suggéra un autre type de réunion, comme une commémoration pour les sacrifiés. Tant de gens y avait perdu des êtres chers, des amis, de la famille. Qu'ils soient maâlistes ou naâmistes, ils étaient tous concernés.

L'idée d'un autre discours officiel n'était pas rejetée par la Lame, mais à son air et le ton employé, elle pouvait aisément comprendre entre les lignes qu'il n'en était pas beaucoup plus convaincu qu'elle. Et se mêler à la population, point de vue sécurité, semblait être d'une difficulté qu'elle était la seule à ignorer. Elle ne comprenait pas pourquoi autant ses conseillers que Lucien étaient si frileux. Après tout, si le peuple la prenait pour une couarde qui se désintéressait d'eux, planquée derrière ses hauts murs d'argent, quel meilleur exemple du contraire que de sortir en plein jour, à visage découvert et aller à la rencontre et à la conversation avec les nantis ? Pour ce qui était de la sécurité, n'était-ce pas pour cela que les gardes du palais, et même les Lames de Saphir étaient payés ?
Craignant une fois de plus pour sa sécurité, Lucien lui rappela que la veille, elle avait parlé de séance de doléance. Il était vrai qu'elle ne l'avait même pas mentionné à ses conseillers : elle ne savait que trop bien à quel point ils n'aimaient guère que le palais soit envahis par la populace.

Enfin, comme il semblait que son silence était la confirmation qu'il pouvait librement parler - ce qui était le cas - Lucien poursuivit sa lancée, et alla même jusqu'à proposer une solution nouvelle qui certes n'allait rien changer dans l'immédiat, mais qui peut-être, pourrait améliorer la vie de tous les jours des Trois-Lieutins. Elle n'avait aucun doute que la population entière n'était pas toute lettrée et cultivée comme pouvaient l'être les marlois en grande majorité. Albatra n'avait très certainement nul besoin de cela, il y avait toujours quelqu'un à l'Académie de disponible pour rédiger à la place de celui qui en fait la demande. Et concernant les autres duchés, elle pouvait possiblement mentionner l'élaboration d'un tel service que ses représentants ducaux relayeraient dans des réunions mensuelles à sa personne, mais c'était là un projet de longue haleine, et il y avait bien plus urgent sur le feu.



Nul mensonge. Nul jeu politique. Nulle entourloupe. Ariane était complètement sincère et s'ouvrait dans la plus grande intimité à Lucien. En ces heures sombres qu'elle croyait pourtant terminées, elle ressentit le besoin urgent de se confier. Et elle en était convaincue, il était toujours plus simple de d'épancher à un inconnu qu'à ses plus proches parents.



A Borderoc, Ariane avait enfilé le masque de la reine et avait géré de concert avec Dame Vitala tous les événements inhérents à cet odieux spectacle qui s'imposait encore de lui-même dans ses songes. Tout s'était très bien enchaîné, elle avait perdu patience, elle avait torturé, elle avait manqué de sommeil, elle avait fait confiance, elle avait probablement trahi, également. Tout cela au nom du peuple. Sans la moindre hésitation. Aujourd'hui, elle prenait le temps de ressentir la blessure causée par les Masques, et était toute aussi peinée et meurtrie que pouvaient l'être les Trois-Lieutins.

 
Si Ariane n'avait pas tenu fermement son sécateur entre les mains, elle aurait pu aisément le laisser tomber au sol, tant elle avait été interdite par l'insistance de la Lame. Ainsi, la situation était à ce point critique ? Au point de ne plus pouvoir sortir du château sans risquer sa sécurité ? Ce qu'il disait avait du sens, et même si elle rechignait à le croire, c'était pourtant la raison pour laquelle elle l'avait engagé temporairement : sa vision du terrain tel qu'il était. Si Lucien lui disait que les tensions en étaient arrivées à ce point, et qu'un attentat serait bien vite arrivé, alors elle ne pouvait que plier à son exigence.

