[22-?? Cellune 1100] Echappée belle

Echappée belle.

C'était une belle journée de printemps. L'été approchait à grand pas et la plus part des arbres étaient en fleur. Les températures étaient douces ce qui fut très profitable au petit convois composé d'une dizaine de gardes montés, de deux serviteurs dirigeant la carriole des bêtes de somme ainsi que du cocher du petit carrosse frappé des armoiries royales. A l'intérieur, une femme dont l'âge n'avait pas encore entachée la peau était accompagnée d'un homme lui bien plus âgé qui était assit à côté du jeune prince de la Terre des Trois-Lieux.

Le menton posée dans la paume de sa main, Valérian regardait la campagne défiler à travers la petite fenêtre de l'habitacle. Cela faisait déjà quelques minutes qu'il avait décroché de la discussion animée qu'il y avait entre son vieux précepteur marlois, maître d'Histoire entre-autre, et sa préceptrice lacquoise, instructrice d'art en général. Cette dernière participait au voyage pour la seule raison qu'elle connaissait très bien la région mais – comme était en train d'insister le vieux professeur – n'y connaissait strictement rien en Histoire. Il fallait dire que le but de ce déplacement était que le prince découvre et s'instruise du seul écueil encore debout d’ante Grand Fléau.

Les ruine de Sytovia et ses fouilles archéologiques étaient la seule preuve – encore à ce jour – de l'existence d'une vie humaine avant que celle-ci ne renaisse de ses cendres et que ne se créé la Terre des Trois-Lieux. Les deux instructeurs étaient donc en grand débat autour des mythes et légendes qui constituaient la vie de ces Temps Oubliés. Au début de l'échange, le jeune prince s'était montré très intéressé, après tout il était un véritable féru d'Histoire et de théogonie, mais alors que la discussion prenait un tournant tout autre et que le débat devenait de plus en plus stérile, il avait préféré s'en détourner.

Le convois poursuivait tranquillement sa route et bientôt la belle ville de Lackness se profila à l'horizon. Valérian n'avait jamais fait un aussi long périple et avait hâte de découvrir cette cité qui promettait monts et merveilles au jeune prince qui s'était toujours senti l'âme lacquoise. Une fois en ville, le trajet se poursuivit jusqu'au palais ducal où ils furent reçut en grande-pompe juste parce qu'une couronne ornait la tête du jeune homme qui ne s'était jamais senti réellement légitime dans son rôle d'héritier royal. Passé les principes d'usages, le jeune prince se retira dans ses appartements où il put jouir d'un repos bien mérité jusqu'au soir. Là, ils festoyèrent dans la renommée bonne humeur lacquoise et Valérian se laissa aller à discuter en toute simplicité avec Dala, héritière Tendrion, chez qui il avait trouvé beaucoup de ressemblances avec lui-même. Puis la nuit les entoura de ses ailes noires et Valérian d’endormi du repos du juste. Il sursauta – au petit-jour – lorsqu'une servante vînt le réveiller, l'informant que ses précepteurs l'attendaient déjà dans l'atrium pour profiter de cette journée de répit dans le voyage entrepris – qui allait durer encore plusieurs jours jusqu'aux ruines – pour découvrir et s'instruire de la capitale lacquoise.

Grognon, le prince déjeuna rapidement – refusant qu'on l'aide à s'habiller – et rejoignit ses professeurs. La matinée fut cependant bien plus agréable qu'elle n'avait commencée et Valérian s'amusa beaucoup de la légère tension qui se jouait entre la femme et l'homme qui n'en finissaient plus d'expliquer et de raconter mille-et-une annales à propos de Lackness. Comme la veille dans le carrosse, une véritable joute verbale se joua entre les deux personnes mais cette fois-ci, le jeune prince resta attentif car à mesure qu'ils progressaient dans la ville – monté lui sur sa drakalonne, ses professeurs sur un cheval, les trois entourés d'une dizaine de garde ducaux – il découvrait ce qu'il n'avait fait qu'imaginer jusque là.

