[16 Cellune 1100] De larme, de cuir et de pierre

16 Cellune 1100
avec Avalon Sélac

Un coup de tête. Bien sûr, Athina avait prévu de se rendre à Albatra sous peu pour effectuer sa première livraison de cuir à la forge de Sélac, comme il avait été convenu avec son propriétaire. Mais après la visite d'Ilclaste et ces terribles découvertes à son sujet, elle avait pris la décision de précipiter ce voyage. Enfermée, piégée, perdue, il y avait bien longtemps que ce désir profond de fuir n'était pas revenu. A dire vrai, la dernière fois était lorsqu'elle avait quitté Borderoc après l'arrestation de Lothaire. Un frisson la pris. Était-elle vraiment en train de comparer cette enflure à Ilclaste ? Ses idées étaient trop confuses, il lui fallait partir. Tout de suite. Heureusement, comme toujours, sa douce mère accepta immédiatement de garder Echo pour les prochaines semaines, elle était toujours ravie de s'en occuper depuis la mort de son mari. La pauvre s'ennuyait bien fort dans son moulin.

Ainsi, à l'aube, elle avait pris la route du Marvier, duché qu'elle ne connaissait pas encore. Une boule dans le ventre de devoir se frotter à des étrangers, mais pour une fois elle voulait faire abstraction : son instinct l'avait trahi, elle allait donc trahir ses plus vieilles angoisses pour tenter une nouvelle aventure. Cela l'effrayait, bien sûr, mais elle prenait sur elle. Elle avait réussi à s'arranger avec un autre marchand se rendant lui aussi à Albatra en attelage, entreposant sa caisse de cuirs non sans mal à l'arrière, entre les toiles et les linges de son chauffeur. Il s'agissait d'un tisserand qu'elle avait déjà eu l'occasion de croiser sur le marché, un homme d'une bonne cinquantaine d'année que les outrages du temps ne ménageaient pas. Il avait les cheveux gris tirant irrémédiablement sur le blanc à certains endroits, il était voûté et son visage était creusé par la fatigue, mais il avait ce sourire, le sourire constant d'un homme heureux, père de trois enfants et grand père d'un tout jeune petit bébé. Il avait été bien bavard, cet homme, il faut dire que la tanneuse n'était pas du genre à faire la conversation. Alors Hector - c'était son nom - avait meublé. Les cinq jours de trajet avaient été agréable de rires même si le coeur fermé d'Athina ressassait encore malgré elle les terribles mots qu'Ilclaste avait pu prononcer. Elle écoutait Hector d'une demie oreille, trop préoccupée, trop triste, trop déroutée pour se montrer sous son meilleur jour.

Mais le tisserand n'avait pas tiqué, il avait, par le passé, déjà pu constater que la chasseuse était renfermée, il mettait ça sous le compte de la timidité. L'essentiel pour lui étant qu'ils arrivent tous deux en un seul morceau à Albatra.

Et cela fut le cas ! Le soleil était à son plus haut point lorsque la carriole tirée par deux magnifiques chevaux passa les portes de la cité. Et quelle cité ! Athina n'aimait pas la ville, mais elle fut frappée par la beauté de l'architecture de ce lieu. Ils passèrent devant de nombreux commerces à l'allure certes modestes, mais lorsqu'elle laissait aller ses yeux à l'horizon, la richesse de certaines demeures lui sautaient aux yeux. Elle savait que la famille royale résidait dans cette ville, mais elle n'avait jamais douté de l'importance que cela pouvait apporter à la cité en elle même. Lackness semblait bien fade à côté. Hector intima aux chevaux de s'arrêter. Prise dans ses rêveries, Athina n'avait pas remarqué qu'ils étaient arrivé à destination. Ou plutôt, à la destination du tisserand : une petite échoppe à l'allure plutôt rabougri qui surpris Athina. L'homme avait-il dit, durant ce périple, ce qu'il venait faire à Albatra ? Impossible pour la jeune femme de s'en souvenir. Elle descendit de la carriole et paya son transport à Hector.