Mais la reine des Trois-Lieux n'était pas au bout de ses surprises. Lucien Lamejuste parlait à présent de recourir aux services ... de bardes ?! Retroussant son nez de désapprobation, une remontée acide lui vint jusqu'à la gorge. Outrepasser les voies officielles au profit de ménestrels ? Allons, qu'il reste sérieux .... Elle écarta aussi rapidement qu'une griffière l'idée et l'écouta lui assurer qu'il était tout à fait envisageable de prévoir ce genre de rassemblement. Non, en effet, cela n'aura pas beaucoup d'effet à plus grande échelle, il avait raison. Mais ce n'était pas son but. Elle voulait, par cet échange, conscientiser ces personnes et faire appel à leur bon sens, à leur sens des responsabilités.



Au vu de son expression faciale immédiate, Ariane comprit qu'elle lui en demandait probablement de trop ... N'était pas Odion qui voulait, après tout.

 
Et leur échange dans la serre s'était arrêté là. Il n'avait besoin de personne, avait-il dit, préférant faire cavalier seul. C'était une méthode que n'approuvait pas Ariane, mais son chef s'était porté garant de lui, c'était qu'il fait montre d'une certaine efficacité dans son travail. Aussi, elle l'avait laissé s'organiser et avait passé le reste de sa journée à des affaires toutes aussi urgentes qui nécessitaient son attention, ainsi qu'à tâcher de ne pas trop s'inquiéter quant à ce chaos qu'avait engendré les derniers événements.

Le soir même, alors qu'elle venait de clôturer la lecture du rapport d'Odion sur la traque de la scélérate, et alors qu'elle se dirigeait vers ses appartements privés pour la nuit, un bruit métallique dans la cour attira son attention, la forçant à bifurquer par un couloir extérieur, surplombant ladite cour intérieure. S'approchant de la rambarde, Ariane leva seulement un œil curieux. Lucien et - elle supposait au vu de son uniforme - son cadet, en pleine séance musclée d'un entraînement à la lame. Cela lui faisait remonter de nombreux souvenirs. Il y avait bien longtemps qu'elle n'avait plus entendu dans sa demeure ces éclats d'acier et ces gémissements dûs à l'effort. La dernière fois, c'était bel et bien lorsque le maître d'arme enseignait à Aragon la maîtrise de l'épée alors qu'il était encore tout jeune. Par la suite, le jeune homme prenait toujours plaisir à s'y rendre, en solitaire, à toute heure du jour ou de la nuit, pour effectuer quelques mouvements appris. Elle supposait que le calme de l'endroit y était propice, et que l'activité en elle-même était libératrice. S'étant toujours refusé à ce que Valérian ne s'y adonne au même endroit et crée de nouveaux souvenirs à ce lieu et place, elle l'avait toujours obligé à suivre ses cours d'escrime dans une salle dédiée. Pourtant, ce soir, elle devait admettre que revoir des jeunes gens motivés par une telle fougue lui mettait du baume au cœur. 

Soudain, le plancher du couloir craqua derrière elle, et Ariane sursauta en voyant sortir de l'ombre la silhouette d'une dame de compagnie.





Elle avança lentement vers la reine pour se mettre à côté d'elle en regardant par la fenêtre, cet homme qui était là en bas, elle avait eu plusieurs fois l'occasion de le voir mais il était bien trop gentil à son goût.



Ariane ne répondit rien à la suggestion de la jeune femme. Elle était bien trop habituée à ses idées saugrenues. Elle haussa une épaule et fit un mouvement du menton, signifiant par là que l'heure n'était pas à ce genre de plaisanterie.
Plus sérieusement, la reine revint à ses côtés et toutes deux, poursuivirent leur observation du combat qui se menait en contre bas.



Très perceptiblement, Mila eu un certain frisson en entendant la reine parler, elle détestait la décevoir de la sorte et baissa légèrement la tête tout en avalant sa salive. Mais elle n’avait pas fait ça pour rien, elle se mit à genoux devant la reine mère en gardant la tête baissée.



