[28 Dollune 1100] Le poids de la couronne

Le poids de la couronne.

A peine Valérian avait-il émis l'hypothèse d'un complot des Rochefer que l'assemblée était de nouveau en ébullition.

Estomaqué par ce qu'il venait de provoquer, le jeune prince fit un pas en arrière, perdant d'un coup de sa superbe et de son assurance enfantine. Ses grands yeux contrits passaient d'une personne à l'autre, le cœur battant la chamade, incapable de même tenter de rétablir l'ordre. Lorsque sa mère s'approcha de lui – après avoir elle-même rappelé au calme – Valérian se tendit. Le cœur battant encore plus fort, il déglutit aux paroles de la reine et eut juste assez de souffle pour murmurer une justification.

- J-je n-n'accuse p-personne... bafouilla-t-il, le visage cramoisi J-je, j'ai parlé t-trop v-vite... mais sa mère semblait l'avoir déjà compris

Odion fut envoyé chercher Vitala Rochefer et les conseillers continuaient de leur propres hypothèses. Valérian qui avait été brièvement dans la lumière s'était à présent reculé – rasant presque les murs – retrouvant sa posture habituelle et insignifiante... La gène, la honte et la décrépitude se lisait sur son visage à mesure qu'il réalisait s'être donné en spectacle. C'était une sensation presque pire que celle de se faire rabaisser par sa mère ou d'autres personnes. Parce qu'il l'avait lui-même provoqué.

S'enfonçant dans l'ombre, il n'en bougea plus – à peine répondit-il au signe de tête de Vitala lorsqu'elle entra dans la salle – mais fut bien contraint d'avancer de quelques pas alors que la duchesse le prenait à partie. Mais il ne fut pas le premier à prendre la parole.

Écoutant avec attention, il profita de ce temps pour reprendre contenance. Mais il dut se rendre à l'évidence : il ne pouvait aucunement prouver ce qu'il avançait autrement qu'en brandissant sa pierre de vie bleutée. Il se sentit de nouveau ridicule et inutile. Baissant la tête, il reprit inconsciemment sa posture habituelle alors que tous les regards étaient tournés vers lui, attendant sa réponse.

Et il fallait qu'il réponde... Il ne pouvait décemment pas rester silencieux après avoir déclaré une telle chose. Il fallait qu'il trouve le moyen – non pas de prouver – de faire comprendre au plus grand nombre qu'il avait raison. Que Voliark Zaler était un traître et qu'il fallait lancer l’enquête qui apportera les preuves à ses paroles.

Après un long moment – Valérian avait perdu la notion du temps – il releva enfin la tête, plantant son regard rivière dans les prunelles glaciales et si dures de Zaler. Il ne fallait pas qu'un simple homme puisse avoir autant d'ascendance sur lui. Il était l'héritier du royaume, il ne devait – ne pouvait –  pas se laisser parler ainsi.

- Je n'ai pas rêvé. commença-t-il, d'une voix faible mais il ne bégayait pas Vous avez tous vu ma pierre devenir bleue, Naâme m'en est témoin, il m'a donné le don de lire le passé et le votre est plus sombre que votre étincelante et aveuglante aura ne le prétend. continua-t-il, toujours dans un presque murmure mais sans lâcher Voliark des yeux C'est vous qui avez conspiré avec la jeune femme pour faire entrer les masques dans l'arène. C'est vous qui avez fait en sorte d'être auprès des Rochefer pour avoir un alibi solide, vous seul était en capacité d'organiser un tel attentat. Et vous venez de nous le prouver en nous montrant au combien vous connaissez votre travail, à la seconde près, ainsi que la logistique de l'arène de Borderoc... sa voix s'était faite de plus en plus audible Je ne peux certes pas le prouver tangiblement, mais je peux prouver à tous la véracité de mon don. il se tourna alors vers la duchesse Dame Vitala, si vous le permettez. il lui tendit alors la main

Il avait finalement réussi à parler distinctement – avec certes moins d'assurance mais intelligiblement. Ses prunelles à présent ancrées dans les yeux d'acier de la Dame du Gavorn, il espérait que cette dernière accepte de prendre sa main et que ce qu'il lirait en elle ne serait en rien une trahison.