Elle gratifia l'homme d'un sourire et lui serra la main avant de descendre sa cargaison de cuir. C'était lourd et encombrant, mais la jeune femme avait l'habitude. L'espace d'un instant, un début de panique monta en elle : elle était seule, dans une ville qu'elle n'avait jamais visité, et elle se trouvait dans la rue au milieu d'inconnus. Personne ne semblait faire attention à elle, pourtant elle ne pouvait s'empêcher de dévisager chaque passant. Elle prit un instant, ferma les yeux et inspira profondément. Tout allait bien se passer. Ilclaste était au Creux-Lac, Lothaire en prison au Gravorn. Il n'y avait aucun danger imminent. Elle secoua la tête et se ressaisit avant de prendre une direction au hasard dans la ruelle : le plus important était le premier pas.

Elle marcha quelques minutes avant de demander son chemin à une passante. Heureusement pour elle, la forge de Sélac semblait suffisamment réputée pour que l'on puisse lui indiquer sans mal la direction. Bonne nouvelle, c'était à quelques centaines de mètre seulement. Mauvaise nouvelle, elle marchait dans la mauvaise direction. Le soleil tapant, sa charge semblait plus lourde à chacun de se pas, et Athina ne fut pas fâchée d'arriver à bon port plusieurs minutes plus tard. Elle était transpirante et ne manqua pas d'ôter son vêtement de cuir - qu'elle portait sur un tissus de forme approximative sans manche et plutôt près du corps, l'une de ses premières créations... C'était informe mais elle le trouvait confortable. Débarrassée de tout ce surplus de vêtement, elle frappe enfin à la porte de la forge.

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avec Avalon Sélac

Athina sursauta lorsqu'elle entendit son nom de la bouche d'Avalon. En dehors d'Ilclaste, aucun homme ne l'appelait plus par son prénom depuis longtemps. On l'appelait simplement "mademoiselle" ou "mademoiselle Aerys". Elle se rattrapa juste à temps pour ne pas étaler sur le sol sa lourde charge avant de, finalement, regarder Avalon. Une fois de plus, elle fut frappée par sa taille, il était si grand et sa carrure était si imposante qu'elle passait facilement pour une petite souris à côté d'une telle allure. Elle, si petite et bien agile.


Elle se laissa délester de sa charge par Avalon et soupira de soulagement devant cette galanterie. Elle se massa rapidement l'épaule tout en le suivant dans la forge.


Elle ne releva pas lorsqu'il s'excusait de son accueil, elle l'avait trouvé plutôt chaleureux et courtois, peut être parce qu'elle n'avait pas l'habitude d'être accueillie par qui que ce soit, et qu'elle même était une hôtesse bien moins agréable. En revanche, sa curiosité fut piquée lorsqu'il parla d'incident, ne manquant pas de remarquer les débris de bois rassemblés ici et là, pourtant elle ne questionna pas le jeune homme. Elle avait encore ce vieux réflexe qu'ils avaient pris avec Ilclaste de ne jamais poser de question. Peut être que le sujet viendrait tout seul sur le tapis, ou peut être pas, mais elle savait respecter les choix de ses interlocuteurs. Elle se dirigea hâtivement vers le comptoir où Avalon avait déposé le paquet pour lui présenter sa livraison.


Elle farfouilla dans son coffre pour sortir les différentes pièces de cuir. Il y en avait de plusieurs tailles, elle avait pris soin de faire en sorte de pouvoir lui proposer 2 tailles en fonction de l'animal sur lequel elle avait prélevé la peau.


Elle marqua une pause le temps que son interlocuteur puisse admirer ses pièces. Elle n'avait encore jamais travaillé avec un artisan et espérait que ses cuirs lui conviendraient.


Elle lui offrit un regard ainsi qu'un sourire, bien plus à l'aise depuis qu'elle avait passé les portes de la forge et qu'elle parlait business. Le fait d'être enfermée dans la même pièce qu'un homme qu'elle n'avait vu qu'une fois ne l'effrayait bizarrement pas, ce qui la soulagea. Peut être était-elle plus forte qu'elle ne le pensait ?