Ariane resta silencieuse un moment. Elle n'était pas certaine que la présence de Mila aux jeux des sacrifiés aurait changé quoi que ce soit. Encore que ... Si. Peut-être bien qu'à cette heure, la scélérate serait déjà six pieds sous terre. Hélas, les choses avaient été ainsi. Elle n'avait jamais failli et pouvait lui faire confiance. La reine posa une main affectueuse sur la tête de Mila, tâchant de la rassurer.



Ainsi, Marcus Evergard n'était pas mort, et avait pris une nouvelle identité. Pourtant, ses sources avaient été formelles : le mercenaire était bel et bien enterré dans le cimetière de Borderoc. Si Mila ne connaissait rien des informations divulguées, Ariane, elle, pouvait aisément le deviner. Pour qu'il soit toujours sur pied et sous un autre nom, c'était qu'il était pleinement au courant, maintenant, qu'elle l'avait dans son collimateur. Qu'allait-elle faire à présent ? Elle n'en savait rien. L'heure n'était plus vraiment à la rectification des erreurs commises, il y avait bien plus urgent.



Puis, d'un regard empli de tendresse qu'on ne le lui connaissait pas, Ariane releva Mila.



Mila avait frissonné dans un sourire en sentant la main de la reine contre sa tête et l’avait écouté calmement, frottant légèrement le haut de sa tête contre sa main. Quand elle la fit se relever, Mila se glissa dans les bras de la reine en cachant son visage dans son cou et y murmurer affectueusement.



Si une telle effusion d'amour lui était particulièrement étrangère avec son propre fils, elle était cependant assez habituelle avec Mila qui, de son caractère oscillant entre innocence et folie, n'hésitait jamais à franchir les limites de son espace personnel. Alors qu'elle se love ainsi dans son cou pour exprimer sa peur de l'avoir perdue ne la dérangea pas, bien qu'elle n'y répondit ni en parole, ni en geste. Après quoi, Mila s’écarta puis s’inclina avec respect.



Mila sortit cette fois-ci par la porte, en restant assez calme pour ne réveiller personne. La reine des Trois-Lieux resta encore quelques instants à observer Lucien et son cadet s'entraîner, puis, quand ils eurent terminé, elle s'éclipsa discrètement jusqu'à ses appartements privés.


C'est en sortant de la serre, au lendemain, qu'elle revit Lucien, avec grande surprise. Il avait été si sûr de lui, si confiant qu'elle ne s'attendait pas à le revoir si vite. Elle l'avait vu nerveux, s'incliner et lui annoncer des nouvelles de deux genres. Lucien lui parla alors d'une personne, qu'il connaissait et en qui il faisait totalement confiance. Il réclamait sa présence pour mener à bien sa mission. Toutefois, elle ignorait totalement de quoi il pouvait bien parler ...
Elle l'écouta néanmoins puis, quand il eut fini, d'un signe de la main elle le convia à le suivre jusqu'à son boudoir d'où elle réglait les affaires courantes.
Là, deux hommes l'y attendaient et s'inclinèrent devant elle, tandis qu'elle prenait place à son bureau. Invitant Lucien à prendre place sur l'un des sièges face à la table, elle présenta les hommes comme étant respectivement un seigneur faisant partie de son conseil qui l'aidait pour la paperasse, et le responsable des gardes du palais royal.

Sur son bureau traînait déjà une pile de vélins.



Ariane se doutait bien que la réponse à ses questions se trouvaient dans ces vélins, mais il y en avait tant qu'il n'était pas question qu'elle prenne le temps de les parcourir pour trouver l'information qui lui fallait.



Interdis, les deux hommes se croisèrent du regard, avant de hocher de la tête.



Et le responsable de la garde lui tendit le papier qui énumérait tous les détails dont elle avait besoin. Elle parcourut le document, et lut à haute voix quelques mots clés qui, à eux-seuls, résumaient parfaitement ce qui s'était passé.



Les arguments « perdue » et « en manque d'argent » lui revint alors en mémoire. Pourtant, la situation dans les Trois-Lieux était du pain béni pour une chasseuse de primes du Gravorn. Les demandes devaient affluer, tant au niveau des casernes débordées, qu'auprès des particuliers. Mais si Lucien se portait garant pour elle, sans doute que les faits sur ce rapport étaient exagérés ?