Non sans un regard que le prince qualifiera d'hautain – mais sachant pertinemment que la duchesse portait ce regard sur n'importe qui, tête couronnée ou non – la main brune vînt se poser sur la diaphane. Le prince ferma alors les yeux et posa son autre main par dessus celle de la dame de Borderoc. Cela fut bien plus cérémonieux que lorsqu'il avait prit le bras de Zaler. Sa pierre inonda sa poitrine de sa nouvelle lueur bleutée et Valérian se mit à sourire.



« Cette petite se croit au théâtre, soupira Vitala à voix basse en se penchant légèrement vers Orlion, sans pourtant quitter des yeux la participante qui se donnait en spectacle dans l’arène. C’est dommage, elle semblait avoir du potentiel avant de tomber dans cette scène ridicule.

- Et cette scène est interminable, répondit Orlion.

- Si seulement c’était du théâtre de qualité. »

Vitala fit un vague signe aux gardes, leur indiquant avec un air agacé d’aller mettre fin à la scène.

« Je ne comprends pas pourquoi la reine prend la peine de lui répondre. Elle n’est pas la première illuminée à fouler cette arène et ce pauvre malheureux ne sera pas le premier à y mourir en raison d’un participant trop zélé.

- J’avoue ne pas comprendre non plus. Elle lui accorde beaucoup plus d’attention qu’elle en mérite.

- Ces Marlois et leur fameuse “sagesse”... »

Vitala roula les yeux et Orlion sourit avec amusement. Les soldats débarquèrent enfin dans l’arène, tirant à la duchesse un vague « ce n’est pas trop tôt » impatient qui se fondit dans la clameur ambiante.


Le prince lâcha la main de Vitala – non sans une légère courbette de remerciement – avant de plonger ses yeux clairs dans les abîmes sombres.

- Vous avez parlé de la jeune femme rousse avec votre époux. commença-t-il Lorsque vous étiez encore dans l'arène, avant que les gardes l'arrêtent, avant que le drame ne se produise. continua-t-il sans lâcher les prunelles noires Vous pensiez qu'elle faisait une scène, que la reine lui accordait trop d'attention, qu'elle n'était qu'une illuminée trop zelée... Vous avez dit « Si seulement c'était du théâtre de qualité »... Que les marlois étaient peut-être parfois imprudents par trop de sagesse...

Sa dernière phrase n'était que pure interprétation. Mais il était persuadé que c'était bel et bien la pensée de la duchesse. Et ça n'en était pas moins vrai... Les marlois étaient parfois trop réfléchis, il en avait lui-même donné la preuve en raisonnant à haute voix ce qui avait conduit à penser que les Rochefer auraient pu être des traîtres.

Mais ça n'était pas du tout l'impression que cette vision avait donné à Valérian.

Le poids de la couronne.

Un fin sourire s'était peint sur les lèvres de Valérian lorsque la duchesse du Gavorn confirma ses dires et ainsi la véracité de son don de transcendance. Dame Rochefer avait en suivant invectivé froidement – fidèle à sa légende – le responsable de l'arène. Valérian s'était alors mis en retrait, spectateur attentif car toujours content de tirer des leçons des agissements des autres. Puis sa mère pris la parole, les portes de la salle furent fermées et les gardes croisèrent leur hallebarde. La salle du conseil vornois était devenue un cloître sans issue.

Restant toujours muet, le jeune prince continuait d'observer sa mère et Zaler. En reine diplomate mais loin d'être dupe, Ariane sommait Zaler de parler. Mais lorsque se fut son tour de répondre, l'homme resta coi. Valérian ne put s'empêcher de fixer le visage balafré qui semblait mortifié. Nul doute que Zaler se sentait piégé. Et quand enfin il prit la parole, ce ne fut que pour tenter de noyer une fois de plus le poisson. Et essayer de s'accorder les faveurs royales en essayant en plus de mener le peuple en bateau.

Se redressant Valérian ne put empêcher un sourire moqueur s'esquisser sur ses lèvres. Cet homme le faisait rire. Il était acculé comme une proie mais il tentait encore de s'échapper, roulant des mécaniques pour s'attirer les faveurs du prédateur. Il avait du culot et ça n'était pas pour déplaire à Valérian... Lui qui manquait éperdument de ce genre de cran.