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Avalon semblait satisfait à première vue, et Athina ne pu retenir un large sourire. Il y avait peu de choses qu'elle aimait faire dans la vie, la chasse était ce qu'elle préférait, mais le travail du cuir était indéniablement une autre de ses passions, et elle était ravie de constater que cette passion lui était utile pour produire des pièces de bonne qualité. A en juger par le regard entendu que posait le jeune homme sur les peaux alors qu'il en détaillait l'aspect au touché, elle avait visé juste. Elle fut également agréablement surprise qu'il lui propose lui même de lui donner son avis quand à la bonne manière d'utiliser le cuir sur ses créations. C'était bien la première fois qu'Athina allait devoir passer de l'autre côté du miroir - du moins, pour conseiller quelqu'un qui n'était pas elle même - mais cela lui plaisait, elle était flattée de la confiance que le forgeron pouvait montrer envers le professionnalisme de la jeune femme. Ainsi, lorsqu'il évoqua une possible fatigue due à son trajet, Athina ne l'écouta qu'à moitié. Quelle drôle d'idée, se reposer, alors qu'elle venait de franchir la porte du paradis sur terre.

Dans l'atelier, de nombreux plans de travail, de nombreux outils pour la plupart très bien rangés, chaque chose étant à sa place. En parlant de place... Beaucoup de place pour travailler. Cet atelier, c'était le rêve de tout artisan. Athina n'était pas artisan, mais elle aimait travailler son cuir et le façonner, et même si elle n'osait l'évoquer à voix haute, elle désirait profondément pouvoir, un jour, ouvrir un atelier pour vendre ses pièces directement dedans. Vivre de sa chasse, de ses cuirs, mais aussi de ses fabrications. Oui, cela la faisait rêver, alors la forge était pour elle un véritable magasin de bonbon. Les yeux pétillants d'enthousiasme, elle détaillait chaque recoin de cet atelier, faisant passer ses mains sur les outils, sur les produits bruts, sur le matériel. Elle espérait ne pas froisser son hôte, mais elle ne pouvait s'en empêcher.

Sortant de sa torpeur, mais les yeux toujours rempli d'admiration, elle s'adressa à Avalon.


Ensuite, elle se fit une remarque. Il lui avait proposé de prendre du temps pour elle, qu'elle puisse se reposer après son long voyage - qui avait été, certes, exténuant, et elle n'aurait pas dit non à un grand bac plein d'eau chaude et de plantes aux vertus apaisantes qui auraient pu détendre ses muscles endoloris par plusieurs nuits sur des paillasses inconfortables et le ballottement d'une carriole modeste -, était ce parce que lui même avait d'autres choses à faire cette après midi là ? Après tout, elle ne s'était pas annoncée avant de débarquer, il n'aurait pas été étonnant qu'il ait prévu de  faire toute autre chose que de recevoir sa livraison et de prendre du temps à en parler. Timidement, elle le questionna donc.


Elle se retint, prise dans sa spirale d'euphorie, elle avait bien failli lui proposer un verre à la taverne lorsque le jour déclinerait. Voilà qui ne lui ressemblait guère, elle se félicita elle même d'avoir su taire sa phrase au bon moment.


Elle fit un geste circulaire dans l'atelier. Certaines femmes étaient émerveillées de parures et de bijoux. Ce qui animait Athina, c'était le travail avec les mains. La créativité, le savoir faire.

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Athina fut soulagée d'entendre que le forgeron n'avait rien de pressant à faire et qu'elle n'était donc pas obligée de quitter la forge tout de suite. Elle le remercia pour le verre d'eau, et esquissa un sourire amusé à sa prochaine remarque. En temps normal, il était vrai, la chaleur qui devait se dégager de cet endroit devait être insoutenable, fort à parier que si cela avait été le cas, le plaisir d'Athina aurait pu être légèrement terni par une fournaise. Elle n'avait pas vraiment l'habitude de la chaleur, quand elle avait chaud, elle se déshabillait suffisamment pour ne plus en souffrir, et puis généralement cela suffisait dans sa vie de tous les jours. Mais en face d'immenses fours, à moins de travailler à poil avec un bac de glace sur la tête, elle n'osait imaginer la difficulté que cela devait être de travailler dans de telles conditions.

