Un coup de tête. Bien sûr, Athina avait prévu de se rendre à Albatra sous peu pour effectuer sa première livraison de cuir à la forge de Sélac, comme il avait été convenu avec son propriétaire. Mais après la visite d'Ilclaste et ces terribles découvertes à son sujet, elle avait pris la décision de précipiter ce voyage. Enfermée, piégée, perdue, il y avait bien longtemps que ce désir profond de fuir n'était pas revenu. A dire vrai, la dernière fois était lorsqu'elle avait quitté Borderoc après l'arrestation de Lothaire. Un frisson la pris. Était-elle vraiment en train de comparer cette enflure à Ilclaste ? Ses idées étaient trop confuses, il lui fallait partir. Tout de suite. Heureusement, comme toujours, sa douce mère accepta immédiatement de garder Echo pour les prochaines semaines, elle était toujours ravie de s'en occuper depuis la mort de son mari. La pauvre s'ennuyait bien fort dans son moulin.
Ainsi, à l'aube, elle avait pris la route du Marvier, duché qu'elle ne connaissait pas encore. Une boule dans le ventre de devoir se frotter à des étrangers, mais pour une fois elle voulait faire abstraction : son instinct l'avait trahi, elle allait donc trahir ses plus vieilles angoisses pour tenter une nouvelle aventure. Cela l'effrayait, bien sûr, mais elle prenait sur elle. Elle avait réussi à s'arranger avec un autre marchand se rendant lui aussi à Albatra en attelage, entreposant sa caisse de cuirs non sans mal à l'arrière, entre les toiles et les linges de son chauffeur. Il s'agissait d'un tisserand qu'elle avait déjà eu l'occasion de croiser sur le marché, un homme d'une bonne cinquantaine d'année que les outrages du temps ne ménageaient pas. Il avait les cheveux gris tirant irrémédiablement sur le blanc à certains endroits, il était voûté et son visage était creusé par la fatigue, mais il avait ce sourire, le sourire constant d'un homme heureux, père de trois enfants et grand père d'un tout jeune petit bébé. Il avait été bien bavard, cet homme, il faut dire que la tanneuse n'était pas du genre à faire la conversation. Alors Hector - c'était son nom - avait meublé. Les cinq jours de trajet avaient été agréable de rires même si le coeur fermé d'Athina ressassait encore malgré elle les terribles mots qu'Ilclaste avait pu prononcer. Elle écoutait Hector d'une demie oreille, trop préoccupée, trop triste, trop déroutée pour se montrer sous son meilleur jour.
Mais le tisserand n'avait pas tiqué, il avait, par le passé, déjà pu constater que la chasseuse était renfermée, il mettait ça sous le compte de la timidité. L'essentiel pour lui étant qu'ils arrivent tous deux en un seul morceau à Albatra.
Et cela fut le cas ! Le soleil était à son plus haut point lorsque la carriole tirée par deux magnifiques chevaux passa les portes de la cité. Et quelle cité ! Athina n'aimait pas la ville, mais elle fut frappée par la beauté de l'architecture de ce lieu. Ils passèrent devant de nombreux commerces à l'allure certes modestes, mais lorsqu'elle laissait aller ses yeux à l'horizon, la richesse de certaines demeures lui sautaient aux yeux. Elle savait que la famille royale résidait dans cette ville, mais elle n'avait jamais douté de l'importance que cela pouvait apporter à la cité en elle même. Lackness semblait bien fade à côté. Hector intima aux chevaux de s'arrêter. Prise dans ses rêveries, Athina n'avait pas remarqué qu'ils étaient arrivé à destination. Ou plutôt, à la destination du tisserand : une petite échoppe à l'allure plutôt rabougri qui surpris Athina. L'homme avait-il dit, durant ce périple, ce qu'il venait faire à Albatra ? Impossible pour la jeune femme de s'en souvenir. Elle descendit de la carriole et paya son transport à Hector.
Fort bien, fort bien, merci. Eh bien, j'crois bien que notre périple s'arrête là. Au plaisir de vous r'croiser sur la place du marché, mad'moiselle Aerys.
Elle gratifia l'homme d'un sourire et lui serra la main avant de descendre sa cargaison de cuir. C'était lourd et encombrant, mais la jeune femme avait l'habitude. L'espace d'un instant, un début de panique monta en elle : elle était seule, dans une ville qu'elle n'avait jamais visité, et elle se trouvait dans la rue au milieu d'inconnus. Personne ne semblait faire attention à elle, pourtant elle ne pouvait s'empêcher de dévisager chaque passant. Elle prit un instant, ferma les yeux et inspira profondément. Tout allait bien se passer. Ilclaste était au Creux-Lac, Lothaire en prison au Gravorn. Il n'y avait aucun danger imminent. Elle secoua la tête et se ressaisit avant de prendre une direction au hasard dans la ruelle : le plus important était le premier pas.
Elle marcha quelques minutes avant de demander son chemin à une passante. Heureusement pour elle, la forge de Sélac semblait suffisamment réputée pour que l'on puisse lui indiquer sans mal la direction. Bonne nouvelle, c'était à quelques centaines de mètre seulement. Mauvaise nouvelle, elle marchait dans la mauvaise direction. Le soleil tapant, sa charge semblait plus lourde à chacun de se pas, et Athina ne fut pas fâchée d'arriver à bon port plusieurs minutes plus tard. Elle était transpirante et ne manqua pas d'ôter son vêtement de cuir - qu'elle portait sur un tissus de forme approximative sans manche et plutôt près du corps, l'une de ses premières créations... C'était informe mais elle le trouvait confortable. Débarrassée de tout ce surplus de vêtement, elle frappe enfin à la porte de la forge.