Il tourna alors son visage vers sa mère – attendant une réponse – mais se fut dame Vitala qui parla la première, tournant en ridicule – mais plutôt justifié – la proposition – culottée – de Zaler. A son tour, elle le somma de répondre, n'hésitant pas à le menacer de l'envoyer à la prison de Vissomort – là aussi assez justifié. Elle appuya aussi sur le fait qu'il n'avait toujours répondu concrètement à aucune question.

Il dut se ravancer vers le cercle lorsqu'elle lui adressa la parole. Elle avait d'abord parlé à sa mère mais Valérian avait tiqué sur une chose qu'il pensait être bon d'éclaircir...

- Oui, j'ai une question... commença-t-il Quel est donc le business dont vous nous parlez... ? N'êtes vous pas le responsable de l'arène de Borderoc, ce qui équivaut à être fonctionnaire du duché... ? Vous parlez de confiance mais comme le souligne dame Vitala vous ne nous avez aucunement donné de raison de le faire... Encore plus si le business dont vous parlez est quelque chose d'illégal... dit-il de sa voix tenue et grave mais assez audible Et pour ce qu'il est de mentir, je pense que Naâme me donnera certaines réponses si nous avons un doute alors mieux vaut que vous nous disiez la vérité... poursuivit-il avant d'ajouter une dernière phrase en regardant la duchesse Je ne pense pas que ce que j'ai vu nous donne plus d'indices. Outre le fait qu'il ait une certaine propension à la mégalomanie et à l'avarice je n'ai pas d'autre information à vous fournir... Mais si besoin est je peux me rendre dans ce bureau. Peut-être qu'en touchant la chaise où était assise la jeune femme je pourrais avoir un peu plus d'éléments, quoique je doute fortement avoir des renseignements concernant le lieu où elle pourrait se cacher... A la rigueur si vous avez des masques pour captifs je pourrais peut-être découvrir s'ils ont des repères autour de Borderoc. Il est fort plausible qu'elle ne soit en effet pas allée bien loin...

Fidèle à lui-même il disait tout haut ses réflexions internes, sans se rendre compte qu'il venait de donner là un moyen d'avancement sans avoir besoin du soit disant réseau de Zaler... Enfin, encore fallait-il qu'il y ait des masques survivants, et Valérian n'était pas sans savoir que ces personnages avaient une forte tendance à la brisure...

- Enfin, ça n'est possible que si l'un de ceux que vous auriez réussi à capturer a été trop lâche et n'a pas brisé sa pierre... ajouta-t-il avec un air de chien penaud

Le poids de la couronne.

Comme il s'en doutait, son intervention fort exhaustive fut balayée d'une revers de main royale. Mais Valérian se félicita tout de même d'avoir osé – réussi... ? - à émettre une idée réaliste bien qu'elle ne fut pas réalisable comme il l'avait craint... Mais son intervention sembla permettre à sa mère de mettre le doigt sur un point essentiel : Voliark Zaler n'était pas lui-même un masque.

Se redressant, tout ouïe, le jeune prince écouta ce qui s'en suivit avec un zèle assuré. Mais non sans surprise de réaliser que la cruauté de sa mère ne lui tait finalement pas entièrement réservée... Il eut un pincement au cœur lorsque cette dernière arracha la pierre de vie du cou de Zaler après l'avoir directement menacé. Si quelqu'un l'avait regardé en cet instant il aurait vu un jeune homme effaré et ô combien compatissant envers un être certes abjecte mais qui ne méritait sans doute pas un tel supplice – du moins, Valérian se plaisait à le penser, lui qui avait tendance à voir le verre à moitié plein malgré les circonstances, outre lorsque ça l'affectait directement.

C'est donc pour le moins interdit qu'il continua de suivre ce qu'il se passait sous ses yeux. Zaler parla – d'un aplomb effroyable alors que son cristal était entre les doigts d'Ariane – et donna un nom ainsi que des précisions – que Valérian trouva bien vagues – sur ses activités. Toute son empathie s'enfuit à cet instant, étrangement mais intrinsèquement persuadé que l'homme leur cachait quelque chose. Sa manière de prêter allégeance était bien trop prompte pour un homme avec un tel égo.