Si ses angoisses avaient été plus éloignées, elle aurait pu prendre quelques secondes pour imaginer cet homme si grand - et objectivement attirant, même si elle n'y faisait pas du tout attention, trop concentrée par l'aspect commercial de leurs échanges et de sa présence ici - dont le métier a taillé la silhouette en train de s'affairer à marteler une épée, torse nu, les muscles saillants et dégoulinants de sueur. Elle aurait rougi d'une telle scène, mais il s'agissait d'Athina. Et Athina ne regardait plus les hommes depuis bien longtemps. Sa mère lui faisait remarquer régulièrement, mais elle ne parvenait pas à passer outre, lorsqu'elle imaginait ne serait-ce que repasser de doux moments avec un homme, l'image de Lothaire la violentant s'imposait irrémédiablement à son esprit et cela lui faisait peur. Ainsi, elle s'était efforcée à ne plus désirer d'homme, refusant volontairement de se laisser aller à des rêveries lubriques. Avec les femmes, en revanche, c'était différent. Aucune d'entre elles ne l'avait blessée, après tout. Alors lors de ses instants de solitudes, c'était vers la gente féminine que voguait son esprit. Elle espérait, sans se l'avouer cependant, qu'un jour prochain elle pourrait de nouveau faire confiance à un homme même si sa récente déconvenue avec Ilclaste l'avait faite reculer de plusieurs cases.

La jeune femme s'approcha des armes forgées par Avalon et fut impressionnée d'abord devant l'imposante hache. Il devait en falloir des muscles pour utiliser un engin pareil. Ses yeux se posèrent ensuite sur l'épée, plus fine, et sur le bouclier, bien plus grand en taille. Elle avait vu juste, il faudrait sans aucun doute plusieurs tailles de cuir, elle était contente d'avoir ses outils avec elle.


Concentrée, elle fouillait dans la sacoche de cuir qu'elle portait à la ceinture et en sorti un mètre ruban sans jamais quitter des yeux les armes, les sourcils froncés par ses réflexions. Elle en oubliait presque son hôte. Elle mesura les dimensions du boucliers et les pris en note. Elle fit de même avec le manche de la hache et celui de l'épée. Elle n'avait jamais fabriqué d'arme, mais d'instinct, elle avait deviné les pièces qu'il faudrait pour ces trois objets.


Elle tourna - et leva - la tête vers son interlocuteur, les sourcils toujours froncés de concentration. Elle espérait ne pas avoir l'air grossière de prêter plus d'attention à ses fabrications qu'à lui même, mais après tout, elle était là pour ça.

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Athina observa attentivement la hache tendis que le forgeron lui expliquait ce qu'il prévoyait pour cette arme. Finalement, il faudrait sans doute retailler en lambeaux plus fins ses plus grands formats de cuir pour pouvoir faire ce qu'il souhaitait. Cette réflexion fut confirmée lorsqu'il sorti de son armurerie une hache superbement terminée. Oui, il faudrait - à son sens - de longues et fines bandelettes à enrouler plutôt qu'un morceau de taille plus carré ou rectangulaire.


Elle ne faisait pas vraiment attention au fait qu'elle l'appelle encore "Monsieur Sélac" plutôt qu'Avalon, en fait, elle trouvait cela plus professionnel. Cela viendrait peut être - surement - avec le temps, mais pour le moment ce n'était pas spontané pour elle. Athina enroula son mètre ruban sur lui même.


Cela lui était égal, pour être honnête, mais peut être préférait-il travailler sans spectateur. Si tel était le cas, elle retaillerait sans problème les pièces nécessaires et le laisserait travailler. Elle trouverait bien à s'occuper autrement, même si elle n'avait pas forcément très envie d'affronter la vaste ville tout de suite.

