[10 ellune 1100] C’est dans le besoin que l’on reconnait ses vrais amis.

C’est dans le besoin que l’on reconnait ses vrais amis.

Cela faisait plusieurs semaines déjà que Rehan était en Marvier. Loin de s’y sentir totalement en sécurité – c’était même tout l’inverse – il avait fuit Albatra assez rapidement. Avalon lui avait dit avoir besoin de quelques jours pour réaliser ce qu’il demandait – étant forgeron d’arme il n’avait jamais encore façonné de boite et avait donc besoin de s’exercer avant de lui fournir un produit de qualité – et le jeune cordonnier avait donc préférer s’éloigner le plus possible de la capitale terrifiante… Mais il avait du se résoudre à y retourner, le plus tard possible.

Le forgeron lui avait fourni la boite qui à présent protégeait sa pierre de toute perte – ou de tout vol – tout en la tenant à distance de sa peau. Rehan en avait été grandement soulagé, mais comme ce contact n’était pas la seule chose qui participait à son mal être dans cette ville, il avait du se résoudre à toquer chez la seule personne en qui il avait véritablement confiance à Albatra : Aïdan Bellecombe.

Rehan n’avait plus d’orkann depuis quelques jours et peinait à en trouver. Au Marvier plus qu’ailleurs, la fleur séchée était un trafique rare et extrêmement onéreux. Pour être d’origine marloise, Rehan comprenait que cette drogue était bien plus pointée du doigt que dans les autres duchés : les marlois étaient des êtres intelligents qui prônaient l’instruction et non la décrépitude de l’esprit. Rehan en avait conscience mais ne pouvait pas lutter contre : seule l’orkann pouvait apaiser ses affres intérieurs… C’est pour cela qu’en ce début de soirée du 10 Ellune, le jeune cordonnier – toujours accompagné de son tilikop rose qui ne les faisait pas passer inaperçu – frappait à la porte de la maison où résidait une personne qui avait autrefois été son ami.

Fils d’apothicaire, au-delà de trouver quelqu’un de confiance chez qui passer la nuit – avant de repartir pour le Creux-Lac – Rehan espérait trouver chez Aïdan quelque chose pouvant apaiser l’angoisse qui le submergeait de plus en plus… Il ne savait pas combien de temps encore il allait pouvoir contenir cette anxiété grandissante mais il était sur d’une chose : l’homme à qu’il s'apprêtait à demander de l’aide en savait plus sur lui que n’importe qui d’autres – outre ses trois dernières années – et ne lui avait jamais tenu rigueur de sa malédiction. Enfin, Rehan l’espérait tout du moins…

Il n’attendit que quelque instant – le cœur battant, Rokann serré contre son torse – avant d’entendre la voix de son ami demander qui frappait de l’autre côté de la porte close.

- Aï-Aïdan… ? C-c’est moi… il hésita quelques secondes, l’historien ne connaissant pas sa nouvelle identité mais pouvant reconnaitre sa voix sans qu’il ai à dire son véritable nom, mais le cordonnier savait qu’il fallait qu’il le fasse pour que l’aveugle en soit certain, aussi regarda-t-il d’abord autour de lui avant de répondre R-Rehan Renard… ! dit-il dans un murmure qu’il espérait assez fort pour être entendu d’Aïdan seul

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C’est dans le besoin que l’on reconnait ses vrais amis.

Tremblant, Rehan senti son cœur louper un battement puis ralentir soudainement – de soulagement – lorsque son ami lui répondit. Encore plus lorsqu’il ouvrit la porte.

Il ne le regarda pas tout de suite – enfin, à peine une seconde juste pour être sûr que c’était bien l’historien et non une personne se faisant passer pour lui – oui, Rehan commençait à être de plus en plus paranoïaque – et referma abruptement la porte. Elle ne claqua pas mais Rehan senti le souffle qu’il produisit avant de sursauter à l’aboiement et grincer des dents aux petites griffes qui s’incrustèrent dans son torse.

Rokann hérissa son pelage et se faufila jusqu’au sommet du crâne de son maitre, provoquant une nouvelle grimage du jeune cordonnier.