Valérian ne cernait pas forcément bien les personnes, mais Zaler était un sacré personnage et ce qu'il se passait actuellement sous les yeux du prince ne pouvait pas passer inaperçu. Et puis cet homme dégageait quelque chose de bizarre... A certain moment il semblait être absent, ça ne durait qu'une fraction de secondes mais si le prince avait bien une faculté c'était l'observation... Même s'il ne comprenait par forcément ce qu'il voyait.

Restant silencieux, il continuait de regarder les échanges sans dire mot. Il observa avec une attention toute particulière la dame du Gavorn assener le dernier couperet. Il n'avait encore jamais rencontré une personne égalant la prestance de sa mère. Vitala Rochefer avait l’aisance oratoire qui lui manquait et seulement quelques années de plus... Mais là n'était pas l'heure aux réflexions intimes, il devait tenir le cap. Et la réponse de Zaler le fit sourire et décidément être certain que quelque chose clochait chez cet homme.

Comment pouvait-on à la fois avoir l'aplomb d'un taureau qui charge et lécher les bottes de quelqu'un aussi platement que le faisait Zaler... ?

Valérian resta silencieux. Tout autant que sa mère qui avait donné ses ordres. Alors que les gardes s'approchaient de lui pour l'emmener, le prince releva ses yeux vers Ariane.

- Mère, nous pourrions avoir besoin de lui, et même s'il est bien trop orgueilleux pour penser le contraire, c'est le seul point sur lequel nous devrions être d'accord. Tant que vous détenez sa pierre il vous obéira, et comme l'a soulevé Dame Vitala, j'userais du nouveau don de Naâme autant qu'il le faudra pour être certain qu'il n'abuse d'aucune ruse que ce soit... dit-il d'une voix ténue mais malgré tout intelligible au vu du silence froid qui régnait dans la salle

Mais les gardes eux ne l'avaient pas entendus alors qu'il étaient sortis en emmenant Zaler, suivit de quelques conseillers qui pensaient le débat clos – ou qui avaient pris pour eux l'ordre de la reine. Seuls les plus avertis restèrent et ainsi il n'y avait là que le noyau dirigeant central des Trois-Lieux. Manquait à l'appel le duc Tendrion mais il allait falloir se passer des ses lumières cette fois-ci.

Jetant un regard aux portes qui se fermaient, Valérian n'attendit pas – ou n'avait pas entendu – la réponse de sa mère. Une idée venait soudainement d'éclater dans son esprit onirique alors qu'il avait fait mention de son don.

- Je peux la pister mère. lâcha-t-il de but en blanc, fixant toujours les portes closes Cette prétendu Eliana Sarine... Naâme m'a offert ce don pour cette raison, j'en suis sûr. il posa de nouveau ses yeux rivières – où pointait une lueur nouvelle – sur sa mère Si je vais aux arènes et que je touche l'endroit où elle était je pourrais voir où elle a été emmenée par la suite. Je pourrais m'y rendre et toucher encore et encore, jusqu'à trouver l'endroit exacte où elle se trouve actuellement... jamais avant ce jour il n'avait été aussi sûr de lui Je vous en prie mère, laissez moi mener cette traque... ! Naâme lui-même m'a confié cette mission...!

Utiliser ainsi ce dieu de miséricorde était un peu présomptueux de la part du jeune prince mais il n'en avait absolument pas conscience. Pour lui il était sûr et certain que la parole de Naâme était celle-ci. Il ne pouvait en être autrement, quand bien même aucun humain de sa connaissance n'avait jamais eut de réelle conversation avec aucun des frères divins.

Ses yeux verts fixaient avec verve le bleu cristallin de sa génitrice. Outre le fait d'être réellement persuadé de sa nouvelle capacité, il voulait aussi lui prouver – et peut-être aussi à lui-même – qu'il était capable d'un tel exploit. Qu'il n'était pas le bon à rien qu'elle jugeait si promptement...

- Laissez-moi faire ça pour le royaume mère... J'en suis capable... souffla-t-il en dernière supplique