De l'embarras pris d'assaut les corps des deux hommes derrière elle, se demandant l'un et l'autre qui serait assez vaillant pour reprendre les mots exacts de la chasseuse de prime à la reine. Mû d'un courage sans failles, c'est le responsable des gardes qui se porta volontaire.





Fixant intensément la Lame de Saphir de ses yeux d'un bleu de glace, elle tentait de capter la moindre information supplémentaire qui pourrait l'aider à comprendre pourquoi, par Naâme, il jugeait bon de vouloir se faire épauler par les pires malfrats qui soient ... Mais tout ce qu'elle y retrouva n'était que de la détermination pure.

 
Toutes les informations recueillies sur cette Opaline figuraient sur ce dossier qu'elle avait parcouru de long en large, et comme elle venait de le souligner, il semblait tout à fait approprié que cette personne demeure en prison. Du moins, le temps qu'elle reprenne ses esprits.

Pourtant, elle laissa le soin à Lucien de justifier sa requête, et il lui présenta alors des arguments qu'il estimait justifié de souligner à la souveraine. Quand il eut terminé, Ariane prit le temps de la réflexion, pesant les pour et les contre. Il n'était pas dans son habitude de libérer les prisonniers, et surtout pas aussi rapidement. Il était coutume d'enfermer les ivrognes pour qu'ils cuvent leur vin avant d'être relâchés, mais ils patientaient toujours une demi-douzaine de jours, pour marquer le coup, avant de retrouver la lumière du jour. Mais il valait mieux s'assurer qu'elle n'allait pas au devant d'une très mauvaise décision.



La question était évidemment posée au responsable des gardes du palais et à son conseiller, et les deux hommes se jaugèrent une fois encore pour savoir lequel prendrait la parole. Le plus à même d'y répondre était celui qui avait obtenu toutes les informations utiles quant à l'arrestation d'Opaline.



Bien. C'était déjà ça. Mais ce n'était pas encore suffisant. Il lui fallait éclaircir quelques zones d'ombre.



Si Lucien s'en allait pour répondre lui-même à cette question, Ariane le réduisit au silence forcé en levant froidement une main vers lui, préférant entendre l'information provenir de personnes neutres, et objectives.





Il y avait des années maintenant qu'elle avait eu vent de cette chasseuse de primes, et n'avait pas fait grand cas de ses réussites. Après tout, elle était la première à reconnaître que tout travail était toujours bien fait lorsqu'il y avait un salaire attractif à la clé ... Ce qui hérissait cependant les poils de ses avant-bras, c'était qu'une personne dans son genre puisse obtenir de meilleurs résultats, parfois, que les Lames de Saphir.

Lucien avait donné également comme prétexte qu'il était parfaitement capable de traquer n'importe qui dans Albatra - après tout, c'était son foyer - et qu'il disposait de tout un réseau dont il pouvait tirer parti, elle l'avait attesté elle-même. En revanche, il regrettait son manque d'expertise en dehors des murs de la capitale, d'où la présence souhaitée du Limier Blanc. Toutefois, à son sens, il n'aurait nul besoin de parcourir des milles et des milles, et la possibilité qu'il doive se rendre dans les villages extérieurs à Albatra était infime. Ce prétexte n'avait que peu de poids aux yeux d'Ariane, et elle supputait que c'était là une autre excuse pour garder la jeune femme dans son sillage.
Elle n'était pas contraire, surtout si cela pouvait précipiter le dénouement de la chose, et les faire avancer.

Ariane ancra ses yeux bleus dans ceux de Lucien et rencontra sa détermination. Il avait confiance en ce qu'il prévoyait comme méthode d'action, et même si cela ne lui plaisait guère, elle se rappela une fois encore la raison pour laquelle elle l'avait fait entrer à son service. Elle serait bien hypocrite de lui avoir demandé son aide, pour finalement lui lier les bras dans le dos.

Elle soupira.



Et avant que quiconque ne bouge de sa position, elle se précipita d'ajouter quelques mots.