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Athina laissa un large sourire illuminer son visage. Elle était contente de pouvoir rester encore un peu pour travailler. Il faut dire qu'elle n'avait pas beaucoup d'ami avec qui parler de son métier, et encore moins avec qui partager sa passion pour le travail du cuir et des fourrures. Elle se jura de remédier à cela à son retour, il était peut être temps de commencer à nouer des liens. Ilclaste s'imposa à son esprit et son sourire perdit légèrement de sa superbe. Ou peut être pas. C'était encore si récent, mais en meme temps, n'était-ce pas ça la vie ? Faire des rencontres, prendre des risques, se ramasser parfois mais se relever. Elle avait, depuis 5 ans, toujours l'impression que rien ne pouvait plus la faire plier, pourtant si elle se voyait elle même, elle se donnerait des gifles. Balayant son esprit, elle décida de laisser à plus tard ces questionnements, elle aurait tout le loisir d'y penser à la tombée de la nuit, comme chaque soir dans ses insomnies.

Par la suite, la jeune femme fut très flattée de la requête du forgeron. Evidemment que cela ne la dérangeait pas, elle en serait même ravie. Elle avait l'habitude de travailler seule, sous son proche, avec pour seule spectatrice la distraite Echo qui ne tenait jamais plus de deux minutes avant de vaquer à d'autres occupations.


Elle attendit respectueusement quelques secondes avant de se se diriger vers le comptoir précédemment quitté, non sans galérer quelques instants avec la porte cabossée. Qu'avait-il bien pu se passer ici pour qu'elle soit dans un tel état ?

Athina fouilla dans sa caisse à la recherche de son étui à outils, elle s'empara également de trois peaux : deux grandes et une plus petites. Cela devrait normalement suffire. Ensuite, elle repris la direction de l'atelier. Elle posa le tout sur le plan de travail et s'affaira à prendre ses mesures, dépliant sa règle à coulisse.


La découpe de ses cuirs allait prendre plusieurs minutes, aussi Athina engagea la conversation. Elle était dans son élément et se sentait d'humeur à discuter de tout et de rien, se renseigner un peu sur cet homme qu'elle aurait l'occasion de croiser plutôt régulièrement. Pour autant, elle prenait soin de tracer des lignes nettes, de ne pas abîmer ses peaux et d'être précise dans ses mesures.

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Athina pouvait tailler le cuir les yeux fermés - enfin presque - aussi cela ne la perturbait pas une seule seconde de converser avec Avalon alors qu'elle s'affairait à redécouper avec une précision impeccable les pièces de cuir. Elle l'écoutait attentivement lui raconter de quelle manière il était devenu forgeron, et elle l'envia un instant. Elle aurait adoré trouver sa voie aussi rapidement et depuis si longtemps. Elle, elle avait du passer par de nombreux détours avant de se trouver une passion pour la chasse et le travail du cuir et des fourrures. Mais maintenant qu'elle avait trouvé sa voie, elle n'avait pas l'intention de la lâcher, et cet accord avec la forge de Sélac était un grand pas dans sa vie de tanneuse.


Lorsque le sien était mort quelques années auparavant, elle était encore à Borderoc, avec Lothaire, et ne l'avait pas vu depuis bien longtemps. Aujourd'hui encore, elle se maudissait d'avoir passé si peu de temps avec lui, alors elle se rattrapait en passant le plus de temps possible avec sa mère. Bien sûr, elles avaient chacune leur vie, mais elles habitaient non loin l'une de l'autre et se voyait au moins une fois tous les deux jours.


Elle se gardait bien de lui dire la raison qui l'avait poussée à devoir commencer à cet instant précis. Il était hors de question qu'elle se confie aussi rapidement sur ce qu'elle avait pu vivre par le passé. D'une part parce qu'elle ne connaissait pas suffisamment Avalon - après tout, même Ilclaste ne savait pas qu'elle avait été mariée -, de l'autre part, parce qu'elle s'efforçait d'oublier cette période de sa vie et d'aller de l'avant.