De retour au palais, ils déjeunèrent frugalement – enfin, tant que faire ce peu dans une région réputée pour son accueil gastronomique – puis chacun se retira dans ses appartements pour un court temps de repos avant de reparti en ville. Assit au bord de la fenêtre dont il avait poussé le grand vitrail afin de sentir l'air frai sur son visage, Valérian rêvassait en regardant les rayons du soleil miroiter sur le Lac Prospère. Il ne lui fallut que peu de temps pour se décider.

Retirant son habit d'apparat, il revêtu ses vêtements de voyage ainsi que le pantalon d'équitation qu'il avait pensé à amener, rabattu sa cape sur ses cheveux blond et sorti le plus discrètement possible. Profitant que les palefreniers fassent eux aussi leur pause d'après-déjeuné, il se glissa dans la stabulation de Céleste, la scella, et sorti des remparts du palais sans demander son reste.

Une fois hors de la ville il lança sa jeune drakalonne au galop et la laissa se défouler. La pauvresse avait fait le voyage avec un garde bourru sur le dos et fut absolument ravie de retrouver son jeune et tendre maître. La dirigeant d'une main douce, Valérian les emmena tous deux vers le lac qui l'avait appelé de ses ondoyantes vagues lorsqu'il l'avait observé de sa fenêtre. Remettant Céleste au petit trot, il la laissa décider du chemin à suivre tandis que ses grands yeux verts s'émerveillaient des alentours. Sa capuche était depuis longtemps tombée sur ses épaules et ses mèches dorés voletaient autour de sa tête.

Tandis que Céleste prenait un chemin pour descendre vers le lac elle repéra une touffe d'herbe grasse et fit un bond par dessus le fossé. Surpris, Valérian en perdit un étrier, puis deux, puis s'accrocha à l'encolure de sa drakalonne alors que, sentant le désarroi soudain de son cavalier, elle s'était elle aussi mise à paniquer.

Oubliant totalement sa touffe d'herbe, Céleste se remit d'un coup au grand galop. D'ordinaire très bon cavalier, Valérian totalement perturbé ne pouvait que s'agripper du mieux qu'il pouvait aux glissantes écailles mordorées. Mais il ne fallait pas compter sur ses mains, qui devenant moites, lui firent lâcher sa prise...

Lorsque Céleste sauta par dessus un rocher, le prince se senti partir en arrière. Ayant le réflexe de se mettre en boule, il fit un joli roulé-boulé dans l'herbe – évitant heureusement la pierre – et fini sur le dos, le souffle coupé, bras en croix, à regarder le ciel bleu sans nuage.

Echappée belle.

L'échange de regard avec le vornois est de connivence, Valérian répondit à son sourire – perdant un peu du rouge aux joues – et se laissa mener jusqu'à la calèche. En vérité il a très envie d'enfourcher sa drakalonne et partir en tête – bille en tête – pour prendre un bol de liberté.

Il pensait qu'intégrer le sculpteur dans le convois allait assouplir l'ambiance. Il ne s'était pas trompé mais il pensait que ça aurait été de façon plus franche... Il avait imaginé ses précepteurs se décoincer et rire, apprendre quelque chose, eux qui n'étaient que des pinces-sans-rires pètes-secs et méprisants... Sans doute avait-il un peu trop fantasmé... Ou bien seulement une journée n'était pas assez pour influencer ces esprits étriqués...

Il était donc remonté dans le carrosse et avait tenté bon-gré mal-gré de retenir – en tout cas d'écouter – les leçons dispensées. Mais une énième joute verbales entre ces deux maîtres – qui n'était décidément pas fait pour s'entendre, d'autres leur auraient peut-être conseillé de prendre une chambre tout deux – fini par le faire décrocher. Il passa le reste de la journée à regarder les paysages défiler, en retenant le moindre détail dans l'optique de s'en servir pour ses écrits.

Ce voyage aura au moins un aspect bénéfique : lui faire découvrir le monde. Lui qui avait toujours dut ruser pour s'échapper quelques heures du palais avait enfin été autorisé à faire une si longue route... Même si le but était studieux, le voyage n'en était pas moins une liberté accordée...

Il avait à peine croisé Achille le soir venu. Le convois s'était arrêté dans une auberge et Valérian avait été aussitôt barricadé dans la plus grande chambre – payée à prix d'or – et deux gardes devant sa porte l'empêchèrent de sortir. Il avait dîné seul et s'était couché. Il avait dormi d'une traite et était frais et dispo lorsqu'on vînt le réveiller à l'aube.