- Putain Rokann, c’est qu’un chien ! avait-il sifflé entre ses dents avant de saisir l’animal sur sa tête et le poser sur le buffet à sa droite

Théa était donc chez Aïdan… Rehan avait souvent entendue parler d’elle par son ami sans jamais l’avoir rencontrée. Une amie d’enfance, une amante aussi s’il avait bien comprit… Dans tous les cas, il savait que l’historien ne l’avait pas revue depuis presque aussi longtemps que lui-même.

Il tombait très mal et son cœur s’emballa.

Posant son front contre la porte fraiche, il ne regarda pas son ami.

- Pardon, je suis désolé, si j’avais su qu’elle était là je ne serais pas venu jusqu’à toi. lâcha-t-il, essoufflé comme s’il avait couru des heures durant, angoissé comme si le soleil n’allait jamais plus se lever J-je ne veux pas te déranger, juste une nuit, je t’en supplie, je n’ai pas d’autre endroit où aller, je partirais à la première heure, je t’en conjure… !

Affolé, terrifié, tourmenté, Rehan s’était brusquement retourné pour saisir les mains de l’historien. Tremblant de tout son corps, ce dernier ressentait le manque d’orkann et subissait encore et toujours l’insidieuse peur que Rehan éprouvait d’être à Albatra.

Plongeant son regard azurin dans les yeux voilés de l’intellectuel, Rehan espérait arriver à faire passer toutes ses émotions par ses mains – grelottantes – tenant celles de son ami. Il n’avait plus la force de continuer à avancer, il sentait qu’il allait craquer… Il espérait juste que les dieux ne se riraient pas une nouvelle fois de lui et que sa pierre resterait sagement terne dans sa boite…

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La voix olympienne de son ami rasséna Rehan, mais pas assez pour calmer les battements de son cœur angoissé. Mais la promesse d’une nuit en sécurité calma sa ventilation excédée. Fermant les yeux un instant, il se laissa guider par l’aveugle, en total confiance, se concentrant sur sa respiration alors qu’un leitmotiv inconscient tentait de le rassurer intérieurement.

Tout va bien, Aïdan m’héberge cette nuit, je vais me reposer et quitter Albatra demain…

S’asseyant sur la chaise offerte, il posa son front presque brûlant contre le bois frais non sans lâcher un soupire. Sa torpeur était toujours présente et les affres du manque d’orkann pulsaient dans ses chairs mais son angoisse était tout de même moins oppressante, en grande partie grâce au calme rassurant de son ami.

Rehan avait de vifs souvenirs de l’historien. De leur rencontre en particulier, alors qu’il n’était qu’un minot en quête de connaissances, qu’un garçon plus âgé, plus mûr et de surcroît aveugle avait grandement impressionné. Il sourit contre le bois, lâchant un fin soupire presque amusé en repensant à tout ça.


- Une tisane ? demanda-t-il, oblitérant totalement la question de son ami et se redressant d’un coup Quelles herbes mets-tu dedans… ? demanda-t-il d’une voix fébrile en se tournant vers son ami De la camomille ? De la Mélisse, du tilleul ? De… il marqua une pause, déglutissant un peu bruyamment L’orkann… ? conclu-t-il dans un bruit de gorge étranglé, son cœur s’étant remis à battre la chamade rien qu’à l’évocation de cette plante dont il était devenu sensiblement accro

Un bruit d’objet métallique qui tombe au sol le fit sursauter et vivement se retourner vers l’entrée d’où il provenait. Son tillikop était brusquement descendu du buffet et courait vers lui jusqu’à sauter sur ses genoux, poser ses pattes-avant simiesques sur son torse pour le regarder, sa petite truffe rose presque collée à son nez, le reniflant et l’air de lui demander quelque chose. Cela eut au moins l’intérêt de faire sourire le jeune homme qui passa alors sa main dans la fourrure rose.