Un dernier coup de ciseau à cuir, et la pièce était redécoupée. Athina rangea avec soin ses instruments avant de regarder le résultat sur la hache. Satisfaite, elle leva la tête et offrit un sourire cordial et sincère à Avalon.


Le temps passait vite, la fatigue commençait à poindre le bout de son nez, de même que la faim - son ventre gargouillait bruyamment, elle espérait que son interlocuteur ne l'entendrait pas crier famine.

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Athina ne pu réprimer un immense sourire devant la remarque d'Avalon. Il était vrai qu'elle était appliquée, il faut dire qu'elle n'avait pas eu le choix, le chasse l'avait sorti de son enfer, elle avait trouvé l'apaisement dans les forêts de Lackness et ça l'avait sauvée, sans aucun doute. Avant cela, elle n'avait jamais travaillé, n'en avait jamais eu besoin d'ailleurs, puisque le salaire de Lothaire suffisait largement pour deux et qu'il ne voulait pas d'une femme qui travaille, il préférait qu'elle puisse se consacrer à ses passions et à la maison, il voulait être celui qui faisait vivre la famille. Alors elle passait le plus clair de son temps dans sa maison ou bien à errer comme une âme en peine dans Borderoc. A dire vrai, elle s'ennuyait à mourir à cette époque là et même si le drame qu'elle avait vécu l'avait profondément traumatisée, il était évident que cela lui avait servi dans sa vie personnelle. Désormais, elle n'acceptait plus qu'on lui manque de respect ni qu'on lui dise quoi faire. Sa liberté, elle y tenait, et son métier s'était imposé à elle alors qu'elle passait de nombreuses heures à flâner dans la forêt à son retour à Lackness. Finalement, elle s'était endurcie et chasser les créatures ne lui posait désormais plus aucun problème, elle faisait en sorte de ne pas les faire souffrir et de ne jamais gaspiller la moindre ressource pour ne pas manquer de respects aux animaux et créatures chassées. C'est comme ça qu'elle avait commencé à vendre les fourrures, puis à travailler le cuir jusqu'à presque essentiellement se consacrer à ce métier. Elle adorait ça.


Car même si elle adorait profondément son métier, Athina souhaitait qu'Echo puisse vivre son enfance convenablement. Elle ne voulait qu'elle ne manque de rien, même si elle ne voulait pas reproduire l'erreur de ses parents en lui mettant en tête que l'argent était le plus important pour avoir une belle vie. Non. Elle lui apprenait le plaisir du travail et le bonheur que cela procure de pouvoir vivre de ce dur labeur. La trappeuse voulait que sa fille comprenne la valeur du travail, de gagner sa vie par elle même et non devoir dépendre d'un homme - ou d'une femme.


Alors que son ventre se plaignait une fois de plus, Athina fut soulagée de se voir proposée une pause déjeuner. Elle ignorait s'il s'agissait d'une coïncidence ou si le forgeron avait eu la délicatesse de ne pas relever le fait que l'estomac de la jeune femme hurlait à la mort, mais quoi qu'il en soit la proposition était bienvenue. Instinctivement, Athina tâta le plus discrètement possible sa bourse à sa ceinture. Il ne restait que quelques sous et elle ne connaissait pas les tarifs d'Albatra, mais au pire elle saurait se contenter du minimum.


Le ventre d'Athina était trop occupé à réclamer sa pitance pour former une boule d'angoisse, mais la gorge de la jeune femme ne manqua pas de se serrer légèrement. Elle avait oublié son agoraphobie dans l'établissement d'Avalon, c'était une petite bulle et il fallait en sortir, affronter les passants, la foule. Et puis partager un repas avec un homme aussi... Impressionnant. Elle n'en avait tellement plus l'habitude que cela lui sembla presque insurmontable. Mais il était si doux, si gentil, cela devrait bien se passer, il n'y avait aucune raison du contraire, n'est ce pas ?