Le voyage repris et une nouvelle journée passa sans grand événement. Achille s'était fait discret et Valérian n'avait pas pu trouver un moment tranquille pour l'approcher.

L'attroupement avait fini par installer bivouac en bord de rivière un peu avant la tombée de la nuit. Tous avaient mangé frugalement, harassés par cette longue journée, et étaient rapidement parti se coucher. Valérian était remonté dans le carrosse aménagé en large couchette – la même que lorsqu'il avait fait son pèlerinage – et avait longuement regardé le bivouac s'endormir. Mais lui n'en avait pas du tout l'intention et, alors que les deux gardes restés éveillés pour leur quart avaient le dos tourné, il sorti du véhicule et s'éloigna à pas feutré.

Si Valérian avait bien une qualité s'était la discrétion... Il finissait toujours pas réussir à se carapater, quelque soit la situation.

L'air frais de la nuit le revigora et il se dirigea instinctivement vers le paddock aménagé où repaissaient les chevaux et Céleste. Un seul murmure fit venir la jeune drakalonne jusqu'à lui. Il arracha une épaisse touffe d'herbe et en fit un bouchon avec lequel il se mit à brosser l'animal. Elle avait déjà été soignée – le garde qui la montait avait tout intérêt à prendre soin de la drakalonne du prince – mais Valérian aime vraiment s'occuper d'elle et c'est essentiellement pour ça qu'il ne voulait pas s'endormir tout de suite, n'ayant pas pu profiter de sa présence de la journée.

Au bout d'un moment Céleste commence à montrer quelques signes d'impatience et Valérian sait exactement comment les interpréter. Sans bruit, il détache l'une des cordes qui ferment le paddock. Il n'en faut pas plus à la drakalonne qui s'élance alors, comprenant qu'est venu le moment de se défouler après avoir marché au pas toute la journée... Elle n'est pas habitué à une allure si lente.

Le prince referme le pré puis s'avance en direction de Céleste. Cette dernière cabriole et s'amuse, aussi Valérian s’assoit dans l'herbe pour mieux la regarder.

La voûte céleste étoilée fait miroiter l'animal du même nom. Valérian ne met pas longtemps avant de lever le nez vers le ciel et contempler son éclat. Il s'est toujours demandé ce qu'était exactement que les étoiles et pense souvent qu'elles sont peut-être des soleils éloignés qui protègent d'autres mondes où vivent d'autres gens. Il avait d'ailleurs commencé une chronique sur cette idée mais par manque de temps il s'était finalement concentré sur ses écrits principaux. Observer ainsi les étoiles lui donnait envie de la reprendre.

Il sursauta lorsqu'Achille s'approcha de lui. Trop songeur, il avait pris peur au soudain bruissement des pas. Il eut un léger mouvement de recule mais son cœur s'apaisa aussitôt qu'il reconnu la chevelure lavande. Il ne dit rien, le suit des yeux et le laisse s'asseoir près de lui, souriant à la plaisanterie même si pour sa par ce n'est pas vraiment une insomnie.

La question est comme on engage une conversation. Indiscrète, certes, intime aussi. Achille est passé au tutoiement. C'est juste assez pour faire tiquer le prince mais pas assez pour que ça le dérange.

En faite, ça lui plaît même assez... De n'être qu'un simple jeune homme conversant avec un autre.

- … Pleine, sans doute, mais pas assez de ce qu'il faudrait... dit-il tout bas, comme un automatisme, puisqu'il se fait sans cesse rabrouer sur ses lacunes Je pensais aux étoiles... T'es-tu déjà demandé quel secret inatteignable pouvaient-elle renfermer... ? ajoute-t-il toujours murmurant, employant lui aussi le tutoiement et remerciant en silence l'obscurité de cacher la rougeur de ses joues

Il n'est pas habitué à être aussi proche de quelqu'un et encore moins que cette personne lui demande à quoi il pense... Ophélia l'avait écouté mais c'était elle qui avait plus ou moins imposé le sujet.