- Non je ne t’ai pas appelé Rokann… répondit-il à l’animal dont il soupçonnait d’avoir cru entendre son nom

En même temps, le sobriquet que Rehan avait choisi était un savant mélange des mots « rose » - pour la robe de l’animal – de son propre prénom mais aussi d’« orkann »… Bon, c’était un peu venu tout seul, au fil des jours, alors qu’à la base c’était tout simplement « le rose »… Avec le recul il s’était dit que c’était un nom très controversé mais, le mal était fait et l’animal l’avait adopté…

Jamais il n’aurait pensé se lier ainsi à un animal mais c’était un bonheur qu’il ne refusait pas. Il avait trop besoin de compagnie, ses récentes rencontres le lui avaient prouvées. Intelligent mais imprévisible, attentif mais muet, aussi câlin qu’indépendant, il était le compagnon de route parfait… ! Il le faisait rire par ses frasques et dormait toujours contre lui, calmant ses affres.

Il s’était terriblement attaché à cette boule de poils maladroite et la réciprocité était réelle… Rokann s’était lové contre lui comme un matou princier et se mit prestement à faire sa toilette, faisant fit du reste. Rehan reporta alors son attention sur son ami, une main enfouie dans la fourrure rose.

- Désolé, je crois qu’il a fait tomber quelque chose de ton buffet, j’irais le ramasser tout à l’heure…

Au moins, cette intervention animale l’avait un peu détendu…

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C’est dans le besoin que l’on reconnait ses vrais amis.

De la camomille… Rehan en connaissait bien les vertus, c’était le genre de breuvage que lui faisait boire Maître Clair lorsqu’il était à l’Académie. A l’époque ce type de boisson calmait relativement bien ses affres, mais à présent le jeune homme doutait fortement qu’une simple infusion de camomille puisse réellement l’apaiser… Quoique, le père d’Aïdan était un apothicaire réputé, pas comme Augustine Clair qui était une simple biologiste et qui lui préparait elle-même ses décoctions.

- D-d’accord… répondit-il simplement, cachant sa frustration de ne pas trouver d’orkann chez son ami, et fourrant un peu plus ses doigts dans le pelage doux et réconfortant de Rokann toujours sur ses genoux

Regardant l’historien préparer la dite infusion, Rehan resta silencieux. Il était toujours perclus d’angoisse mais se sentait tout de même plutôt rassuré d’être là. Même s’il se sentait pas mal gêné d’avoir tiré son ami du lit, qui plus est alors qu’il n’y été pas seul ce soir… Baissant la tête de honte – bien que ça soit inutile puisque Aïdan était aveugle – il resta sans faire de bruit. Il entendait Aïdan s’afférer sans savoir exactement ce qu’il faisait. Il ne releva la tête que lorsque ce dernier s’assit près de lui.

- R-Rokann… ? dit-il comme pour se redonner contenance Oui, je crois qu’il est tombé amoureux de moi, ou peut-être s’est-il juste attaché car il sait m’être redevable, j’en sais trop rien… Mais il est avec moi depuis presque deux mois maintenant et je dois avouer que sa compagnie m’est très bénéfique… il attrapa la tasse pour la faire glisser vers lui et en humer l’odeur en attendant qu’elle refroidisse un peu Même si dans un sens, c’est à cause de lui que je me retrouve chez toi ce soir… Encore désolé de m’imposer ainsi, sincèrement, si j’avais su que tu n’étais pas seul je n’aurais pas frappé à ta porte… ! une de ses jambes se mit à trépigner sans qu’il ne puisse la maitriser et Rokann, gêné, se redressa d’un coup dans un petit feulement de contrariété avant de sauter d’un mouvement leste sur la table et se diriger vers Aïdan

Se taisant alors – attendant une réaction de son ami – Rehan fixa son tilikop qui se mit à renifler Aïdan, sans pour autant le toucher

- Il est juste devant toi, si tu veux le caresser tu peux, il ne dit jamais non à des gratouilles… dit-il d’une voix basse, emprunte de son émotion toujours présente Il n’a jamais été farouche, je me demande si c’est caractéristique de son espèce ou si c’est sa nature personnelle.

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